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L’ontologie du non-humain en Amazonie selon les écrits de Philippe Descola et d’Eduardo Viveiros de Castro

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Academic year: 2021

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Université de Montréal

L’ontologie du non-humain en Amazonie selon les écrits de Philippe Descola et d’Eduardo Viveiros de Castro

Par

Aude Leroux-Chartré

Département d’anthropologie Faculté des arts et des sciences

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures et postdoctorales en vue de l’obtention du grade de Maître ès science (M. Sc.)

en anthropologie

Août 2014

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Université de Montréal

Faculté des études supérieures et postdoctorales

Ce mémoire intitulé :

L’ontologie du non-humain en Amazonie selon les écrits de Philippe Descola et d’Eduardo Viveiros de Castro

Présenté par : Aude Leroux-Chartré

A été évalué par un jury composé des personnes suivantes : Mme Marie-Pierre Bousquet

Président-rapporteur M. Robert Crépeau Directeur de recherche Mme Anne-Marie Colpron

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Résumé

Le non-humain et son ontologie sont définis dans ce mémoire en fonction des écrits de Philippe Descola et d’Eduardo Viveiros de Castro, deux figures-clés en anthropologie contemporaine sur l’Amazonie. L’animisme de Descola prête aux non-humains une intériorité humaine et les différencie par leur corps. Le perspectivisme de Viveiros de Castro, quant à lui, suppose que les points de vue différents créent des mondes et établissent ce qui est humain ou non. L’humain correspond au sujet cosmologique à la position pronominale de la première personne du singulier, ou « I », au sein d’une relation. De la sorte, un non-humain se perçoit comme un humain à cette position pronominale « I » et voit l’Autre à la position pronominale « it », position du non-humain. Dans ces deux ontologies, le non-humain est conçu comme une personne capable d’agir dans les mondes. La diversité des êtres inclus dans cette ontologie relationnelle est démontrée par des illustrations provenant de l’ethnographie achuar et araweté de ces deux auteurs. Puis, les relations de parenté, d’alliance et de prédation que les non-humains tissent entre eux et avec les non-humains exposent l’homologie des rapports non-non-humains avec les rapports humains. Finalement, l’analyse des méthodes de communication entre le non-humain et l’humain élucide comment la reconnaissance du non-humain dans une communication permet le traitement de ces êtres en tant qu’humains. Le non-humain ne serait donc pas un sujet permanent, mais temporaire le moment de l’interaction.

Mots-clés : non-humain, ontologie, animisme, perspectivisme, Amazonie, Achuar, Araweté, autochtone

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Abstract

The non-human and its ontology are defined in this paper based on the writings of Philippe Descola and Eduardo Viveiros de Castro, two key figures in contemporary anthropology concerning the Amazon. Animism, according to Descola, grants a human interiority to non-humans and differentiates them by their bodies. Viveiros de Castro’s perspectivism, meanwhile, assumes that various points of view create different worlds and establish what is human and what is not. The human corresponds, then, to the cosmological reflexive pronoun "I" in a relationship. Thus, a non-human perceives itself as a human and sees the Other to the impersonal pronoun "it", the position of the non-human. In both ontologies, the non-human is conceived as a person capable of acting in the worlds. The diversity of beings included in this relational ontology is illustrated with the ethnography of these two authors regarding the Achuar and the Araweté. Also, relationships of kinship, alliance and predation weaved among the non-humans and with the humans exhibit a homology based on human relationships. Finally, the analysis of the various methods of communication between humans and humans elucidates how the recognition of non-humans in a communication addresses them as non-humans. The non-human is therefore not a permanent subject, but a temporary one during the interaction.

Keywords: non-human, ontology, animism, perspectivism, the Amazon, Achuar, Araweté, indigenous

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Tables des matières

Résumé ... iv

Abstact ... v

Liste des figures ... x

Dédicace ... xi

Remerciements ... xii

Introduction ... 13

Méthodologie ... 14

Plan du mémoire ... 16

Bref historique du non-humain ... 19

L’ancien animisme et le non-humain des « primitifs »... 20

Edward Tylor ... 21

Parenthèse lévi-straussienne et le non-humain « bon à penser » ... 24

Le nouvel animisme et le non-humain relationnel ... 27

Alfred I. Hallowell ... 27

Le non-humain animiste et perspectiviste en Amazonie ... 30

Philippe Descola ... 31

Eduardo Viveiros de Castro ... 34

Autres théories et critiques de l’animisme et du perspectivisme ... 38

Le non-humain en anthropologie socioculturelle ... 39

Considérations finales ... 41

Êtreté : le corps, l’âme et la personne ... 42

L’êtreté selon les écrits de Descola ... 44

Le corps et l’âme chez les Achuar ... 45

La personne chez les Achuar ... 47

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Le corps et l’âme chez les Araweté ... 50

La personne chez les Araweté ... 51

Considérations finales ... 52

Critique 1 : Ignorance du genre-sexe dans le traitement de la personne ... 53

Critique 2 : Ignorance de la mortalité et des actions quotidiennes ... 54

Espèces – Qui sont les non-humains? ... 56

Espèces non-humaines chez les Achuar ... 57

Classification animale ... 58

Classification végétale ... 61

Classification autre dite surnaturelle ... 62

Espèces non-humains chez les Araweté ... 65

Classification animale ... 66

Classification autre dite surnaturelle ... 67

Considérations finales ... 71

Relations de parenté, d’alliance et de prédation avec et chez le non-humain – Les positions définies ... 73

Relations de parenté ... 75

Relations d’amitié et d’alliance ... 77

Relations de prédation, d’hostilité et de guerre ... 78

Relations de parenté, d’alliance et de prédation avec et chez le non-humain selon les écrits de Descola ... 80

Relation de parenté dans les écrits de Descola ... 80

Chez les Achuar ... 81

Relations d’amitié et d’alliance dans les écrits de Descola ... 85

Chez les Achuar ... 86

Relations de prédation, d’hostilité et de guerre dans les écrits de Descola ... 89

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viii

Synthèse ... 92

Relations de parenté, d’alliance et de prédation avec et chez le non-humain selon les écrits de Viveiros de Castro ... 94

Relation de parenté dans les écrits de Viveiros de Castro ... 94

Chez les Araweté ... 96

Relations d’amitié et d’alliance dans les écrits de Viveiros de Castro ... 97

Chez les Araweté ... 98

Relations de prédation, d’hostilité et de guerre dans les écrits de Viveiros de Castro ... 100

Chez les Araweté ... 100

Synthèse ... 103

Considérations finales sur les relations de parenté, d’alliance et de prédation avec et chez le non-humain ... 105

Critique 1 : la temporalité ... 106

Critique 2 : les contre-exemples ... 107

De la communication avec et chez le non-humain ... 110

Communication avec le non-humain chez Descola ... 111

Communication avec le non-humain chez Viveiros de Castro ... 111

Pérégrinations et voyages de l’âme... 112

Rêve ... 112

Chez les Achuar ... 113

Chez les Araweté ... 115

Sous l’influence de substances hallucinogènes ... 116

Le natem chez les Achuar ... 116

Le tabac chez les Araweté ... 116

Communication verbalisée avec le non-humain ... 117

Anents chez les Achuar ... 118

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Considérations finales ... 120

Critique 1 : L’idiome de la parenté dans le rapport de la communication avec le non- humain ou l’émergence du sujet non-humain ... 121

Critique 2 : L’auteur et la traduction - Qui parle dans les anents et les chants chamaniques? ... 122

Conclusion ... 124

Limites ... 129

L’avenir de la recherche sur le non-humain ... 129

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x

Liste des figures

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xi

À mon grand-papa Roger Leroux (1929-2013)

À ma fille Rosaline, dont la naissance correspond à la fin de ce projet

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Remerciements

Ce projet n’aurait pas abouti sans la participation, le support et l’encouragement d’un bon nombre de personnes et d’organismes. J’aimerais leur témoigner ici toute ma gratitude.

