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ségrégation sociospatiale

3.4. Les autres mesures de la politique de la ville

Les autres mesures permettant d’enrayer la dynamique ségrégative s’inscrivent dans les procédures de renouvellement urbain. Ce dernier représente « l’ensemble des interventions mises en œuvre dans les quartiers en crise, en vue d’améliorer leur fonctionnement et de favoriser leur insertion dans la ville » [Ali Saïd Guérain (2003)]. Aux côtés des actions sur le logement que nous avons citées plus haut, les autres interventions empruntent des voies multiples : l’amélioration de la desserte des transports, la création de nouveaux services publics, l’implantation d’entreprises, etc. Ces mesures sont définies dans un projet urbain unique veillant à leur cohérence et reposant sur la mobilisation de vastes financements publics.

Conformément à notre grille de lecture, ces mesures peuvent être réparties en deux

95 La nouvelle offre locative sociale passe par la remise sur le marché des logements vacants ou par une production nouvelle. La démolition est prévue « en cas de nécessité liée à la vétusté, à l’inadaptation de la demande ou à la mise en œuvre du projet urbain » (cf. Chap. II, Art. 6).

96 Les autres recettes proviennent des contributions de l’union d’économie sociale du logement, des subventions de la Caisse des Dépôts et Consignations, d’emprunts contractés, de la rémunération de prestations, de la vente de biens mobiliers et immobiliers, de dons et de legs... (cf. Chap. III, Art. 12).

catégories selon qu’elles s’attachent à réduire la distance domicile-travail ou à améliorer les caractéristiques des quartiers.

D’après les enseignements tirés des théories du « spatial mismatch », une réduction de la distance domicile-travail permettrait aux populations en difficulté d’avoir de meilleurs résultats sur le marché du travail et de meilleures perspectives de revenus. Dans cet objectif, les autorités publiques peuvent recréer un lien physique entre le quartier résidentiel ségrégué et le lieu des emplois ou bien « apporter » les opportunités d’emplois aux individus ségrégués. Selon le cas, il s’agit d’améliorer l’accès aux ressources économiques des quartiers dynamiques ou d’accroître les propres ressources économiques du quartier isolé.

Face à l’enclavement physique des quartiers et la mauvaise accessibilité aux emplois, l’Etat peut recréer un lien physique entre les quartiers ségrégués et les quartiers dynamiques grâce à la politique du transport urbain (amélioration des dessertes en termes d’horaires, de fréquence et de couverture géographique, subventionnement du coût du transport en commun), grâce à des investissements en matière d’infrastructures routières... De meilleures connections physiques entre les quartiers devraient favoriser la mobilité intra-urbaine et réduire ainsi les méfaits de la distance domicile-travail des populations habitant dans les quartiers déshérités. Leurs résultats sur le marché du travail (en termes de statut et de salaires) s’en trouveraient alors améliorés. Le métro qui relie Toulouse aux quartiers de Reynerie et du Mirail, la ligne qui dessert Frais-Vallon au nord de Marseille ou le prolongement de la ligne 13 dans le quartier du Luth à Gennevilliers illustrent la volonté de désenclavement des grands ensembles [Chaline (2008)].

Développer l’emploi local là où les populations en difficulté sont ségréguées permet d’améliorer leurs chances de réinsertion sur le marché du travail. « La priorité accordée à la dimension économique dans les situations « d’exclusion » tient à la reconnaissance de la place du travail dans la construction des identités sociales » [Jaillet et alii (2003), p. 11]. Les zones franches urbaines s’inscrivent dans cet objectif de lutte contre la ségrégation

sociospatiale en agissant sur la demande de travail97. Egalement, l’implantation d’agences locales pour l’emploi permet de donner aux personnes en difficulté un meilleur accès à l’information.

La réintégration dans la ville des quartiers stigmatisés suppose une intervention publique multidimensionnelle. Outre la revitalisation économique, une action sur le bâti, sur l’école, la sécurité, les équipements sportifs et culturels, etc. permet d’améliorer la situation socio-économique des individus et de stabiliser le peuplement du quartier. Les différentes politiques publiques menées en France et à l’étranger témoignent de ces multiples préoccupations.

