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Un des grands instigateurs contemporains dans l’étude de la parenté et à qui l’anthropologie doit beaucoup est Claude Lévi-Strauss. Pour le grand anthropologue français, un système de parenté consiste en un système arbitraire de représentations, et non des liens objectifs d’affiliation24 ou de consanguinité25 entre les individus. Il n’existe que dans la conscience des hommes. La descendance et la filiation sont secondaires par rapport à l’alliance dans les systèmes de parenté. En effet, l’alliance permet de coder la parenté ou encore d’opérer le passage de la parenté intensive à la parenté extensive (Viveiros de Castro, 2009a : 98). La prohibition de l’inceste, loi universelle lévi-straussienne, est centrale à sa théorie et permet d’établir des règles de bon échange des femmes, et parfois des hommes, dans une société. C’est d’ailleurs cet interdit qui permet le passage du fait naturel de la consanguinité au fait culturel de l’alliance (Lévi-Strauss, 1949 : 35 cité dans Godelier, 2013 : 58). L’échange est ainsi subsumé sous le concept d’exogamie. L’atome de parenté en vertu de l’échange matrimonial inclurait donc l’oncle maternel, donneur de femmes (de Heusch, 2011 : 93). Chez cet auteur, il existe un primat des rapports sur les termes, primat que l’on retrouve également dans l’animisme de façon généralisée (Lévi-Strauss, 1949 : 134 cité dans Godelier, 2013 : 71).

24 Adhésion au groupe.

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Une des grosses critiques de la théorie lévi-straussienne est le manque de considération du rôle de la subjectivité dans les relations de parenté (Gow, 1997 : 42). L’anthropologue social écossais Peter Gow spécialisé dans les mythes et la parenté en Amazonie affirme que la parenté est un système de subjectivité dans la mesure où les structures de base de la conscience humaine impliquent la conscience de Soi dans les Autres (ibid. : 39). Chez les Piro, la transformation des Autres en humains et des humains en Autres est clé. La parenté est donc définie comme étant le « bien vivre », une variété de relations harmonieuses et fonctionnelles avec un monde d’Autrui. La parenté se détache donc sur un fond cosmique de l’altérité. Cette proposition résonne avec l’animisme et la destinée ultime araweté.

Aussi, en Amazonie, la consanguinité et l’affinité se retrouvent en opposition fondamentale au sein de systèmes dravidiens de parenté et dans la conception des relations entre les humains et avec les non-humains (Yvinec, 2005 : 50). D’ailleurs, les relations entre les humains et les non-humains peuvent prendre diverses formes, particulièrement celles liées à l’affinité. En effet, l’affinité potentielle ou la méta-affinité est la forme générique et non marquée de l’altérité en Amazonie (Viveiros de Castro, 2001 ; Taylor, 2000 citée dans Yvinec, 2005 : 50). Ainsi, les relations entre les humains et les non-humains sont ontologiquement et sociologiquement distantes. De plus, la figure de l’affin réel est celle de l’ennemi. De la sorte, on retrouve chez les Achuar et autres groupes amazoniens des cas de séduction de la proie au sein de la chasse. De plus, ces relations impliquent une dualité chez le non-humain, dualité retrouvée également dans les relations entre humains : les femmes que l’on doit s’approprier et les hommes qu’il faut tuer. Selon l’anthropologue Cédric Yvinec, cette dualité empêche une socialisation complète sous la forme d’une consanguinisation du non-humain, le but désiré (ibid. : 51-52). Des distinctions de génération et de sexe sont à noter dans la différence de statut au sein des relations tel qu’il le sera démontré avec les Achuar. Ainsi, l’opposition entre consanguinité et affinité, entre une position actuelle et une position virtuelle et entre une position antérieure et une position éventuelle sont perceptibles dans les relations entre humains et non-humains.

Cependant, ces relations doivent être vues comme des passages et des trajectoires entre plusieurs situations et non de façon isolée (ibid. : 47). D’abord, une dialectique où trois perspectives – du sujet sur le non-humain, du sujet sur les humains et des humains sur le sujet

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– ne coïncident pas, c’est-à-dire que nul sujet ne peut posséder la position d’humain unifié et non équivoque. Ensuite, aucune relation ne peut être saisie seule et séparée des autres relations que le sujet entretient avec les humains et les non-humains. Chaque interaction avec un non- humain implique, exclut ou entraîne un autre type de relations (Yvinec, 2005 : 50).

Encore, en Amazonie, il existe une absence générique de la notion de parenté (Vilaça, 2002 : 354). Le processus de fabrication des parents passe surtout par la consubstantialisation générée par la proximité, la cohabitation, la commensalité, le désir de devenir parent, etc. Le corps est central à ce processus, puisque c’est à travers ce dernier que s’expriment les idiomes de la parenté : les parents possèdent le même corps et la même manière d’être. Ainsi, les relations sociales se développent dans le corps. Par exemple, les pécaris vivent en bande puisque leurs corps sont « faits comme ça » (ibid.). La fabrication de parents implique donc un dialogue constant avec d’autres subjectivités humaines et non humaines. Par exemple, la couvade illustre parfaitement ce dialogue. À la naissance d’un enfant, pendant que son corps est en formation, les parents doivent empêcher par divers moyens que l’esprit de leur enfant ne soit capturé par d’autres espèces et transformé en cet autre (ibid. : 360).