D’abord, je tiens à remercier mon directeur de mémoire, Robert Crépeau, pour ses judicieux conseils, sa générosité et pour avoir cru en mes capacités à mener ce mémoire à terme. Merci au département d’anthropologie et à Andrée Dufour pour m’avoir appuyée sans relâche dans ce projet.

Ensuite, j’aimerais remercier ma famille, en particulier mon conjoint Yannick et ma mère Andrée, pour leur écoute sans pareil et leur support dans les bons moments et les moins bons. De plus, j’aimerais souligner ma gratitude à de nombreux collègues et amis : Yann et Sophie, Aurélie, Pamela, Émilie, Paul, le groupe de discussion B092014B, l’AnthroCrew de l’Université McGill et plusieurs autres. Votre réconfort et nos discussions enrichissantes m’ont été d’un très grand soutien.

Finalement, je remercie le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), la fondation Arsène-David, la Faculté des études supérieures et postdoctorales ainsi que l’Équipe de recherche sur les spiritualités amérindiennes et Inuit (ERSAI) pour leur support financier qui a grandement facilité la bonne réalisation de ce projet.

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Introduction

L’Amazonie est peuplée depuis toujours d’une myriade d’êtres possédant une intentionnalité et une capacité à agir dans le monde à l’instar des humains. Ces êtres ou entités – qu’ils soient des animaux, des esprits, des plantes, des dieux, etc. – sont inclus dans les frontières de l’humanité, qui ne se limitent pas aux humains chez les peuples autochtones amazoniens. L’animisme et le perspectivisme sont deux ontologies – étude de l’être, monde figuré dans lequel la pratique est formée ou, encore, manière d’être dans le monde – couramment utilisées afin de décrire cette caractéristique de la cosmologie amazonienne à percevoir ces êtres en tant qu’humains. En effet, suivant l’animisme, redéfini en 2005 par l’anthropologue français Philippe Descola comme étant l’attribution de l’intériorité des humains aux non-humains et la différenciation par leur corps, ces non-humains se perçoivent comme des humains puisqu’ils ont des intériorités, des âmes, des subjectivités semblables à celles des humains, et ce, en dépit d’une différence de corps et de forme. À cela s’ajoute la notion de perspective de l’anthropologue brésilien Eduardo Viveiros de Castro : les non-humains ne voient pas les non-humains comme des non-humains, mais comme des non-non-humains. Il s’agit d’une position au sein d’une relation ; le sujet cosmologique se voit comme un humain, à la position pronominale de la première personne du singulier « I », tandis qu’il perçoit l’Autre comme un non-humain à la position pronominale de la troisième personne du singulier « it »1. Ainsi, les relations que les humains entretiennent avec le non-humain reflètent un peu ce qu’ils sont. En explorant ces non-humains et les relations tissées avec ces derniers, il est possible de comprendre davantage en quoi consistent l’humain et ses collectifs.

Ces êtres ont connu au fil des ans diverses appellations : êtres de la nature, entités surnaturelles pour les esprits et les dieux, existants, autres-que-humains, superpersonnes, et plus récemment, non-humains. Plusieurs définitions sur ce mystérieux concept ont été élaborées par Descola et Viveiros de Castro. Cependant, les diverses formes et modalités des non-humains ont fait peu ou prou l’objet d’études détaillées, à l’exception de l’étude sur la communication par l’américaniste Cédric Yvinec, et ce, malgré leur manifestation première et

1 Les positions pronominales sont employées en anglais, puisque celle de la troisième personne du singulier « it » référant à des choses n’existe pas en français et correspond davantage à la notion du non-humain.

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concrète dans ces ontologies (Yvinec, 2005 : 41). Le but de ce mémoire va donc en ce sens : problématiser la définition et l’ontologie du non-humain en anthropologie, plus particulièrement en Amazonie où la littérature sur le sujet est riche. Qu’est-ce qu’un non-humain? Qui est un non-non-humain? Quelles sont les relations tissées entre le non-humain et l’humain? Comment le non-humain communique-t-il? Ce sont de multiples questions auxquelles ce mémoire tentera de répondre.

Méthodologie

Le présent projet de recherche porte sur une analyse comparative et bibliographique des contributions de deux importants auteurs œuvrant en Amazonie : les écrits de Philippe Descola et d’Eduardo Viveiros de Castro. Ces auteurs présentent respectivement l’animisme et le perspectivisme, deux ontologies où tout est susceptible d’apparaître comme humain sous certaines circonstances et où l’on retrouve le non-humain. Ils ont été sélectionnés pour l’influence qu’ils ont eue dans la définition de ces concepts-clés, utilisés à maintes reprises par leurs collègues et leurs héritiers intellectuels. Ils représentent donc la première génération du traitement du non-humain en Amazonie.

Aussi, l’œuvre structuraliste du grand anthropologue français Claude Lévi-Strauss sert de point focal d’interrogation dans cette analyse. Cet auteur présente les animaux, et les non-humains, comme étant « good to think with » afin d’observer les systèmes de classification et de signification des anthropologues et des autochtones (1962b: 89). Il trouve une place, quoiqu’effacée, dans ce mémoire par son importance intellectuelle et les réflexions qu’elle a suscitée chez les deux auteurs centraux. Descola et Viveiros de Castro sont chacun des héritiers de Lévi-Strauss à leur façon.

Pour définir le non-humain et son ontologie, un retour aux textes fondateurs est privilégié, particulièrement La pensée sauvage Strauss, 1962), Le cru et le cuit (Lévi-Strauss, 1964), La nature domestique. Symbolisme et praxis dans l’écologie des Achuar (Descola, 1986), Les lances du crépuscule: relations Jivaros. Haute Amazonie (Descola, 1993), Arawete: Os Deuses Cannibais (Viveiros de Castro, 1986) et The Inconstancy of the Indian Soul. The Encounter of Catholics and Cannibals in 16th-Century Brasil (Viveiros de Castro, 2011). Puisque les données sont déjà analysées et présentées par les auteurs, le

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non-15

humain présenté dans ce mémoire reflètera la conception qu’ont les anthropologues de ce concept, plutôt que la pensée autochtone directement. Ce mémoire a donc une valeur épistémologique.

En plus de présenter théoriquement le non-humain selon les écrits de Philippe Descola et d’Eduardo Viveiros de Castro, le non-humain sera illustré avec leurs données ethnographiques sur les Achuar pour Descola et sur les Araweté pour Viveiros de Castro. Les Achuar sont une population amazonienne jivaro située entre le Pérou et l’Équateur d’environ 4 500 personnes (Descola, 1986 : 16). Ce groupe dit belliqueux, connu pour sa chasse aux têtes réduites, a été le dernier groupe jivaro à être contacté par les blancs. Les Araweté, quant à eux, sont un groupe tupi-guarani d’environ 450 personnes de l’Amazonie brésilienne situé entre les rivières Xingu et Tocantins (Viveiros de Castro, 1992 : 1-2). Ces deux tribus sont réputées pour l’importance du chamanisme dans leur cosmologie ainsi que pour la taxonomie extensive de leur monde surnaturel.

