• Aucun résultat trouvé

Relations entre les niveaux textuels et les composantes de la compétencela compétence

Trois niveaux de structuration du texte

Nous l’avons vu, la lecture-évaluation d’un texte pose problème à cause de la panoplie de questions qu’elle soulève, tout comme la lecture-analyse à cause de sa complexité. Pour soulager la tâche du correcteur, nous tenterons de décomposer le texte en trois niveaux de structuration : la planification supérieure, la microsyntaxe et le niveau intermédiaire de la cohésion inter phrastique.

141

Traditionnellement, l’enseignement/apprentissage de l’écrit est lié à la grammaire : morphosyntaxe, phrase simple, phrase composée, articles, etc. C’est depuis une trentaine d’années que la didactique se tourne vers la grammaire du texte et s’offre l’ambition de dépasser la structuration syntaxique pour formuler des règles concernant le schéma textuel ou la cohérence et la cohésion du texte. Or si la grammaire traditionnelle formule des règles explicites, la grammaire du texte est loin de cet objectif.

Exposer des règles assurant le passage de la phrase à un ensemble pluri phrastique, et mettre en forme un enchaînement de séquences ne sont pas chose aisée, de plus, une grammaire qui expliciterait tous les niveaux de la réalisation textuelle ou une théorie qui proposerait l’appropriation du code textuel et des mécanismes de la production de textes dans leur exhaustivité n’existent pas à ce jour. Il est toutefois possible de mettre en place un modèle d’ensemble, en puisant dans diverses sources, pour fonder l’apprentissage de l’écrit sur des bases plus solides (Cuq, 2003 : 185).

L’évaluation d’un texte, nous l’avons vu dans le chapitre précédent, consiste à réunir un certain nombre d’informations, à déterminer si ces dernières sont adéquates aux critères antérieurement posés et à traduire les résultats en vue d’une prise de décision. La production de textes, y compris de textes argumentatifs, mobilise une compétence complexe qui inclut une multitude de connaissances ou savoir-faire. Ainsi, lors de l’évaluation d’une « compétence multidimensionnelle » (De Ketele, 2010 : 33), se pose la question de dimensions différentes (connaissances linguistiques, cohérence) et de mesures différentes (grammaire, usages au niveau du texte). Le problème est de déterminer des dimensions et des mesures qui puissent représenter de façon lisible les résultats attendus des productions écrites, en d’autres termes, d’identifier des critères à utiliser.

Pour ce faire, nous procéderons à une décomposition des niveaux d’analyse, en relation avec les phases du processus rédactionnel, et les compétences mobilisées lors de la production de textes. À ce titre, le processus rédactionnel par compétences pourrait constituer une approche non seulement pour l’analyse des productions écrites, mais pourrait également servir de feuille de route sur le plan de l’apprentissage. Il serait utile de spécifier des niveaux d’analyse comme outils à comprendre les productions écrites.

Les niveaux d’analyse que nous appliquerons dans notre étude seront organisés en trois niveaux. Le premier niveau d’analyse implique la phrase : orthographe, morphologie et syntaxe. Le

142

second niveau d’analyse concerne les relations interphrastiques (ou inter énoncé), notamment les procédés de cohérence, cohésion et connexion. Le troisième niveau concerne la structure globale du texte et la situation de sa production. Dans ce sens, nous proposerons un schéma qui intègre, d’un côté les composants textuels et leur agencement, et d’un autre côté les données situationnelles et interactionnelles (à l’image du topos, ce dernier étant lié aux croyances, aux représentations et aux valeurs).

Correspondance entre les niveaux textuels et les composantes de la compétence à communiquer langagièrement à l’écrit

Nous avons déterminé, dans notre chapitre 4, en accord avec le CECR, trois composantes de la compétence écrite que nous ambitionnons d’évaluer. Nous avons par ailleurs convenu que la compétence n’étant pas observable et évaluable, nous ferons l’évaluation à travers d’un côté ses composantes, et d’un autre côté, le comportement langagier des sujets évalués, le texte. Il convient maintenant de mettre en relation les éléments observables et évaluables, à savoir les composantes de la compétence avec les niveaux de structuration du texte.

Il convient cependant de noter que la correspondance entre texte et compétence que nous proposons n’a pas vocation à être exhaustive, nous l’élaborons pour les besoins de notre corpus et nous considérons qu’elle nous convient. Il faut admettre son caractère incomplet, peut-être détourné, elle pourrait donc être enrichie et modifiée par d’autres moyens et pour d’autres contextes.

