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« White flight »

5. Les contraintes d’accès à l’espace résidentiel

5.3. Les discriminations sur les marchés du logement et du crédit

5.3.1.

L’impact des discriminations sur le marché du logement

Les discriminations sur le marché du logement peuvent être opérées au moment de la prospection ou lors de l’attribution des logements. Lors de la prospection, pour un budget comparable, les agents immobiliers peuvent proposer aux minorités ethniques de visiter un nombre moins important de logements par rapport aux propositions de visite faites aux ménages Blancs [Yinger (1986)]. Trois explications peuvent être mobilisées :

- les préjugés de l’agent immobilier (« agent-prejudice hypothesis ») : il limite les propositions de visites faites aux minorités ethniques pour éviter de traiter avec elles [Yinger (1986)] ;

- les préjugés des clients (« white-customer-prejudice hypothesis » ou « customer

discrimination » : l’agent immobilier évince les minorités de certains quartiers afin que ceux-ci restent attractifs aux yeux des populations blanches potentiellement clientes [Yinger (1986) ; Ondrick, Ross et Yinger (2001)] ;

- les croyances de l’agent immobilier (« perceived preferences hypothesis »): il pense que les différents groupes ethniques préfèrent vivre dans des quartiers communautaires plutôt que dans des quartiers mixtes [Yinger (1986)].

souhaiter ne pas vendre ou ne pas louer leur logement à des minorités ethniques du fait de préférences xénophobes. Outre le « délit de faciès », le « délit de pauvreté » est aussi symptomatique de l’absence d’anonymat dans les transactions. Les bailleurs privés deviennent de plus en plus exigeants lors du choix d’un locataire, notamment dans les grandes villes. Le jeu de l’enchère ne porte pas sur le loyer (comme dans le modèle standard d’économie urbaine) mais sur les garanties apportées par le locataire potentiel. Ainsi, le locataire choisi sera celui qui présente les garanties les plus rassurantes aux yeux du propriétaire (revenu du locataire qui doit représenter au moins trois fois le loyer, revenus suffisamment élevés des personnes se portant caution). De telles exigences financières pénalisent surtout les populations en difficulté et limitent leurs possibilités de mobilité sociospatiale. Les bailleurs sociaux ont aussi parfois des politiques de peuplement de leurs logements discriminantes. Ainsi, leur droit de désignation des locataires leur donne la possibilité de discriminer entre les « mauvais » locataires et les « bons » locataires. Ainsi peuvent-ils placer les « mauvais » locataires caractérisés par des difficultés socio- économiques importantes dans les segments les moins valorisés de leur parc social [Deschamps (2001)]. La dimension ethnoculturelle des discriminations dans l’accès au logement social dont peuvent être victimes les populations d’origine étrangère est explorée par Simon et Kirszbaum (2001).

5.3.2.

L’impact des discriminations sur le marché du crédit

Dans le modèle standard d’économie urbaine, l’agent représentatif dispose d’un revenu du travail lui permettant d’assurer ses dépenses de logement et de bien composite. Dans le cas d’une acquisition du logement, les conditions d’accès au marché du crédit risquent d’influencer la disposition à payer des ménages et in fine leur localisation résidentielle. Ainsi, un faible niveau de revenu rend plus difficile la négociation du taux d’intérêt et des frais de dossier et d’assurance, ce qui peut contraindre les choix résidentiels des ménages58.

58 Il n’existe pas à notre connaissance d’extension du modèle standard intégrant une hypothèse de discrimination sur le marché du crédit.

Les habitants de certains quartiers stigmatisés peuvent aussi être victimes de discrimination sur le marché du crédit immobilier à cause de leur lieu de résidence (discrimination dite territoriale ou « redlining ») comme le constatent Bradbury, Case et Dunham (1989), Gabriel et Rosenthal et Duca (1991), Tootell (1996), etc. Des comportements de discrimination statistique peuvent aussi être constatés : si un ménage appartient à un groupe socio-ethnique caractérisé par un risque moyen de défaut élevé alors ce ménage subira un coût du crédit plus élevé ou aura plus de difficulté à voir sa demande de prêt accordée.

Conclusion

Ce chapitre a fourni une revue de la littérature théorique des déterminants de la localisation résidentielle des ménages. La répartition des classes de population dans des espaces de vie spatialement distincts est apparue comme le résultat de trois forces.

Premièrement, le fonctionnement naturel du marché foncier selon lequel les surfaces de logement sont allouées aux plus offrants conduit, conformément au modèle monocentrique, à une segmentation spatiale sur le critère du revenu. Or, « la division de l’espace urbain n’est pas un pur effet des choix individuels sous contrainte de revenu restant disponible après dépense de transport » (CAE, p. 64). Contrairement à ce que suppose le modèle standard d’économie urbaine, le logement n’a pas un caractère unidimensionnel et les ménages ne sont pas homogènes en dehors du critère du revenu. Ils expriment en effet des préférences différentes en matière d’aménités, de composition du voisinage et de fiscalité locale. Les populations sont alors prêtes à payer plus cher un logement dès lors que ses attributs sont conformes à leurs préférences (être proche des aménités qui sont valorisées, être situé dans une ville où les écoles sont réputées, ne pas payer trop d’impôts locaux, rechercher « l’entre-soi », etc.). L’expression des préférences différentes des ménages constitue alors un deuxième moteur de la segmentation sociale de l’espace. En parallèle, des contraintes peuvent aussi peser sur les choix de localisation des ménages, en dehors de la seule contrainte budgétaire. La localisation et la disponibilité des logements sociaux, les instruments de

les choix résidentiels des ménages, notamment des ménages aux revenus modestes ou d’origine étrangère.

Une fois analysés les rouages de la segmentation sociospatiale, survient la question de l’optimalité d’un tel tri spatial des populations. De nombreuses analyses portent à croire que la localisation résidentielle n’est pas neutre sur le niveau de revenu et le statut d’emploi des individus. Lorsque des populations en difficulté sont reléguées, en raison de leur situation socio-économique, dans des quartiers déshérités et isolés, leur exclusion spatiale renforce leur exclusion socio-économique par un certain nombre de mécanismes que le troisième chapitre aura pour objectif de présenter. La segmentation sociospatiale est alors à l’origine d’un processus cumulatif de ségrégation.

CHAPITRE III

Les conséquences