En ce qui a trait à la collecte et l’analyse des données, une grille de collecte de données du corpus mentionné précédemment a été établie dans le logiciel Filemaker Pro en fonction de divers thèmes, et ce, dans un but d’analyse par théorisation ancrée. La théorisation ancrée permet de regrouper conceptuellement les données recueillies sans se baser sur une hypothèse préalable avant de trouver une signification aux données. Au niveau de l’analyse, un rubricage a été effectué à partir de ces données thématiques pour former différentes catégories centrales aux cosmologies amazoniennes, plus particulièrement à l’ontologie du non-humain. À travers des généralisations et des comparaisons, il a été possible d’établir les relations entre les thèmes relevés lors de la collecte et les catégories. Un retour rapide aux deux auteurs principaux, Philippe Descola et Eduardo Viveiros de Castro, a permis de s’assurer que les catégories ne laissaient pas des thèmes importants de côté. À travers cette analyse, il a été possible d’accéder directement au sens, aux diverses visions et à l’ontologie du non-humain décrits par les anthropologues.

Voici les différentes catégories ontologiques présélectionnées afin de diriger légèrement la collecte et l’analyse des données :

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- Personnification ou « personhood » : Cette catégorie expose le statut d’être d’une personne. On y retrouve les notions d’animation, d’agence, de responsabilités et de rôles.

- Composition ou « beinghood » : Cette catégorie se penche sur la composition et la constitution du non-humain, en particulier sur le dualisme physicalité/intériorité ou corps/esprit. Elle s’attarde également sur le processus de fabrication des êtres selon les théories constructiviste et perspectiviste, la subjectivité et la capacité de métamorphose. Les catégories personnification et composition sont regroupées sous la catégorie plus générale d’Êtreté. Cette catégorie générale répond à la question « Qu’est-ce qu’un non-humain? ».

- Espèces : L’inclusion et l’exclusion de différentes espèces – animales, végétales, minérales, phénoménales, immatérielles comme les esprits et les morts, etc. – dans le terme de non-humain, ainsi que les différents degrés ou limites de personnification et de composition, sont considérées dans cette catégorie. Elle répond à la question « Qui est un non-humain? ».

- Relations : Les relations sociales de parenté, d’alliance et de prédation sont analysées entre les humains et les non-humains, et lorsque les données sont disponibles entre les non-humains eux-mêmes. Cette catégorie répond à la question « Quels types de relations les non-humains tissent-ils? ».

- Communication : Les différentes méthodes de communication entre l’humain et le non-humain sont relevées dans cette catégorie. Elle correspond aux questions « Comment communique-t-on avec le non-humain? » ou « Comment le non-humain communique-t-il? ».

Plan du mémoire

Le mémoire est divisé en cinq grandes parties. D’abord, une brève histoire conceptuelle du terme non-humain au sein de l’animisme et du perspectivisme, lorsque divergent, est tracée dans la revue de littérature dans le chapitre intitulé « Bref historique du non-humain ». L’animisme, selon Graham Harvey (2006), possède historiquement deux définitions : une ancienne présentée par Edward Tylor où la reconnaissance de ce qui est

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vivant et ce qui ne l’est pas est centrale et une récente érigée par Hallowell où la notion de bon comportement envers les personnes, dont certaines n’étant pas humaines, est mise de l’avant. À partir de cette division, l’évolution du terme est établie jusqu’aux travaux contemporains de Philippe Descola et Eduardo Viveiros de Castro.

Ensuite, dans le chapitre « Êtreté : le corps, l’âme et la personne », la construction du corps, de l’âme et de la personne seront abordés en fonction des théories constructiviste pour Philippe Descola et perspectiviste pour Eduardo Viveiros de Castro. Pour Descola, le corps est une expression matérielle de la société qui le construit : il lie des communautés de substances. Il est aussi interconnecté avec l’âme. Celle-ci est uniforme et attribuée à tous, ce qui confirme leur statut de personne, être pensant et agissant dans le monde. Le non-humain se différencie de l’humain parce qu’il n’appartient pas à la même communauté de substances. Pour Viveiros de Castro, le corps est perçu comme une enveloppe, certes, mais surtout comme un amas d’affects et de capacités : il lie des communautés d’affects. L’âme est une force vitale vue comme universelle et comme condition fixe dans le sens où tous possèdent une forme humaine et les mêmes capacités d’intentionnalité. L’humain est la position pronominale du sujet pensant. Le façonnage de la personne, quant à lui, est continuellement en transition ; c’est un devenir-Autre.

Le chapitre « Espèces – Qui sont les non-humains? » s’attarde aux différents êtres pouvant être considérés comme des non-humains : certains animaux, certaines plantes, les maîtres, les dieux, les esprits, etc. Certains ressemblent davantage aux humains que d’autres. Toutefois, ils ont tous en commun qu’ils sont des personnes dotées d’une agence dans le monde. Ils peuvent se concevoir comme humains tels que dictés par l’animisme et le perspectivisme.

Puis, les quatre chapitres sur les relations de parenté, d’alliance et de prédation avec et chez le humain articulent les multiples relations établies entre les humains et les non-humains selon le contexte dans lequel elles émergent. Le continuum parenté/alliance/prédation est utilisé afin de classer les différentes relations de consanguinisation, d’affinité, d’amitié, de protection et de domination, de prédation et de guerre entre les humains et les non-humains. À

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cela s’ajoute, lorsque pertinent, d’autres modalités de relation présentées par Descola comme l’échange, le don, la prédation et la protection.

Finalement, le chapitre « De la communication avec et chez le non-humains » présente les champs de communication alternatifs tels que les voyages de l’âme dans les rêves et la consommation de substances hallucinogènes ainsi que la communication verbalisée dans les incantations et les chants employés par les humains et les non-humains afin d’établir des relations avec ceux vivant dans des domaines ontologiques différents.

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Bref historique du non-humain

« Les Indiens des Basses Terres prétendent parler à des interlocuteurs que nous sommes contraints de regrouper sous le terme disgracieux de « non-humains » : il s’agit de végétaux, animaux, esprits, défunts, cailloux ou objets manufacturés… »

(Yvinec, 2005 : 41)

Le non-humain traverse de toute part diverses disciplines académiques, que ce soit en anthropologie où la distinction entre humains et animaux est parfois étudiée, en neurobiologie où la génétique et les cellules souches amènent un débat sur les interactions entre l’humain et son environnement, ou encore en sciences, technologies et société où l’intelligence artificielle repousse les limites de l’humanité… les exemples abondent et démontrent l’importance du débat actuel concernant ces non-humains!

Ce mémoire porte sur la définition de l’ontologie du non-humain en anthropologie, particulièrement au sein des ontologies animiste et perspectiviste amazoniennes. Ces deux ontologies – étude de l’être, monde figuré dans lequel la pratique est formée ou, encore, manière d’être dans le monde – se rapprochent puisque tout peut apparaître comme humain selon certains contextes (Yvinec, 2005 : 41). Pourtant, les modalités et les formes du non-humain ont été peu ou prou explorées de façon détaillée et systématique au sein de la discipline, à l’exception de la communication chez l’américaniste Cédric Yvinec2.

Le but de ce présent chapitre est d’exposer différentes définitions et approches du non-humain dans l’histoire de l’anthropologie, essentiellement en Amazonie au cours des dernières années, et d’évaluer comment les anthropologues et ethnologues s’attardent à ce concept. En conséquence, cette revue de la littérature ne présentera pas tous les auteurs ayant trait aux non-humains, mais différents courants depuis le début de l’animisme jusqu’à sa définition contemporaine. Un choix a dû être établi quant aux auteurs abordés. De par leur importance historique dans la discipline et leur définition de l’animisme, Edward Tylor et Alfred I. Hallowell seront abordés. Tylor est le premier anthropologue à avoir théorisé l’animisme au 19e et 20e siècle, tandis qu’Hallowell est le premier à l’avoir abordé en fonction d’une

2 À l’époque où il écrit cet article, Cédric Yvinec était étudiant de Philippe Descola et débutait ses recherches de terrain.

