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Relations d’amitié et d’alliance dans les écrits de Viveiros de Castro

Viveiros de Castro a beaucoup théorisé sur l’alliance dans le devenir et sur le chamanisme. Tel que mentionné précédemment, c’est en opposition à la fermeture du socius dans la filiation, présente dans les écrits de Lévi-Strauss30 par exemple, que Viveiros de Castro aborde l’ouverture de la vie sociale à Autrui par l’alliance.

L’anthropologue brésilien, en collaboration avec son collègue Carlos Fausto, s’est penché sur l’échange multibilatéral ou l’échange restreint inclusif en Amazonie en lien avec l’alliance (1993). Ce système peut être décrit par un schéma à trois unités s’unissant bilatéralement de façon à ce que l’allié d’un allié soit un allié.

Figure 1 – Schéma multibilatéral (Viveiros de Castro et Fausto, 1993 : 153)

Ce système d’échange implique un degré de liberté supplémentaire par rapport à l’échange exclusif. Des modules patrilatérales et avunculaires31 sont possibles dans ce schéma en fonction de l’échange de femmes dédoublée ou non. Ce système favorise de courts échanges réciproques et ne fonctionne pas comme un algorithme d’intégration globale du socius (ibid.).

30 Pour une critique plus détaillée de la relecture deleuzienne de Lévi-Strauss par Viveiros de Castro, voir Keck (2011).

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En Amazonie, le régime d’alliance le plus commun est de ce type. Chaque groupe peut opérer des politiques d’échanges bilatéraux multiples en créant des champs matrimoniaux concentriques et en poussant les affins des affins en direction de l’affinité. Toutefois, ce système fonctionne davantage en situation d’endogamie et de mariages proches, comme chez les Achuar. En ce qui a trait aux Araweté ou aux autres groupes tupi, ils offrent une illustration de la variante patri-avunculaire du système, où le mariage entre l’oncle maternel et la nièce est une union secondaire et où le mariage patrilatéral prime (ibid. : 157-158). La terminologie de cousin croisé – lieu où s’articulent les différences internes entre la consanguinité et l’affinité et les différences externes entre les cognats et les ennemis – n’existe pas au sein de cette société, car la figure centrale demeure celle de l’ennemi. Somme toute, ce système d’alliance exprime une conception non totalisante de la parenté, car elle subordonne la consanguinité à l’affinité et l’affinité à l’affinité potentielle (voir la section sur la parenté).

Chez les Araweté

Le devenir-Autre et le chamanisme représentent deux éléments clés de l’alliance araweté discutés dans les ethnographies de Viveiros de Castro.

Le devenir

Le but ou la destinée ultime des Araweté est de devenir-Autre, devenir des dieux cannibalisés et cannibales ou devenir des ennemis. L’anthropologue brésilien stipule que tout devenir est une alliance, et non pas le produit d’une filiation ou de la parenté (Viveiros de Castro, 2009a : 136). Aussi, pour lui, toute alliance n’est pas nécessairement un devenir.

Le devenir est un concept de relation (ibid. : 138 ; 142). C’est un mouvement qui déterritorialise les deux termes de la relation qu’il crée en les extrayant des relations les définissant antérieurement et en les associant partiellement à travers une nouvelle connexion ; ces positions et les états associés deviennent alors densément superposés (ibid. : 132 ; Viveiros de Castro, 2007a : 51). Viveiros de Castro (2003 : 71) donne l’exemple de l’activation du devenir-jaguar d’un chamane : le chamane ne produit pas un jaguar, il ne s’affilie pas à la descendance des jaguars, mais il adopte un jaguar en établissant une alliance féline. La transformation est réelle même si le jaguar dans lequel le chamane se transforme est métaphorique. À ce moment, ni l’homme ni le jaguar ne sont présents. Plutôt, on retrouve

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l’homme|jaguar. Une continuité mentale est établie entre les deux termes. Le lien entre les deux points de vue, dans ce cas-ci de l’homme et du jaguar, n’est pas fixe ; elle doit constamment être refaite. Ainsi, le devenir connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, à la manière des racines des arbres (Zourabichvili, 2003 : 71). Il n’est pas constitué d’unités, mais de multiplicités, de directions mouvantes, puisqu’il n’y a ni commencement ni fin. La communication entre différents points de vue est infinie ; elle ouvre des portes à une multitude de possibilités (Viveiros de Castro, 2007 : 120).

Le chamanisme et ses auxiliaires

Viveiros de Castro définit le chamanisme comme l’« habileté manifestée par certains individus à traverser les barrières corporelles entre les espèces et à adopter la perspective de subjectivités allospécifiques, de façon à administrer les relations entre celles-ci et les humains » (2009a : 25). Le chamane adopte le point de vue de l’autre personne, du non-humain. Il joue le rôle de diplomate cosmopolitique où les intérêts divers de chacun s’affrontent (ibid. : 121). Tout comme le guerrier, le chamane est un conducteur de perspectives où la position d’humain est toujours disputée. Toutefois, il opère dans la zone interhumaine ou intersociétaire. Le chamane, comme dans l’exemple du devenir-jaguar, établit un rapport avec un non-humain pour ensuite rapporter ou narrer ce rapport en utilisant les différences de potentiel inhérentes aux divergences de perspectives qui constituent le cosmos (ibid. : 122). De la sorte, l’échange et la circulation infinie de perspectives sont des devenirs.

Maîtres

Bien que la relation entre un esprit-maître et ses protégés chez Viveiros de Castro ait déjà été abordée d’une façon théorique dans le chapitre précédent en parallèle avec la discussion de Descola afin de faciliter la description de ce type de relation, l’anthropologue mentionne à quelques reprises cette relation dans son ethnographie. Ainsi, le Maître des serpents possède des animaux domestiques qu’il relâche sur les humains ayant oublié de l’inviter à des banquets et le Maître de l’eau possède aussi des animaux domestiques et peut contrôler les poissons (Viveiros de Castro, 1992 : 76 ; 82).

Ainsi, chez Viveiros de Castro, au niveau des relations d’amitié et d’alliance, peu d’informations sont disponibles chez les non-humains. Plutôt, l’auteur présente un rapport

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entre les humains et les non-humains. Aussi, il démontre comment l’affinité potentielle est l’altérité déterminée et relève d’une structure d’alliance multibilatérale à inflexion patri- avunculaire en Amazonie.

Relations de prédation, d’hostilité, et de guerre dans les écrits de Viveiros