• Aucun résultat trouvé

4. Les vocabulaires grec et latin

4.2. La diversité du vocabulaire grec pour signifier l’école

En grec, διδασκαλεῖον est certainement le plus courant, au moins à l’époque

classique ; il désigne l’école comme lieu chez Thucydide223 et par suite l’école de

philosophie comme doctrine ou enseignement224. Chez Polybe, il signifie à la fois le lieu

et l’institution225. Le mot apparaît avec ce double sens, près de trois cents ans plus tard,

dans la phrase fameuse de l’Éloge de Rome d’Aelius Aristide citée en exergue de ce

travail226.

Par antonomase, ἀκαδήμεια (ἀκαδημία) et μουσεῖoν peuvent signifier une

institution d’enseignement ou un lieu d‘enseignement. ʼΑκαδήμεια, est initialement un

nom propre désignant d’abord le jardin d’Akademos à l’ouest d’Athènes, puis le

222 F. Hintze et S. Morenz, « Ein Streigespräch Kyrills », ZÄS 79 (1954), p. 125-40. Le mot se trouve p. 127 aux lignes 18-19 ; le texte copte est traduit en allemand, p. 127. C’est moi qui traduis en français.

223 διδασκαλείῳ παίδων = « il arriva qu’ils ([les Thraces] se jetèrent sur une école », Thucydide 7, 29, 5 CUF 1955.

224 Ἐγώ; Τὸ διδασκαλεῖον ἡμεῖς σῴζομεν τὸ Σίκωνος· = « Moi! Je dis que c'est nous qui soutenons l'école de Sinon », discours du cuisinier dans Le menteur convaincu de Sosipatre, rapporté par Athénée (378 a-b), CUF 1956.

225 Callicratès, politicien achaïen partisan de la soumission inconditionnelle à Rome, et ses amis, sont entourés du mépris général, « et les enfants mêmes qui les croisaient dans la rue au retour de l’école (ἐκ τῶν διδασκαλείων) n’hésitaient pas à les traiter en face de traîtres », Polybe 30, 29, 7.

58

gymnase qui s’y installa et où Platon enseigna227, par suite l’école de philosophie

platonicienne228 jusque dans l’Antiquité tardive et, par dérivation, il devient un nom

commun désignant un lieu d’enseignement. Mουσεῖoν est le temple des Muses, donc le lieu où résident les Muses ou les nymphes et par extension, un lieu où on s’exerce à la

poésie et aux arts (Plutarque IX, 736c ; Eschine, 2, 22)229 et donc une école : Diogène

Laerce rapporte que, selon Favorinus, les habitants de Métaponte appelaient la maison

de Pythagore où il tenait école, le temple de Cérès et la rue, le quartier de Muses230. Le

mot grec est repris par Pline, retiré dans sa villa des Laurentins, pour désigner son lieu

d’étude231 ; nous avons vu que Libanios faisait référence au temenos des Muses

d’Alexandrie, où poètes, rhéteurs et étudiants discouraient en marchant232 ; Zacharie le

Scolastique, aussi233. Mουσεῖoν et ἀκαδήμεια apparaissent simultanément pour désigner

des lieux d’enseignement d’Alexandrie, dans un papyrus qui relate un épisode de la vie

de Flavius Horapollon (P. Cair. Masp. III 67285) ; ce dernier dit avoir fréquenté

« assidûment les Académies du lieu » pour y délivrer son enseignement (ligne 13) et

s’être formé, en particulier auprès de son père : « j’eus pour maître] feu mon père Asklepiadès […] qui avait consacré tout l’effort de sa vie à instruire les jeunes gens

dans les Musées… » (ligne 16).

13 [δόξα οὐ μετρία πρὸ πολλοῦ ὑπάρχει μετὰ τ]ο̣ὺ̣ς̣ κ̣[ατ]ὰ̣ τ̣[ὴν Ἀλ]εξάνδρο̣υ̣ μεγάλην πόλιν οἰκοῦντα[ς. ἄγω]ν γὰρ σχολὴν περὶ τὰς ἐκε̣[ῖσε] ἀκαδημ̣[ί]α̣ς̣ ἀεί π[ο]τε ἐφύλατ’τον 14 [τὴν εὐζωΐαν, καὶ σπουδαίως ἐπασκήσας τὴν ἐν]οῦ̣σ̣άν μο[ι δ]ύναμιν τὸν λόγον τὴν φιλόσοφον ἐπε̣[ύθυ]νον τοῖς βουλομένοις πα̣[ιδ]είαν· τοῦτο ἐκ πατέρων κ(αὶ) προγόνων 15[ἔμφυτον ἔχων, ὡς διδασκάλῳ χρησάμενος τῷ -ca.?- ] τοῖ[ς] τ̣ρ̣ι̣σ̣μ̣ακαριωτάτῳ μου πατρὶ Ἀσκληπιάδῃ, [τ]ῷ [πο]νήσαντι τὸν πάντα αὐτοῦ βίον τοῖς Μουσείοις, νέους κατὰ τὴν 16 [παλαιὰν διδάξαντι παιδείαν -ca.?- ]σανασον̣τ̣ […]234 227 Diogène Laërce, 3, 7.

228 Par exemple, Plut. Cat. maj. 22, 1.

229 Plutarque dit rapporter toutes les conversations qui se sont déroulées à Athènes pendant la fêtes des Muses car « il fallait rendre aux Muses tout ce qui appartient aux Muses », Propos de tables, IX, 736c.