Dans le domaine de l’éducation, le « rôle intégrateur de l’institution scolaire » constitue un principe directeur de la politique de la ville [Chaline (2008)]. A la rentrée scolaire de 1982, des zones d’éducation prioritaires (ZEP) ont été mises en place en France afin de « donner plus à ce qui ont le moins ». Il s’agissait de fournir aux établissements classés en ZEP un surcroît d’heures d’enseignement, de verser des crédits indemnitaires aux personnels des établissements et de réduire les effectifs dans les classes. Le manque de moyens accordés aux établissements, la baisse des prix fonciers dans les quartiers classés en ZEP, la tendance à l’évitement de ces quartiers par les classes moyennes et supérieures viennent toutefois nuancer les bienfaits de ce dispositif. Toujours est-il que malgré les défauts attribués à cette politique éducative territorialisée, l’objectif est d’améliorer l’égalité des chances et de permettre aux enfants issus de quartiers stigmatisés et de familles aux ressources économiques et culturelles faibles d’améliorer leur acquisition de capital humain et leurs résultats futurs en matière d’emploi et de revenus.

Conclusion

En trente ans, la lutte contre la ségrégation sociospatiale a mobilisé une grande

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La politique des zones franches urbaines consiste à attirer l’implantation d’entreprises dans des zone urbaines spécifiques (en matière de chômage, de pauvreté, d’éducation, de criminalité…). Le contrat incitatif est le suivant : en échange de l’exemption de taxes pendant au moins cinq ans, l’entreprise s’engage à ce que 20% de sa main d’œuvre habite dans la zone franche concernée.

diversité d’instruments dans le cadre de la politique de la ville : procédure Habitat et Vie Sociale pour réhabiliter les grands ensembles (1977), missions locales pour l’emploi (1981), Zones d’Education Prioritaire (1981), conseils communaux de prévention de la délinquance (1982), procédure du Développement Social des Quartiers (1982), les contrats de ville, les Grands Projets Urbains (1994, puis Grands Projets de Ville en 2000), la discrimination positive dans le domaine économique grâce aux Zones Franches Urbaines (1996), le programme de renouvellement urbain (1998) puis de rénovation urbaine (2002). Par son caractère multidimensionnel, la politique de la ville vise plusieurs objectifs : rendre les quartiers plus attractifs par une amélioration du bâti, des espaces publics et des services et par un renforcement de la sécurité locale ; développer des activités économiques pour rompre le monofonctionnalisme et réduire la distance domicile-travail ; diversifier l’offre de logements (démolitions, constructions, réhabilitations) ; etc.

La compréhension des phénomènes de segmentation et de ségrégation a conduit à considérer deux objectifs stratégiques dans la lutte contre la ségrégation sociospatiale : prévenir la formation d’enclaves urbaines et enrayer le processus de ségrégation sociospatiale en réduisant la distance domicile-travail et en améliorant les caractéristiques des quartiers ségrégués. Les différents instruments de l’action publique peuvent alors être classés selon cette grille de lecture.

Dans la mesure où l’état de segmentation sociale naît en partie du fonctionnement du marché du logement, notre propos s’est concentré sur la politique d’aide au logement dont nous avons présenté les principes directeurs et les modalités d’action. Les objectifs traditionnels de desserrage de la contrainte budgétaire et de production de logements abordables s’inscrivent également dans la démarche de lutte contre la ségrégation sociospatiale.

L’action publique ne se réduit donc pas à la seule politique de la ville pour laquelle l’action de lutte contre la ségrégation sociospatiale porte exclusivement sur les quartiers déshérités. Considérant, au nom de la solidarité nationale, que les territoires les plus

régulation de l’Etat se fait par voie législative et sur le principe de la contrainte puisque l’article 55 de la loi SRU oblige les communes à diversifier leur offre de logements sous peine d’une sanction financière tant qu’elles ne proposent pas au moins 20 % de logements sociaux. Le caractère novateur et original de ce dispositif, au vu de la panoplie des instruments généralement utilisés en matière de politique d’aide au logement et de correction des déséquilibres socio-territoriaux, nous conduit à nous interroger sur sa pertinence. Le principe d’une norme de logements sociaux à atteindre et d’une sanction constitue-t-il une force de contrainte suffisante pour inciter les communes peu pourvues en logements sociaux à augmenter leur offre ? Une telle question se pose dans la mesure où l’état de segmentation sociospatiale naît en partie du jeu des préférences des ménages, notamment en matière de composition sociale des quartiers. Le chapitre V a pour objet de répondre à cette question.

CHAPITRE V

Analyse théorique d’une politique d’incitation