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ontologie relationnelle. Ensuite, puisqu’il a été d’une forte influence en anthropologie française et brésilienne, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss et son structuralisme démontreront comme le non-humain permet à l’homme de penser les classifications mentales. Aussi, Philippe Descola et Eduardo Viveiros de Castro, les deux auteurs analysés dans ce mémoire, trouveront leur place dans cette revue de la littérature afin de baliser leurs œuvres respectives sur le non-humain. Puis, quelques anthropologues contemporains ayant été influencés ou ayant côtoyé Descola et Viveiros de Castro, comme Eduardo Kohn, Nurit Bird-David et Tim Ingold, permettront de critiquer et d’ajouter aux théories animiste et perspectiviste. Ainsi, ce bref historique n’est pas exhaustif et ne prétend pas relever toutes les définitions et utilisations possibles.

Afin de faciliter son traitement, ce concept sera développé en fonction des deux définitions historiques de l’animisme (voir Harvey, 2005) : l’ancien animisme mis de l’avant par Edward Tylor où la reconnaissance de ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas est centrale et le nouvel animisme érigé par Alfred I. Hallowell où la notion de bon comportement envers les personnes, dont certaines ne sont pas humaines, est démontrée. À partir de cette dichotomie, il sera possible de remonter jusqu’aux travaux de Philippe Descola et Eduardo Viveiros de Castro – les deux anthropologues principaux analysés dans ce mémoire – et aux définitions plus actuelles en anthropologie socioculturelle.

L’ancien animisme et le non-humain des « primitifs »

3

L’ancien animisme est caractérisé par l’étude de la nature de l’origine de la religion. La distinction entre ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas est au centre de ce courant. L’établissement d’une évolution ou d’une progression de la religion de primitive à civilisée est aussi au cœur des projets anthropologiques de l’animisme du 19e siècle et du début du 20e siècle. Edward Tylor, sélectionné pour l’importance qu’il a eue en anthropologie et pour sa définition de l’animisme, sera abordé dans cette section.

3 Ce mot est employé uniquement car l’auteur présenté l’utilise. Il en va de même pour le mot « sauvage ». Ils ne reflètent aucunement l’opinion de l’auteure de ce mémoire.

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21 Edward Tylor

Edward Burnett Tylor (1832-1917) est un pionnier et fondateur de l’anthropologie culturelle en Angleterre. Il est surtout connu pour sa définition de la culture et pour son chef-d’œuvre La civilisation primitive – volume 1 et 2 publiés originellement en 1871. Son importance pour le non-humain vient du fait qu’il est le premier anthropologue à théoriser l’animisme et le dogme des esprits. De par ses écrits, il a fait avancer la réflexion philosophique sur le point de vue des soi-disant primitifs.

Fervent adepte de l’évolutionnisme culturel, il a retracé dans La civilisation primitive les développements de la société primitive jusqu’à la civilisation. Pour lui, l’homme primitif tente d’expliquer les phénomènes naturels et humains l’entourant et qui échappent à son contrôle ; son ignorance de la science génère des explications erronées (Tylor, 2009 : 445). Il recherchait la forme la plus ancienne et la plus primitive de la religion, ce qu’il a trouvé dans l’animisme.

Il définit l’animisme comme étant la croyance dans les âmes et les autres êtres spirituels (ibid. : 23). Pour cet auteur, cette croyance est enracinée dans la vie primitive. Il divise cette théorie en deux dogmes faisant partie d’une seule et même doctrine : d’abord en fonction de l’âme des créatures individuelles capables de survivre après la mort ou la destruction du corps et, ensuite, en fonction des autres esprits (ibid. : 426).

En ce qui a trait au dogme de l’âme, Tylor attribue ce dernier à la vitalité : la fonction de la vie est causée par l’âme ou l’esprit (ibid. : 436). C’est l’âme habitant le corps de l’homme qui lui donne la vie, qui lui permet de penser et d’agir (Tylor, 1878 : 161). Ceci fournit à l’homme sauvage une explication du corps et des conditions mentales telles que le départ de l’âme et la métempsychose. Aussi, la ressemblance des âmes à l’image d’un corps éthéré, en particulier celles de défunts proches, provient des rêves et des visions que ces gens expérimentent (Tylor, 2009 : 450). Cette expérience amène la conclusion que l’homme possèderait un corps physique séparé d’un corps spirituel, donc une âme.

Cependant, la mort ne semble pas briser, selon l’auteur, le rapport entre l’âme et le corps (Tylor, 1878 : 36). Il affirme que, chez les tribus brésiliennes, le fantôme du mort n’a droit au repos qu’après les funérailles (ibid. : 36). Plusieurs techniques et moyens existent pour

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se débarrasser des esprits des défunts et sont présentés dans le second volume (ibid. : 33-35). À ce sujet, le rite le plus commun associé à ce dogme est celui des sacrifices funéraires humains au service des morts (Tylor, 2009 : 458).

La conséquence de la vie et de l’existence future de l’âme, très explicite dans les croyances primitives, guide ce dogme animiste incluant la transmigration des âmes et leur réincarnation (Tylor, 1878 : 6). Cette croyance du voyage et de la demeure des âmes repose sur la tradition, sur la révélation directe, voire sur l’expérience personnelle (ibid. : 60; 143). Il est possible de visiter les morts et vice-versa. Il décrit le monde des morts des autochtones brésiliens comme une magnifique forêt où le gibier est abondant et où les âmes des morts vivent en harmonie (ibid. : 90).

Toutefois, c’est davantage le deuxième dogme, celui des autres esprits, qui est pertinent au non-humain. Tylor affirme que le sauvage croit voir dans la vie humaine le moyen de comprendre la nature (ibid. : 142). Ainsi, les phénomènes qui peuvent se produire dans l’univers relèvent de l’action bonne ou mauvaise d’esprits personnels, des causes personnifiées (ibid. : 142). Il y a donc un rapport de causalité entre l’événement et l’existence du non-humain. Tylor conçoit que « les idées relatives aux âmes, aux démons, aux divinités et aux autres classes d’êtres spirituels, sont outre des conceptions ayant une nature analogue, mais que la conception des âmes s’est produite la première » (ibid. : 143). Ces êtres spirituels, ou les non-humains en général, possèdent une nature essentiellement analogue à celle de l’âme de l’homme.

L’âme des non-humains, surtout celles des animaux, est attribuée par extension de la théorie de l’âme humaine (Tylor, 2009 : 500) ; les plantes et les arbres suivent partiellement ; et les objets inanimés4 repoussent les limites de la théorie. La distinction entre l’homme et le non-humain, ou la bête pour reprendre les mots de Tylor, est difficilement trouvée chez les « races inférieures » selon l’auteur (ibid. : 469). Les animaux et les oiseaux possèdent un langage humain et leurs actions sont guidées comme si elles étaient pensées humainement. Ceci explique pourquoi l’homme primitif parle sérieusement à ces derniers lorsqu’il chasse :

4 Tylor applique le terme « fétichisme » à la doctrine des esprits attachés à ces objets ou des esprits exerçant une influence par l’entremise de ces objets (1878 : 187).

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afin de rendre hommage ou demander pardon à ses proies. Par ailleurs, pour les croyants de la métempsychose, ce n’est pas tout que les non-humains possèdent une âme, mais cette âme pourrait avoir habité autrefois un humain ou un ancêtre. Aussi, il se penche pendant un moment sur l’incarnation de l’âme des ancêtres chez certains animaux et sur les cultes rendus aux animaux (Tylor, 1878 : 305). Il considère le totémisme – système qui consiste à diviser les tribus d’après une classification animale – comme étant inclus dans ce culte rendu.

