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Les causes de la segmentation sociospatiale

MODELE STANDARD

1. Le modèle standard de l’économie urbaine

1.4. Extensions du modèle

1.4.1.2. Modélisation du coût généralisé du transport

Pour introduire le coût associé au temps consacré au transport, deux modifications sont apportées au modèle simple. Le revenu du ménage est fonction du temps de travail tel que : Y =w t t( − −l t dt. ) avec w le salaire par unité de temps, t le temps total disponible par période de temps (par exemple, par jour), t le temps de loisir, l t le temps unitaire consacré au t

transport et d la distance domicile-travail. La contrainte budgétaire s’écrit alors :

( l t. ) ( ).

w t− −t t dad =R d S+X (10)

Le coût total du transport est tel que : T dT( )=t d w adt. . + avec a une constante positive. . .t w d et ad représentent respectivement les fractions temporelle et monétaire du t

coût du transport. La contrainte budgétaire peut donc s’écrire aussi sous la forme suivante :

( l) T( ) ( ).

w t− −t T d =R d S+X (11)

Compte tenu de cette nouvelle formulation du coût de transport, une hausse du salaire a deux effets contradictoires. D’une part, plus le salaire des individus est élevé, plus ils sont attirés par les logements de la périphérie car les coûts de transport pèsent relativement moins

le coût total de déplacement incitent alors les populations riches à se localiser près du centre des affaires, d’autant plus s’il y a congestion.

En raison de ces deux effets contradictoires, la localisation des riches par rapport aux populations pauvres est indéterminée a priori. Le choix entre la périphérie et le centre-ville dépendra alors de la comparaison entre l’élasticité-revenu de la demande de logement et l’élasticité-revenu du coût marginal du transport. En effet, sachant que ( , ) '

* ( , ) T d T d v d S d v ∂Ψ = ∂ ,

l’effet d’une variation du salaire sur la pente de la fonction d’enchère est tel que :

(

)

' ( , ) . *( , ) T d T d v d w w S d v

τ ε

∂Ψ = ∂ ∂ (12)

τ

représente l’élasticité-revenu du coût marginal du transport et

ε

l’élasticité-revenu de la demande de logement32. Si

τ ε

> alors l’expression est positive, ce qui signifie que la pente, en valeur absolue, de la fonction d’enchère augmente avec le revenu. Autrement dit, si suite à une hausse du revenu, le coût marginal du transport augmente plus que la demande de logement, alors le ménage choisira de résider près du centre des affaires (courbe d’enchère plus pentue). En résumé, une augmentation du revenu conduit le ménage à préférer le centre de la ville si l’élasticité-revenu du coût marginal du transport généralisé est supérieure à l’élasticité-revenu de la surface de logement.

Toutefois, l’estimation empirique des élasticités-revenu ne corrobore pas de manière tranchée le résultat du modèle étendu. Dans le cadre des villes américaines, les populations riches vivent plutôt en banlieue pendant que les populations pauvres résident près du centre. Conformément au modèle étendu, cela devrait s’expliquer par une élasticité-revenu du coût marginal de transport inférieur à celle de la surface de logement. Or, Wheaton (1977) trouve des valeurs proches pour les deux élasticités-revenu, ce qui suggère que la répartition des classes de revenus est influencée par d’autres déterminants que le seul arbitrage entre le coût de transport et la demande de logement [Goffette-Nagot, Thomas et Zenou (2000)].

32

Dans le cadre des villes françaises, Cavailhès (2005) trouve que l’élasticité-revenu de la demande de logement est supérieure à l’élasticité-revenu du coût marginal du transport (respectivement 0,25 et 0,12). Ainsi peut-on expliquer « la localisation en centre-ville des ouvriers plus attachés à l’accessibilité qu’à la surface de leur logement, et à l’inverse, la préférence pour la périphérie des cadres plus soucieux de disposer de place » [Cavailhès (2005), p.114]. Les valeurs empiriques obtenues et leurs implications en termes de répartition spatiale des classes de revenus sont donc en adéquation avec ce qui est effectivement observé dans l’espace urbain français (hors agglomération parisienne et quelques grandes aires urbaines françaises).

1.4.2.

L’introduction de la composition des ménages

Dans le chapitre I, l’ACP réalisée sur le pôle urbain de Paris suggère que le choix de localisation d’un ménage dépend de sa composition démographique. Nous observons notamment que la proportion de ménages composés d’une seule personne décroît à mesure que les communes sont éloignées de Paris. Cette dimension est occultée dans le modèle standard : les ménages sont supposés identiques, la seule caractéristique modulable étant toutefois leur niveau de revenu. Or, une famille nombreuse est plus susceptible de choisir une localisation en périphérie afin de bénéficier d’un logement plus spacieux. Le résultat de l’arbitrage entre accessibilité et surface de logement varie donc en fonction du nombre d’inactifs dans le ménage.