Ainsi, dans notre théorisation, nous associerons chaque niveau textuel avec une composante de la compétence comme suit :

- Le premier niveau (phrase) : sera analysé en relation avec la composante linguistique ;

- Le second niveau (relations interphrastiques) les procédés de cohérence, cohésion et

connexion, sera analysé par rapport à la composante pragmatique ;

- Le troisième niveau concerne la structure globale du texte et la situation de sa

143

Critères retenus en vue de l’analyse et de l’évaluation

6.3.3.1 Critères d’analyse

Sur le plan pragmatique

À la suite des travaux de Charolles, les pistes d’une grammaire de texte ont été lancées. En effet, certains procédés grammaticaux dépassent la phrase : les références anaphoriques, la concordance des temps. La structuration du texte obéit aux règles, même si elles sont moins strictes que celles de la phrase. Nous appliquerons aux textes de notre corpus des règles de cohérence, nous nous intéresserons également aux anaphores et aux connecteurs.

Or cette partie de notre analyse n’est pas aisée, car les règles de grammaire du texte, bien que reprises et spécifiées dans de nombreux ouvrages depuis plusieurs années, ne sont pas fixées. De plus, la cohérence d’un texte dépend essentiellement de l’interlocuteur, qui n’est autre dans ce cas que l’enseignant/correcteur/évaluateur, et qui, au-delà de la communication humaine, est soumis à des contraintes institutionnelles.

Sur le plan linguistique

Analyser un texte suivant un plan linguistique, c’est appliquer la norme, ce qui paraît facilement réalisable, vu que les différents livres de grammaires et dictionnaires ont fixé avec plus ou moins de précision les usages standards de la langue. Ainsi, concernant l’orthographe, les règles

sont rigides et nous n’avons guère le choix, en français on écrit mariage, et non marriage, de

même, volume est au masculin, la volume sera rejeté.

Après avoir posé ceci, une question surgit : peut-on respecter la norme ? On sait que tout le monde fait des erreurs, pour diverses raisons, que ce soit en langue maternelle ou en langue étrangère. Et dans ce cas, si en classe elle n’est jamais entièrement appliquée parce qu’on fait tout le temps des erreurs, faut-il se taire à jamais ? C’est dans cet ordre de pensées qu’on arrive à la question de transgression de la norme et de l’erreur, source d’apprentissage en classe. Nous analyserons donc notre corpus à partir d’une typologie des erreurs, tout en sachant que cette typologie n’est pas exhaustive, qu’on pourrait toujours déceler d’autres erreurs.

144

Sur le plan sociolinguistique

Ce plan s’avère délicat et difficile à être analysé (et, comme on le verra, encore plus difficile à être évalué). Pour l’analyser, nous avons détourné une figure logico discursive ancienne, le

topos, ou le garant dans la théorisation toulmienne40 .

Comme nous le verrons dans la partie suivante de notre recherche, le topos s’avère un bon outil afin de modéliser des valeurs, des croyances, des opinions. Nous utiliserons l’analyse topique dans deux aspects. En effet, le topos peut modéliser la structure profonde du langage, en partant

40 Toulmin propose l’emploi d’un schéma afin d’exposer les arguments « en toute transparence logique, et comprendre correctement la nature du « processus logique » » (Toulmin, 1993/1958 : 118). Il s’interroge sur la validité du passage entre la thèse ou conclusion qu’on cherche à établir (C) et les faits invoqués à l’appui de cette thèse, appelés données (D). Il présume que le passage qui mène à la thèse, ce sont des « règles, principes, énoncés, etc., autorisant une inférence » (id : 120), ou encore des « énoncés généraux, hypothétiques, qui peuvent faire office de passerelle… » (id. : 120), ce sont notamment les garanties. La garantie est donc « incidente et explicative, sa tâche consistant simplement à indiquer explicitement la légitimité du passage en question et de le renvoyer à la classe de passages plus importante dont la légitimité est présupposée » (id. : 122). Mais Toulmin intègre un élément supplémentaire à son schéma, le fondement d’une garantie, pour que cette dernière soit acceptée. Si les garanties sont « hypothétiques, semblables à des passerelles » (id. : 129), les fondements sont des faits catégoriques. Ainsi, dans le schéma suivant le trajet argumentatif contient des données (D) qui aboutissent à une conclusion (C) en passant par les garanties (G), ces dernières étant basées sur un fondement (F). Le garant, étant explicite, sert à attester la solidité des arguments, alors que le fondement, implicite, sert d’assurance à la garantie. Deux autres éléments complètent le schéma : le qualificateur (Q) et les réserves (R). « Les qualificateurs (Q) indiquent la force que la garantie confère à ce passage tandis que les conditions de réfutation (R) signalent les circonstances dans lesquelles il faudrait annuler l’autorité générale de la garantie » (Toulmin, 1993 : 124).