Comment Tylor aborde-t-il le non-humain dans son œuvre? D’abord, il ne fait aucunement mention du mot. Il parle d’animaux, de plantes, de démons, d’êtres spirituels, de phénomènes naturels, de génie, de divinités, etc. dotés d’une agence – une capacité à agir sur le monde – et vivant un mode de vie analogue à celui des humains. Un gradient d’agence existe : les divinités, les êtres spirituels et les animaux possèdent une agence similaire aux humains ; les arbres et les plantes, un peu moins ; et les objets beaucoup moins. Puisque les non-humains sont basés sur la vie humaine, il déclare que l’homme est un anthropomorphite5, un anthropopathite6 et un anthropophysite7 (ibid. : 321). De plus, Tylor catégorise ces êtres en deux classes différentes, soit ceux ayant comme devoir de présider aux phénomènes naturels et ceux s’occupant à protéger ou tourmenter l’homme (1878 : 242). Dans le deuxième volume, il passe en revue les différents types d’esprits et d’êtres. Cependant, il est inutile de lister ces derniers dans le cadre de ce mémoire, puisque les différentes espèces pouvant être non humaines en Amazonie seront analysées plus tard.

Pour Tylor, lorsqu’un ethnographe traite des croyances et doctrines primitives, il les considère comme des mythes (Tylor, 1878 : 58). Il s’intéresse davantage à la transmission de cesdits mythes et de leurs évolutions, de la religion et des survivants depuis l’état sauvage jusqu’à la civilisation. Homme scientifique qu’il est, il stipule que le sauvage ne fait pas la distinction entre le subjectif et l’objectif, entre l’imagination et la réalité (Tylor, 2009 : 445). L’homme primitif est comparé à un enfant ne sachant pas différencier ce qui est vivant de ce qui est inanimé (ibid. : 286). Pour ce dernier, l’animisme s’expliquerait seul et par lui-même,

5 Quelqu’un qui attribue des caractéristiques humaines ou des comportements humains à d’autres entités. 6 Quelqu’un qui attribue des émotions humaines à d’autres entités.

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alors que Tylor privilégie une explication scientifique et rationnelle des phénomènes l’entourant.

Parenthèse lévi-straussienne et le non-humain bon à penser

Comment traiter de l’Amazonie sans mentionner un des piliers de l’anthropologie brésilienne et française ayant consacré la plupart de ses travaux aux autochtones des Amériques? Bien qu’historiquement, il soit plus logique de traiter du grand anthropologue français Claude Strauss (1908-2009) après Alfred I. Hallowell, la méthode de Lévi-Strauss se démarque par son structuralisme. Ainsi, une courte parenthèse sur le structuralisme prévaut.

Professeur de philosophie en France, puis de sociologie au Brésil, Lévi-Strauss a effectué un terrain auprès des autochtones brésiliens en Amazonie et au Mato Grosso entre les années 1935 et 1939. Les données recueillies ont servi à l’élaboration de sa thèse, à la base de Les structures élémentaires de la parenté (1949). Parmi ses œuvres, La pensée sauvage (1962) et Le cru et le cuit (1964) – premier tome des Mythologiques – ont appuyé, dans le cadre de ce mémoire, la présentation du non-humain « bon à penser ».

Dans La pensée sauvage, Lévi-Strauss décrit les mécanismes de la pensée en tant qu’attribut universel de l’esprit humain. La pensée sauvage est celle qui n’est pas domestiquée et cultivée à des fins de rendements, c’est-à-dire adaptée aux conditions modernes et sociales de la productivité, et ne correspond pas à la pensée des sauvages. En fait, dans cet ouvrage, elle se différencie peu de la pensée scientifique.

Il part du totémisme, analysé auparavant dans Le totémisme aujourd’hui (1962), pour se pencher sur les classifications totémiques et les opérations intellectuelles qui les sous-tendent, surtout celles d’opposition et de corrélation. Ces classifications ont un objectif double : certifier que les espèces naturelles existent et sous forme de série discontinue (Lévi-Strauss, 2008 : 802). Les classifications permettent de saisir l’univers naturel et social sous forme de totalité organisée (ibid. : 700).

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Mais quelle est la place du non-humain dans le totémisme selon Lévi-Strauss? Pourquoi est-il bon à penser? Pour Lévi-Strauss, il faut comprendre le rôle attribué au non-humain au sein du système de classification (ibid. : 616). En observant la nature et les différences entre les espèces, il est possible pour les humains de modéliser et de conceptualiser les différences instituées en eux. Les non-humains sont bons à penser, car leur réalité laisse transparaître des notions et des relations. En effet, un totem joue le rôle de signifiant ; le rôle sacré est attaché au signifié dont il tient indifféremment lieu (ibid. : 818). Le terme n’a pas une signification intrinsèque, mais une de position (ibid. : 617 ; Lévi-Strauss, 1964 : 64). Par exemple, le non-humain est opposé à l’humain. Comme illustration, le jaguar et l’homme sont des termes polaires dont l’opposition est doublement formulée en langage ordinaire : l’un mange cru, l’autre cuit ; et surtout, le jaguar mange l’homme, mais l’homme ne mange pas le jaguar (Lévi-Strauss, 1964 : 91). Un rapport de réciprocité nulle existe entre ces deux termes et pour qu’apparaisse une relation la femme humaine du jaguar doit être présente. Ces entités, dont l’importance est positionnelle, peuvent être permutées avec d’autres dans certaines limites. Donc, elles ne sont pas constantes, mais leurs relations le sont. C’est d’ailleurs une des principales oppositions binaires empiriques relevées par Godelier qui est présente dans les mythes amérindiens (2013 : 528).

Les mythes sont, pour Lévi-Strauss, une production de la pensée sauvage8. Un mythe est une histoire « du temps où les hommes et les animaux n’étaient pas encore distincts » (Lévi-Strauss et Eribon, 2001 : 193 ; Godelier, 2013 : 343). Il se déroule dans un temps ancien où les humains, les animaux, les plantes, les esprits, les dieux et autres non-humains pouvaient communiquer entre eux et changer de forme en se transformant. C’est au dénouement de cette époque que les choses sont devenues comme elles sont – que les animaux ont cessé d’être des humains, par exemple. De la sorte, ils expliquent souvent les origines des choses.

L’univers mythologique est très hiérarchisé, diversifié et multiple. Certains, comme les démiurges et les créateurs ont davantage de pouvoir que d’autres comme créer et détruire des choses et des êtres. D’autres sont maîtres de quelque chose, comme le héros du premier mythe

8 Godelier affirme que cette affirmation et celle de la surnature – prochaine citation – posent problème car il ne va pas de soi que la construction des mythes à l’aide d’opérations et de la projection des structures servent à expliquer l’attribution de pouvoirs surnaturels aux hommes et aux non-humains (2013 : 351).

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(M1) – le Dénicheur d’oiseaux – qui est maître de la cuisine et du feu (Lévi-Strauss, 1964 : 43-45). Encore, les entités dites surnaturelles établissent des liens de parenté avec les humains, souvent en épousant des humaines. Ils deviennent donc les beaux-frères des humains. Les liens de parenté entre les humains et les non-humains seront analysés ultérieurement. Ainsi, les représentations du monde présentées dans les mythes cités dans les Mythologiques constituent une vision anthropomorphique de la nature et, selon Godelier, transmute celle-ci en une surnature (2013 : 350). À ce sujet, Lévi-Strauss (1962 : 292) a noté que « la notion d’une surnature n’existe que pour une humanité qui s’attribue à elle-même des pouvoirs surnaturels et qui prête en retour à la nature les pouvoirs de sa superhumanité ».

