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Les trois modèles précédents soulignent l’importance d’appartenir à un « bon » quartier de façon à ce que les enfants tirent profit d’un environnement social positif

caractérisé par la faiblesse des comportements déviants, par la mise en exergue par les adultes de la valeur travail et par une offre importante de services locaux de qualité.

Toutefois, ces conclusions doivent être nuancées dans la mesure où l’effet du « bon » quartier peut s’avérer négatif lorsque les enfants éprouvent un sentiment de privation relative au contact de populations plus aisées et mieux dotées en capital humain. Chacun évalue sa situation personnelle par rapport à celle des autres. Ainsi, en référence à leurs voisins plus instruits et plus riches, les enfants moins bien dotés jugent leur situation inférieure. Ce sentiment d’infériorité voire d’échec peut les démotiver et les conduire à abandonner leurs efforts, notamment sur le plan scolaire. Plotnick et Hoffman (1996) analysent les efforts des enfants selon leur environnement scolaire. L’amélioration des résultats scolaires des enfants en difficulté est plus forte lorsqu’ils sont entourés d’élèves de niveau scolaire comparable ou proche. Lorsqu’ils sont entourés de très bons élèves, les enfants en difficulté se découragent plus vite en raison d’un plus grand retard scolaire à rattraper, ce qui freine leur acquisition de capital humain.

Conclusion

Les caractéristiques du quartier de résidence ne sont pas sans effet sur les performances des individus sur le marché du travail. D’une part, la localisation résidentielle dans une zone éloignée du bassin d’emplois freine l’intégration sur le marché du travail du fait d’un accès réduit à l’information, d’une recherche d’emploi moins efficace et moins intensive, d’un phénomène de sélection des emplois et d’une discrimination territoriale de la part des employeurs. D’autre part, le quartier dans lequel les populations en difficulté vivent peut avoir des caractéristiques telles qu’il freine l’acquisition de capital humain et limite les chances de détenir un emploi.

On recense encore peu d’études françaises s’attachant à départager d’une part, l’effet de l’accessibilité aux opportunités d’emplois et d’autre part, l’effet des caractéristiques du

(2006) étudient les transitions des chômeurs sur le marché du travail71 en tenant compte de l’endogénéité de la localisation résidentielle. Selon leurs résultats, la probabilité relative de retour à l’emploi sans déménagement et celle de sortie du panel, peut-être pour se rapprocher d’un nouvel emploi, augmentent significativement avec la hausse du taux de cadres parmi les voisins, ce qui témoigne d’une influence du réseau social. En revanche, la probabilité de sortie du panel diminue significativement avec la hausse du taux d’Africains dans la commune, ce qui est interprété par les auteurs comme la manifestation d’un phénomène de discrimination territoriale. Les variables d’accessibilité des emplois n’ont pas un impact significatif sur la probabilité de retour à l’emploi, qu’il s’agisse de la densité d’emplois accessibles en quarante-cinq minutes par les transports communs ou que ce soit en véhicules privés72.Apparait toutefois un impact positif et significatif de la densité d’emplois accessibles en véhicules privés sur la probabilité de sortie du panel. La différence d’impact de cette variable d’accessibilité sur les deux modalités est ainsi interprétée par les auteurs : « les chômeurs résidant dans des zones de bonne accessibilité pourraient avoir des chances plus élevées de retrouver un emploi, ce qui pourrait entraîner un déménagement près d’un nouveau lieu de travail » (p. 23). Autrement dit, l’accessibilité ne serait favorable au retour à l’emploi que si elle est couplée à la mobilité résidentielle.

Duguet, L’Horty et Sari (2008) parviennent à des résultats comparables en Ile-de- France. Ils montrent l’impact significatif de la composition sociale du voisinage et du taux de motorisation des ménages sur la probabilité de sortie du chômage. Dans le cas de l’agglomération bordelaise, Gaschet et Gaussier (2005) présentent le même type de résultats.

Au-delà de leurs effets sur le marché du travail, le mauvais appariement spatial et les caractéristiques négatives du quartier nourrissent un processus cumulatif de ségrégation. A cause de cet « effet milieu », la situation des individus en matière d’emploi et de revenus tend à rester précaire si bien qu’ils ne peuvent prétendre à des logements de meilleure qualité et mieux situés. Autrement dit, la persistance de difficultés sur le marché du travail contribue à

71 Ils considèrent 4 modalités : le retour à l’emploi sans déménagement, la sortie vers l’inactivité sans déménagement, la sortie du panel (déménagement ou sans réponse) et le maintien au chômage sans déménagement. Cette dernière constitue la modalité de référence pour le calcul des odds-ratio.

72 Densité exprimée comme le rapport entre le nombre d’emplois et le nombre d’actifs pour une zone accessible en quarante-cinq minutes autour de la commune, en transports en communs ou en véhicules privés.

cloisonner les individus dans ces quartiers déshérités et éloignés des bassins d’emploi en les maintenant dans une trappe résidentielle.

Le parcours résidentiel et le parcours socioprofessionnel sont donc intimement liés puisque l’un s’ajuste en fonction de l’autre. De cet ajustement naîtra une dynamique perverse si l’effet milieu est défavorable au retour à l’emploi et à l’amélioration des revenus. Ce processus cumulatif de ségrégation se caractérise alors par une double hystérèse : à la fois

professionnelle et résidentielle [CAE (2004)]. Les mécanismes d’un tel cercle vicieux sont résumés dans le Tableau 8. Les déterminants de la localisation résidentielle, présentés dans le deuxième chapitre, conduisent à une configuration spatiale caractérisée par une segmentation sociale, laquelle dégénère en ségrégation sous l’effet négatif des caractéristiques des quartiers déshérités et isolés. Dès lors que sont mis en évidence les mécanismes qui alimentent ce processus cumulatif de ségrégation, il devient possible de concevoir une intervention publique correctrice en vue de prévenir ou de briser une telle dynamique adverse.

Tableau 8- Le processus de ségrégation sociospatiale : une hystérèse professionnelle et résidentielle

Déterminants de la localisation résidentielle :

Modèle d’économie urbaine et ses extensions Les préférences individuelles

Les contraintes pesant sur la libre localisation résidentielle

Revenu + Réseau de transport + Structure sociodémo- graphique du ménage

Offre de biens publics locaux et fiscalité locale

+

Aménités locales +

Environnement social

Localisation des logements sociaux

+

Pratiques de zonage +

Discriminations sur le marché du logement et du crédit

Segmentation sociale de l’espace résidentiel

caractérisée notamment par la

concentration des populations défavorisées dans des quartiers isolés et déshérités

REVENUS PLUS FAIBLES ET TAUX DE CHOMAGE PLUS ÉLEVÉ

DES POPULATIONS RESIDANT DANS LES QUARTIERS ISOLÉS ET DESHÉRITÉS

Ces populations sont victimes de « l’effet milieu »

Les caractéristiques réelles ou supposées du quartier Distance physique entre le quartier de résidence et

le lieu des emplois

Réduction des chances de détenir un emploi le quartier comme frein à

l’acquisition de capital humain

Modèle de contagion sociale ou épidémique Modèle de socialisation collective : les adultes comme modèle de référence Modèle institutionnel: le rôle des ressources du quartier Modèle de privation relative

CONCLUSION