230Μεταποντῖνοί γε μὴν τὴν μὲν οἰκίαν αὐτοῦ Δήμητρος ἱερὸν ἐκάλουν, τὸν στενωπὸν δὲ μουσεῖον, ὥς φησι Φαβωρῖνος ἐν Παντοδαπαῖς ἱστορίαις· (Diogène Laerce, 8, 1, 15).

231 « O mare, o litus, verum secretumque μουσεῖον, quam multa invenitis, quam multa dictatis ! », Pline, Ep. 1, 9, 6.

232Zacharie, Progymnasmata, Descriptiones 25, in Libanii Opera, éd. R. Foerster (Leipzig 1925), vol. 8, p. 530.

233 Zacharie, Ammonios, PG 85, col. 1064.

234 Source : http://papyri.info/ddbdp/p.cair.masp;3;67295, consulté le 14 octobre 2015. Initialement le texte et sa traduction ont été publiés par Jean Maspero, « Horapollon et la fin du paganisme égyptien », dans Bulletin de l’Institut français d’Archéologie orientale BIFAO 11, 1914, p. 163-95.

59

G. Majcherek note le pluriel des deux mots, qui est en résonnance avec la

pluralité des auditoria mis au jour à Alexandrie235. Certes, la chronologie est

concordante, au moins pour le fils ; cependant, on ne peut rien conclure avec certitude.

φροντιστήριον désigne un lieu de méditation dans la langue classique236 ; par

suite, le cabinet de travail, la salle d’étude237.

σχολή c’est d’abord le repos, le loisir238, d’où l’association savante239, puis

l’école comme lieu240. Le mot apparaît dans les Actes des Apôtres (19, 9) à propos de

l’enseignement de Paul à Éphèse : καθ’ ἡμέραν διαλεγόμενος ἐν τῇ σχολῇ Τυράννου τινός. = « chaque jour il enseigna dans l’école d’un certain Turannos » ; Jérôme traduit :

« quotidie disputans in schola Tyranni cuiusdam ».

διατριβή/ διατριβαί : occupation sérieuse, travail, étude241, réunion de personnes

discutant de lettres, d’art, de philosophie242, d’où entretien243 et lieu d’étude244. Le mot

est attesté encore au VIe siècle pour désigner les bâtiments d’une école : dans une note

marginale, Elias, le philosophe néoplatonicien chrétien d’Alexandrie, indique que les

salles de classes de ces διατριβαì

διὰ τοῦτο γὰρ τὰ θέατρα κυκλοτερῆ διὰ ἀλλήλους βλέπειν, καì αί διατριβαì κυκλοτερεῖς, ἵνα ὁρῶσιν ἀλλήλους καì τὸν διδάσκαλον

« ont souvent, comme les théâtres, un plan arrondi, afin que les étudiants puissent se voir les uns les autres, aussi bien que l’enseignant245. »

Ce texte est particulièrement intéressant puisque le plan arrondi des salles de

classes, identique à celui des théâtres, est le plan de la plupart des sallesd’Alexandrie, à

l’époque même où Elias écrit.

Le texte de Plutarque que nous avons cité à la fois pour σχολή et pour

διατριβαì246 retient, lui aussi, particulièrement notre attention, en tant que témoignage

235 Majcherek 2010b, p. 476.

236 Ψυχῶν σοφῶν τοῦτ᾿ ἐστὶ φροντιστήριον. Aristophane, Nuées, 94.

237 Lucien, Néron 1.

238 Plutarque, Propos de table 667 d.

239 Aristote Pol. 2, 9, 2.

240 ταῖς σχολαῖς φιλοσόφων « Voilà du moins ce que l’on raconte dans les écoles de philosophie », Plutarque, Périclès, 35, 2, CUF 1964.

241 Plut. Propos de table 4, 667d.

242 Plat. Ap. 37 c. Socrate s’adressant à ses concitoyens : « Vous n’avez pas pu supporter mes entretiens » τὰς ἐμὰς διατριβὰς.

243 Isocrate 236. L’enseignement philosophique d’Épictète transmis par Arrien est conservé sous le nom de διατριβαί.

244 Plutarque Alc. 24 : Alcibiade s’est mis sous la protection d’un satrape du roi de Perse qui s’entiche à tel point du personnage qu’il donne son nom à un lieu d’étude construit dans son plus beau parc.

60

sur certaines formes de sociabilité impliquant des pratiques de divertissement littéraire. Plutarque parle des thermes d’Adepsos en Eubée, région très avantagée par la nature, écrit-il ; de toute la Grèce on vient y faire des séjours ; la mer et la terre offrant poissons et gibier ; l’endroit est particulièrement fréquenté au printemps ; les gens s’y convient mutuellement à des banquets « et, comme ils ont le loisir (σχολή) [ils] passent le plus clair de leur temps à discuter (διατριβαί). » Les sophistes tiennent table ouverte ou sont invités ; la diversité des plats donne lieu à des compétitions oratoires d’agrément entre les convives.

Nous avons déjà noté l’ambigüité du terme theatron ; il renvoie au grand édifice

public destiné à des représentations dramatiques, qui peut aussi accueillir des

performances proprement intellectuelles ; theatron peut en outre désigner la structure

semi circulaire à gradins dans la maison privée du sophiste où celui-ci donne son

enseignement247 ; il est alors clairement synonyme d’auditorium.

On le voit, le vocabulaire grec est varié, ancien et il perdure dans ses différents sens jusque dans l’antiquité tardive. La situation est différente dans le latin des lieux d’activités scolaires et intellectuelles.