Pour Lévi-Strauss, analyser les mythes via son panthéon de personnages y figurant n’est pas la méthode à privilégier. Bien que cette fonction étiologique ait un sens patent apparent, il s’intéresse davantage au sens latent dissimulé dans les mythes. Le plus important est de regarder le passage du continu au discontinu ou d’opérer une inversion entre forme et fond (Descola, 2011 : 12). Pour étudier les mythes, l’anthropologue relève d’abord tous les faits ethnographiques et historiques associés, ensuite il procède à une analyse formelle en reconstituant l’armature et le message des mythes et finalement il engage l’analyse sémantique pour y relever les transformations en jeu (Godelier, 2013 : 479-486 ; Lévi-Strauss, 1964 : 18). Il utilise la méthode structurale afin de soulever les logiques de rapports. Par exemple, il observe comment des catégories comme le cru et le cuit, le frais et le pourri se font ressortir des notions abstraites dans les mythes. Pour Lévi-Strauss, les mythes « se pensent dans les hommes et à leur insu » (1964 : 20). C’est ce qui structure le récit et le système des opérations mentales qui importent à l’auteur et non ce que les hommes disent par et dans les mythes. Par ailleurs, tout mythe trouve son origine dans un autre mythe et est par nature une traduction (Lévi-Strauss, 1971 : 576). En effet, un mythe consiste en l’ensemble de ses versions et sa structure se reproduit au sein de chaque version. Avec les Mythologiques, il a étudié les mythes de bout à bout.

La mythologie inscrit le « système des rapports humains dans un contexte cosmologique qui semble les déborder de toute part » (ibid. : 345). En utilisant le découpage linguistique du monde comme les classifications animales, le mythe permet une réflexion sur le système des rapports humains. Il conclut les Mythologiques en affirmant que « les mythes

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ne disent rien qui nous instruisent sur l’ordre du monde, la nature du réel, l’origine de l’homme ou sa destinée. […] En revanche, les mythes nous apprennent beaucoup sur les sociétés dont ils proviennent […] ; enfin et surtout, ils permettent de dégager certains modes d’opération de l’esprit humain » (Lévi-Strauss, 1971 : 571).

Bref, le non-humain pour Lévi-Strauss est important de par sa position et son opposition à l’humain dans les systèmes de classifications. Ce n’est pas le panthéon de non-humains qui prime, mais les relations et les rapports auxquels ils sont associés. Le non-humain est bon à penser puisque les hommes s’en servent pour s’adresser des messages. Finalement, Lévi-Strauss cite Jenness en soulevant un point important : en appelant ces êtres surnaturels, les anthropologues faussent un peu la pensée des autochtones, car ils appartiennent à l’ordre naturel de l’univers (2 : 29 cité dans 2008 : 598).

Le nouvel animisme et le non-humain relationnel

Selon Harvey, la deuxième définition de l’animisme, et celle qui est des plus actuelle, concerne l’apprentissage de la façon d’être une bonne personne au sein de relations respectueuses avec Autrui (2005 : xi). Le terme de « personne »9 n’est pas seulement appliqué aux humains, mais également aux non-humains. C’est Alfred Irving Hallowell qui a débuté ce nouvel animisme en discutant des plus-que-humains. Ensuite, l’animisme de Philippe Descola et le perspectivisme amazonien d’Eduardo Viveiros de Castro seront présentés afin de définir brièvement le non-humain amazonien avant de s’y attarder plus en détail dans le reste du mémoire.

Alfred I. Hallowell

Alfred Irving Hallowell (1892-1974) est un anthropologue américain reconnu pour son travail auprès des Ojibwa. Ses œuvres principales, « Bear Ceremonialism in the northern hemisphere » (1926) et Ojibwa ontology, behavior, and world view (1960), présentent les actions des personnes comme fournissant les clés afin de saisir leur vision du monde. Cet auteur a été sélectionné, car il est particulièrement important pour l’étude du non-humain : il

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est le premier à avoir théorisé l’aspect relationnel de l’animisme et avoir mis de l’avant un terme, en l’occurrence « personne plus-que-humaine », pour les décrire.

Dans « Bear Ceremonialism », il critique l’étude des relations entre l’homme et la faune d’un point de vue utilitaire, c’est-à-dire l’utilisation de l’animal comme produit ou service utile à l’homme (Hallowell, 1926 : 3). Il attaque également les études comparatives influencées par la théorie de l’évolution qui offrent un portrait négatif et erroné des croyances autochtones et qui mettent de l’avant une méthode non scientifique (ibid. : 12-13). Plutôt, il privilégie l’étude des relations entre l’homme et la faune du point de vue de l’homme dans ses aspects psycho-logiques (ibid. : 3). Il propose plusieurs manières d’étudier ces relations. D’abord, d’un point de vue économique, il fait ressortir les similitudes et les différences dans l’utilisation d’espèces reliées au sein de différentes cultures (ibid. : 20). Ensuite, le point de vue psychologique permet de clarifier le rôle du même animal au sein des différentes cultures et des rôles similaires des autres animaux (ibid.). Finalement, il est possible de débuter par la relation entre des croyances spécifiques et le même animal dans des cultures variées (ibid.). C’est ce qu’il s’emploie à faire avec l’ours dans « Bear Ceremonialism ».

Il prend l’autochtone au sérieux lorsque ce dernier affirme que le monde animal est souvent représenté par des créatures avec des puissances magiques ou superhumaines, soit des non-humains. En effet, il témoigne de la mauvaise adéquation entre les catégories de la pensée rationnelle occidentale, qui sépare la vie humaine de la vie animale et le supernaturel du naturel, et les faits des cultures autochtones (ibid. : 9). Pour Hallowell, afin de bien interpréter la vision du monde des autochtones, il faut la comprendre à partir de catégories reposant sur leurs croyances. Puis, ses écrits, surtout Ojibwa ontology continue la réflexion sur l’animisme. D’ailleurs, il est possible de se demander si ce n’est pas l’ethnographie ou le travail de terrain, en côtoyant sérieusement les informateurs et s’attardant à la logique interne de leur système de pensée, qui a suscité une telle réflexion chez Hallowell.

Il aborde la notion de « personne » comme étant une classe non limitée aux humains au sein de plusieurs visions du monde autochtones, dont celle des Ojibwa. Les personnes sont des êtres relationnels constitués par leurs interactions diverses avec Autrui. Il en existe différents sous-groupes tels que les personnes-humaines, les personnes-roches, etc. Par exemple, le

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terme relationnel « grand-père » est utilisé autant pour les personnes humaines que pour les êtres spirituels qui sont des personnes dans la position d’autre-que-humaine (Hallowell, 1960 : 21). Lorsque le terme est utilisé au pluriel, il fait référence à cette dernière position. Si un anthropologue étudie les relations de parenté ou la religion, il ne trouve qu’un seul type de grand-père ; c’est pourquoi il utilise la vision du monde comme point de départ afin d’aborder ces deux types. Par ailleurs, les deux termes sont équivalents terminologiquement et fonctionnellement dans la mesure où les relations entre un enfant et son grand-père humain sont parallèles à celles entre un humain et un grand-père autre-que-humain (ibid.). Encore, pour une personne-grand-père, un humain se distingue comme étant une personne autre-que-grand-père. Toutefois, l’anthropologue donne priorité à l’humanité avec son choix de terme, soit « personne plus-que-humaine » (Harvey, 2005 : 39). Selon Hallowell, il est important de s’attarder aux relations sociales, dont celles avec les entités autres-que-humaines, pour comprendre le monde Ojibwa et les entités qui le peuplent.