Figure 8 : Exemple à l’appui de schéma d’argumentation (Toulmin, 1993 : 125) Pour appuyer la conclusion (C) que Harry est sujet brittanique, on fait appel à la donnée (D) suivant laquelle il est né aux Bermudes. La garantie (G) selon laquelle celui qui naît aux Bermudes est généralement sujet britannique est assurée par le fondement (F), notamment la loi. Le qualificateur (Q), introduit avant la conclusion, prend en compte la possibilité d’une réserve (R) où il s’avérerait que les deux parents étaient étrangers.

145

de base très commune, qui est l’entendement humain, et en partant vers la structure supérieure (le texte), en passant par des valeurs et des croyances, propres aux diverses communautés linguistiques et culturelles. Le second aspect intègre un topos graduable, inventé par la théorie

de l’argumentation (Anscombre et Ducrot 1983), en se servant de contraires, par exemple plus

p, moins p’ (plus on est pressé, moins on a le temps). Par ce procédé, nous pouvons comparer

des comportements, des situations, des cultures.

Nous pouvons ainsi imaginer une maison, correspondante à la composante sociolinguistique de la compétence écrite. Les fondements représenteraient des faits humains : le fonctionnement biologique (on naît, on meurt, on se nourrit), une logique naturelle, propre à tout le monde (on travaille parce qu’on a besoin d’argent), des valeurs universelles (l’amour). On imagine, au rez-de-chaussée les communautés linguistiques et culturelles, avec des valeurs, coutumes, opinions, qui n’existent à l’état pur, mais qui s’influencent mutuellement. Le premier étage serait réservé aux faits linguistiques : expressions de politesse, de sagesse, et des faits de comportement dans la société. Le dernier étage finalement, constituerait le discours, ou l’actualisation des faits linguistiques. C’est l’étage où se trouveraient les productions écrites de notre corpus.

6.3.3.2 Critères d’évaluation retenus pour l’évaluation

Nous l’avons précisé, les trois niveaux de l’évaluation en FLE étant articulés, à savoir le niveau universitaire, le niveau national et le niveau international, et les pratiques d’évaluation du texte produit n’étant pas divergents dans la pratique, nous nous alignons aux critères utilisés lors des épreuves internationales. Le niveau B1 du CECR correspond bien au niveau des étudiants en deuxième année ayant produit notre corpus, c’est pourquoi nous développerons ci-après les

critères du DELF B1 qui nous guideront dans nos réflexions infra.

Les critères d’évaluation du DELF B1 concernant la compétence à communiquer langagièrement à l’écrit sont formulés, en accord avec les travaux du Conseil de l’Europe, en relation avec ce que l’apprenant est capable de faire. Ils se déclinent en trois groupes, que notre théorisation a adoptés : pragmatiques, linguistiques, et sociolinguistiques. Nous les développerons avec les descripteurs de niveau B1 du CECR concernant les compétences communicatives langagières.

146

Compétence pragmatique

Développement thématique : l’étudiant peut, avec une relative aisance, raconter ou décrire quelque chose de simple et de linéaire.

Cohérence et cohésion : l’étudiant peut relier une série d’éléments courts, simples et distincts en un discours qui s’enchaîne.

Précision : l’étudiant peut exprimer les points principaux d’une idée ou d’un problème avec une précision suffisante. Il peut transmettre une information simple et d’intérêt immédiat, en mettant en évidence quel point lui semble le plus important. Il peut exprimer l’essentiel de ce qu’il souhaite.

Compétence linguistique

Étendue du vocabulaire : l’étudiant possède un vocabulaire suffisant pour s’exprimer à l’aide de périphrases sur des sujets de la vie quotidienne, tels que la famille, le travail, les loisirs, l’actualité.

Maîtrise du vocabulaire : maîtrise élémentaire, mais des erreurs sérieuses se produisent s’il s’agit d’exprimer une pensée complexe.

Correction grammaticale : l’étudiant communique avec une correction suffisante dans des contextes familiers. Des erreurs peuvent se produire, mais le sens général reste clair. Il peut se servir avec une correction suffisante des tournures et expressions en relation avec des situations prévisibles.

Maîtrise de l’orthographe : l’étudiant peut produire un écrit compréhensible. L’orthographe, la ponctuation et la mise en page sont assez justes pour être suivi facilement.

Compétence sociolinguistique

Correction sociolinguistique : l’étudiant peut s’exprimer en utilisant les expressions les plus courantes dans un registre neutre. Il est conscient des règles de politesse et se conduit de manière appropriée. Il est conscient des différences les plus significatives entre les coutumes, les usages, les attitudes, les valeurs et les croyances qui prévalent dans la communauté concernée et sa propre communauté.

147

On pourrait bien comprendre que les critères d’analyse et d’évaluation sont en interaction, ils s’enrichissent et s’éclaircissent mutuellement. Nous essaierons de les développer et appliquer sur les textes de notre corpus, afin d’évaluer la compétence écrite des deux publics.

148