Dans la continuité des modèles de Beckmann (1973) et de Hochman et Ofek (1977)33, Fujita (1989) différencie les ménages en fonction du nombre d’actifs et d’inactifs qui les composent. Seuls les actifs se déplacent (si bien qu’ils supportent le coût total du transport en termes monétaires et temporels) et alimentent les revenus du travail du ménage alors que l’ensemble des membres du foyer (inactifs et actifs) influence la demande de logement. La

33 Hochman et Ofek (1977) expliquent que le fait de résider dans un logement plus spacieux situé en périphérie profite à l’ensemble des membres du ménage alors que le coût du transport n’est supporté que par les actifs. En conséquence, le lieu d’habitation d’une famille nombreuse sera plus éloigné du centre que celui d’un ménage de

contrainte de budget du modèle d’économie urbaine s’écrit alors : ( ) ( ) ( ) ( ) w l t w w t w w l n w t t t d a d n R d S X n w t t d a d n R d S X n w t ⋅ ⋅ − − ⋅ − ⋅ ⋅ = ⋅ + ⇔ ⋅ ⋅ − ⋅ − ⋅ ⋅ = ⋅ + + ⋅ ⋅ (13)

avec nw le nombre d’actifs dans le ménage.

Ainsi, un ménage composé de deux adultes qui travaillent présente un coût de transport total et un revenu plus élevés par rapport à un ménage où un seul des deux membres travaille. Dans le cas d’un ménage où un des deux actifs perd son emploi, la diminution des frais de transport incite le ménage à résider plus loin du centre des affaires alors que la baisse du revenu diminue leur demande de logement. La comparaison des deux élasticités-revenu détermine alors la localisation du ménage. Goffette-Nagot, Péguy et Schmitt (2000) montrent que si l’élasticité-revenu de la demande de surface est inférieure à 1 alors une augmentation du nombre d’inactifs implique une baisse de la demande de logement inférieure à la baisse des coûts de transport. Dans ce cas, l’accroissement de la proportion d’inactifs favorise les localisations périphériques en aplatissant la courbe d’enchère foncière. Ce résultat théorique est cohérent avec la structure sociospatiale observée dans le pôle urbain de Paris et les estimations de Cavailhès selon lesquelles l’élasticité-revenu de la demande de logement est inférieure à 1.

1.4.3.

Localisation du lieu des emplois

Le modèle standard, élaboré à la fin des années 1960, suppose un bassin d’emploi unique, localisé au centre de la ville et exogène. Cette hypothèse peut être remise en cause dans deux directions34. Une première série de modèles prend en compte le phénomène de décentralisation des emplois et la multiplicité des centres d’emplois en préférant l’hypothèse de polycentrisme35 à celle de l’unicité du centre des emplois. La forme de l’enchère foncière

34 Bien que l’hypothèse d’un lieu des emplois central, unique et exogène soit au cœur du modèle standard, nous aborderons brièvement la question de sa remise en cause, préférant nous concentrer dans la deuxième partie de ce chapitre sur les deux hypothèses jugées importantes dans le cadre de notre travail de thèse.

35 Même si certaines villes demeurent monocentriques [Le Jeannic (1997)], conservant en leur centre l’essentiel des activités, d’autres sont caractérisées par une dispersion en leur sein des fonctions anciennement localisées au centre. Existent le polycentrisme monofonctionnel et polyfonctionnel. Ainsi, les villes polycentriques

est alors modifiée en admettant des pics locaux à proximité des centres secondaires [Papageorgiou (1971 et 1976), Papageorgiou et Casetti (1971), Papageorgiou et Mullaly (1976), Fujita et Ogawa (1982)].

Une seconde série de travaux abandonne l’hypothèse de prédétermination du lieu des emplois. Dans un cadre d’équilibre général, les choix de localisation des ménages et des firmes sont analysés simultanément pour rendre compte de leurs interactions sur le marché des biens et sur le marché du travail. Le désir d’être proches des autres firmes pour exploiter des économies d’agglomération, d’être au contact des consommateurs et de la main d’œuvre interviennent dans les choix de localisation des entreprises. La formation des lieux de concentration des emplois devient donc endogène. Ces travaux portant sur les forces d’agglomération sont à l’origine de la Nouvelle Economie Géographique dont la paternité revient à Krugman (1991a et 1991b) et dont une partie des travaux est consacrée à l’analyse de la formation des villes et des systèmes de villes [pour une revue de la littérature, voir Duranton (1997), Fujita et Thisse (2003)].

Dans les parties suivantes, nous soulignons l’importance des préférences des ménages lors de leurs choix résidentiels et présentons les principales entraves à leur libre localisation.

2.

Le rôle des aménités locales

Dans son sens commun, l’aménité définit l’agrément d’un lieu, source de bien-être. Les aménités naturelles (rivière, côte, lac, montagne, etc.), historiques et patrimoniales sont dites exogènes alors que les aménités dont l’existence est fonction des caractéristiques économiques du lieu et de ses habitants sont dites endogènes (piscine, théâtre, courts de tennis, etc.). La première sous-section présente comment ces aménités locales non sociales interfèrent dans les choix résidentiels des ménages.

La deuxième sous-section porte sur un type d’aménités locales sociales : les « crowding externalities » selon lesquelles les ménages peuvent subir des externalités négatives à cause de la concentration d’individus à proximité de leur localisation résidentielle. Ces effets externes peuvent être assimilés à des aménités endogènes.