Hallowell ancre la discussion autour du terme « personne » chez les Ojibwa en lien avec la grammaire et la distinction entre les noms animés et inanimés (1960). Certains objets inanimés et matériels dans la pensée occidentale, comme les roches et les coquillages, sont classés dans la catégorie ojibwa animée, incluant la classe des personnes, à cause de certains comportements qu’ils peuvent avoir. Puisque ces objets ont le potentiel d’animation sous certaines circonstances, c’est l’expérience de cette animation, comme une roche qui roule, qui décide si l’objet en question est vivant. En effet, lorsque Hallowell demande à un Ojibwa si toutes les roches autour d’eux sont vivantes, l’autochtone lui répond : « No! But some are » (ibid. : 24, en italique dans le texte original). Cette notion est intimement attachée à la notion de causalité (ibid. : 42). D’ailleurs, Pierre10 est représenté comme un personnage animé dans la mythologie ojibwa, et les personnages mythiques, qu’ils soient sous forme humaine ou non11,

se comportent culturellement comme des personnes12 dans un cadre temporel cosmique (ibid. : 24-25.). Ceci démontre clairement, selon l’anthropologue, que la dichotomie

10 Traduction libre de « Flint ».

11 Les traits anthropomorphiques des personnes plus-que-humaines ne sont pas un des critères dans la détermination des personnes ; il est possible pour les personnes plus-que-humaines et les sorciers humains de se métamorphoser.

12 En plus de se comporter comme des personnes, ils établissent des liens de parentés parallèles à ceux des Ojibwa.

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supernature/nature n’a pas sa place dans l’étude des visions du monde autochtones (ibid. : 29). Aussi, il conclut que la notion de « personne » comme être social et fonctionnel transcende la notion naturaliste de « personne » et transcende l’apparence humaine comme attribut constant de ce type d’être (ibid. : 33).

Les personnes plus-que-humaines sont structurées de la même manière que les personnes humaines. Elles ont des attributs de conscience de soi et de compréhension (ibid. : 42-43). Elles possèdent la même agence que l’humain, une langue qui leur est propre, une forme d’organisation sociale et vivent une vie analogue à celles des humains (Hallowell, 1926 : 7).

Hallowell conclut Ojibwa ontology en affirmant que le but central des Ojibwa est de vivre une vie pleine13, ce qui ne peut être atteint sans la coopération des personnes humaines et plus-que-humaines (1960 : 44). Des standards d’obligations mutuels et de réciprocité existent entre ces deux types, d’où l’importance selon Harvey de bonnes relations comme élément central au nouvel animisme (2005).

Bref, le non-humain chez Hallowell apparaît sous la forme de personne plus-que-humaine, un être social et fonctionnel. Classé dans la même catégorie animée que les humains, le non-humain doit être étudié en fonction des relations entretenues avec les humains afin de saisir complètement la vision du monde des autochtones. Le pionnier innove en prenant au sérieux les autochtones et en soulignant l’inadéquation des conceptions occidentales pour analyser les visions du monde autochtones.

Le non-humain animiste et perspectiviste en Amazonie

Deux approches similaires et complémentaires régissent la manière d’aborder les « existants » - qu’ils soient blancs, autochtones ou non-humains – dans les cosmologies autochtones amazoniennes, c’est-à-dire l’animisme et le perspectivisme. Bien que ces deux approches seront principalement discutées en fonction de leurs théoriciens principaux, c’est-à-dire Philippe Descola pour l’animisme et Eduardo Viveiros de Castro pour le perspectivisme amazonien, plusieurs autres auteurs entreront dans ce portrait général.

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Ces approches sont également évocatrices du tournant ontologique au sein de la discipline. Selon Viveiros de Castro (2014), ce tournant a rendu possible l’étude de la différence ethnographique ou de l’altérité, et s’attarde à la déduction transcendantale de l’Être située ethnographiquement et comparativement. L’anthropologie ontologique est une anthropologie comme ontologie ; une comparaison comme ontologie, plutôt que comme une comparaison des ontologies. Ceci est particulièrement présent dans les descriptions servant à rendre Autrui visible à partir de matériaux ethnographiques » (ibid.).

Cette introduction se veut extrêmement limitée, car l’ontologie du non-humain au sein de ces approches sera démontrée et analysée thématiquement dans les sections suivantes de ce mémoire.

Philippe Descola

Philippe Descola (1949 – présent) est une des grandes figures américanistes ayant défendu sa thèse de doctorat sous la direction de Lévi-Strauss à Paris en 1983 et pour laquelle il a effectué un terrain auprès des Jivaros Achuar de l’Amazonie équatorienne. Il s’est d’abord intéressé aux relations entre l’homme et son environnement, incluant les rapports entre humains et non-humains, et plus récemment aux modalités de figuration, à l’ontologie des images et des formes de paysage. Descola tente de comprendre avec l’anthropologie comment des peuples ne partageant pas la cosmologie occidentale ont pu s’inventer de façon créative des réalités différentes de celles des Occidentaux (2005 : 122).

Le premier livre de Descola, La Nature domestique. Symbolisme et praxis dans l’écologie des Achuar (1986), une ethnographie qui est en fait sa thèse doctorale, décrit et analyse les rapports entre l'homme et son environnement sous l'angle des interactions dynamiques entre les techniques de socialisation de la nature et les systèmes symboliques qui les organisent (Descola, 1986 : 12). Il a également publié l’ethnographie Les Lances du crépuscule (1993) qui expose l’expérience de la vie chez les Achuar et explicite la construction de la connaissance ethnographique (Descola, n.d. : 1). Son plus grand chef-d’œuvre demeure, toutefois, son livre théorique Par-delà nature et culture (2005) qui propose une nouvelle approche permettant d’aborder et de répartir les continuités et discontinuités

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entre humains et non-humains selon une conception structurale de l’ontologie perçue comme classification des qualités des êtres et systématique des relations qui les unissent (ibid. : 2).

L’animisme selon Philippe Descola prête aux non-humains l’intériorité des humains, mais les en différencie par le corps (2005 : 183). Selon cette approche, une personne est constituée de deux facteurs, soient d’une âme en l’occurrence humaine – un « principe spirituel qui sert de base à la communauté » – et d’un corps – un « facteur d’individuation » (ibid. : 184). De plus, le pouvoir différenciateur du corps se trouve dans la « forme et le mode de vie » qu’il impose afin d’habiter un certain environnement (ibid., en italique dans le texte original). Les non-humains vivent un mode de vie collective analogue à celui des humains (ibid. : 187). Il leur est également possible de se métamorphoser en se dépouillant de leur enveloppe corporelle tout en maintenant leur intériorité, leur humanité (ibid. : 191). Selon Descola, cet attribut de métamorphose permet « à des intériorités analogues d’échapper à un excès de continu en introduisant les écarts indispensables entre des termes pour qu’ils puissent entrer en relation » (ibid. : 193). L’humanité est une condition, et non pas un point de référence pour l’espèce (ibid. : 30). Et c’est le point de vue humain qui prime sur celui du non-humain. L’animisme est également un mode d’identification permettant de schématiser l’expérience prévalant dans un contexte en particulier en distinguant des propriétés ontologiques selon des agencements d’existants (ibid. : 423). Dans ce mode, les relations l’emportent sur les termes en spécifiant la forme générale des liens entretenus (ibid. : 326 ; 459). La variabilité que peuvent prendre les schèmes de relations explique la différence entre les éthos de différents collectifs. Finalement, l’animisme est dit anthropogénique, car il emprunte aux humains tout le nécessaire pour traiter les non-humains comme humains (ibid. : 368).

Pourquoi le terme « non-humain »? Bien qu’au début de sa carrière, notamment dans La nature domestique, Descola mentionne davantage « être de la nature » plutôt que « non-humain », le concept reste le même. Il explique que tous les êtres de la nature possèdent des attributs de l’humanité et que les lois qui les régissent sont à peu près identiques à celles de la société civile (Descola, 1986 : 119-120). Il continue en affirmant que, chez les Achuar, les hommes et la plupart des plantes, des animaux et des météores sont des personnes (« aents ») dotées d'une âme (« wakan ») et d'une vie autonome. Donc, puisque l’humanité n’est pas

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limitée à l’homme comme organisme, la distinction nature|culture ne tient plus. Un relativisme existe où des êtres naturels sont attribués cette humanité. Cependant, seuls les humains sont des « personnes complètes » (« penke aents ») puisque leur apparence est pleinement conforme à leur essence (ibid.). Ainsi, les Achuar sont le paradigme de cette humanité absolue et leurs normes servent souvent d’étalon pour les mesurer les écarts (ibid. : 339). Le non-humain est ainsi toujours conceptualisé en référence à la nature non-humaine, particulièrement selon les concepts du Soi et d’Autrui (Descola, 1996a : 85). Ces entités tiennent leur nom de par les relations, et le sens de ses relations, qu’elles entretiennent avec les humains (ibid. : 98). Elles s’actualisent dans le processus de relation avec les humains avec lesquelles elles produisent leur terme de non-humain. Dans Par-delà nature et culture, le terme « non-humain » apparaît à maintes reprises aux côtés de « être naturel », « être de la nature » et « existant » (Descola, 2005).

Le concept animiste de Descola amène une réflexion nouvelle sur les défis de l’anthropologie dans la mesure où son domaine et ses outils doivent être repensés afin d’inclure tous ces êtres avec lesquels les humains interagissent plutôt que de les reléguer à une fonction d’entourage (2005 : 15). Il double donc l’anthropologie de la culture avec une anthropologie de la nature dans laquelle il est possible de démontrer comment les humains actualisent le monde et eux-mêmes.

Descola est un héritier de Claude Lévi-Strauss et cela transparaît dans ses écrits. Il appelle l’anthropologie à être dépassée par son ethnocentrisme et à se laisser transformer par son objet. Descola est structuraliste dans la mesure où il étudie des systèmes de différences internes, leurs classifications et leurs fonctionnements au sein de groupes. Il contraste les phénomènes avec d’autres phénomènes afin de les comprendre. C’est d’ailleurs de cette façon qu’il pense les quatre ontologies, des groupes de transformation, de Par-delà nature et culture à partir des institutions et des pratiques des gens.

Quelques petites critiques sur son œuvre méritent d’être mentionnées. D’abord, il est plutôt difficile d’accepter que l’ontologie d’un peuple puisse être entièrement catégorisée par une des quatre ontologies – animisme, naturalisme, totémisme et analogisme – présentées dans Par-delà nature et culture. Divers degrés de ces ontologiques peuvent être retrouvés chez un

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même peuple. Par exemple, les Kulina du Brésil sont animistes, mais s’identifient également à l’aide d’espèces naturelles et des animaux tels que spécifiés par le totémisme (Pollock, 1985 : 63). Aussi, l’anthropologue français Jean-Pierre Digard, spécialiste des tribus nomades iraniennes et de la domestication des animaux, se questionne quant à la réalité des représentations présentées dans ce chef-d’œuvre (2006). En effet, il affirme qu’à de plusieurs reprises, Descola donne l’impression de prendre les représentations autochtones pour ce qu’elles ne sont pas toujours ou pas entièrement (ibid. : 424). Digard accepte que l’on puisse affirmer qu’un animal X se voit comme un humain et voit un chasseur comme un jaguar, mais conteste que cet animal puisse se prendre comme un humain et prendre le chasseur pour un jaguar. Ainsi, Digard est mal à l’aise avec l’idée d’imputer le statut de fait scientifique au produit d’opérations de la pensée humaine (ibid. : 425). En versant dans le relativisme radical, Descola ne ferait pas avancer la connaissance de l’unité de l’espèce humaine, qui toujours selon Digard serait le projet de l’anthropologie (ibid.). L’homme est donc oublié au profit des existants.

Eduardo Viveiros de Castro

Eduardo Viveiros de Castro (1951 – présent) est un anthropologue brésilien travaillant sur la constitution des collectivités amérindiennes. Ses travaux sur le multinaturalisme et le perspectivisme, ainsi que sur l’ontologie de la prédation, font de lui un des grands théoriciens en anthropologie contemporaine. Il travaille ardemment à décoloniser la pensée et la méthode en anthropologie pour la rendre sensible à la créativité et à la réflexivité inhérentes à la vie de tout collectif, humain et non-humain (Viveiros de Castro, 2009a : 7).

En plus de diverses ethnographies dont From the Enemy’s Point of View. Humanity and Divinity in an Amazonian Society (1992) basée sur sa thèse doctorale et un article The Inconstancy of the Indian Soul. The Encounter of Catholics and Cannibals in 16-century Brazil (2011), son chef-d’oeuvre demeure Métaphysiques Cannibales (2009a), un ouvrage qui propose une nouvelle manière de faire de l’anthropologie et de penser l’anthropologie.

Viveiros de Castro poursuit les réflexions sur l’animisme, parallèlement à celles de Descola, en proposant une vision perspectiviste – conception selon laquelle les points de vue créent des mondes et établissent ce qui est humain ou non-humain (1998 : 469) – dans le but

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d’analyser les relations sociales. Les existants se conçoivent comme humains, ou comme « I/you », par rapport aux autres qui sont non humains, ou « it/they » (ibid. : 470). Ce point de vue est quelquefois associé, en Amazonie, avec la relation prédateur/proie, où le prédateur convoite le point de vue humain et attribue à la proie celui du non-humain (ibid. : 471). Ainsi, un jaguar – possédant la position de l’ultime prédateur – se veut donc humain lorsqu’il chasse un pécari, puisqu’il voit le pécari à la troisième personne du singulier (« it »), alors que ce premier se voit comme une personne humaine à la première personne du singulier (« I »). Viveiros de Castro ajoute à sa théorie en démontrant une multitude de points de vue : « all beings see (‘represent’) the world in the same way – what changes is the world that they see » (ibid. : 477). Il nomme multinaturalisme cette diversité de perspectives subjectives et partielles où il existe « one single ‘culture’, multiple ‘natures’ » (ibid. : 478). En effet, ce sont des perspectives, car le point de vue est situé dans le corps, locus de l’habitus d’une personne. Ainsi, l’animisme suppose que les autres se voient comme humains, et le perspectivisme assume une réciprocité des perspectives entre humains et non-humains.

Le non-humain, selon Viveiros de Castro, est une position de relation opposée à l’humain, qui est celle « du congénère, le mode réflexif du collectif et, comme tel, elle est dérivée par rapport aux positions primaires de prédateur ou de proie qui engagent nécessairement d’autres collectifs et d’autres multiplicités personnelles dans une situation d’altérité perspective » (2009a : 24). Encore, tel que démontré par l’exemple du jaguar et du pécari, l’humanité universelle des êtres – celle qui fait de toute espèce un genre réflexivement humain – est sujette au principe de complémentarité, c’est-à-dire que deux espèces différentes, humaines à leurs propres yeux, ne peuvent jamais l’être simultanément l’une aux yeux de l’autre (ibid. : 122). Un collectif de non-humains d’une même espèce forme un peuple qui se voit comme personnes. L’ethnonyme « être humain » réfère à la condition sociale de la personne, et non à l’espèce biologique, et fonctionne davantage comme pronom que comme nom. Finalement, le perspectivisme ne s’applique pas à tous, mais seulement à certains animaux et esprits ayant une importance vitale à la cosmologie en question, en particulier ceux liés à la prédation (Viveiros de Castro, 1998 : 471).

Concernant le terme « non-humain », il convient davantage de parler de transformations, car les ontologies amazoniennes ne traitent pas d’entités fixes – humain,

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