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1 CADRE THÉORIQUE

1.3 Relations entre MdT et langage

1.3.1 Rôle de la MdT dans l’acquisition lexicale

De nombreux travaux ont mis en évidence un lien direct entre les capacités de MdT et l’acquisition du vocabulaire chez les enfants. La boucle phonologique semble jouer un rôle majeur dans l’acquisition lexicale (Gathercole & Baddeley, 1990 ; Adams & Gathercole, 2000

; Willis & Gathercole, 2001 ; De Abreu et al., 2011). Lors de l’apprentissage de nouveaux mots, l’enfant doit non seulement identifier les phonèmes constitutifs mais également mémoriser leur ordre. L’acquisition lexicale semble alors intimement liée aux capacités de rétention de l’information verbale. Gathercole et Baddeley (1990) ont comparé les performances d’enfants avec TDL âgés de 7 à 9 ans en MCT verbale (rappel de listes de mots) et en répétition de non-mots avec celles d’un groupe contrôle apparié en âge linguistique. Leurs résultats mettent en avant une corrélation entre les performances en répétition de non-mots (considérée comme une des mesures les plus pures de la boucle phonologique) et les capacités d’apprentissage des nouveaux mots. D’autres études ont montré que les enfants de 3 à 5 ans montrant de bonnes capacités au niveau de la boucle phonologique présentent une diversité lexicale plus large, produisent des énoncés plus longs et plus complexes que des enfants ayant des performances plus faibles aux tâches d’empans simples (Adams & Gathercole, 2000 ; Willis & Gathercole, 2001). D’autre part, De Abreu et collaborateurs (2011) ont souhaité préciser la contribution de la boucle phonologique et de l’administrateur central dans l’acquisition du langage chez des enfants âgés de 6 ans. Pour

cela, ils ont testé leurs capacités en MdT à travers des tâches d’empans simples (empan de chiffres endroit et répétition de non-mots) et d’empans complexes (empan de chiffres envers et counting span), et leurs performances langagières en vocabulaire (dénomination d’images) et en syntaxe (désignation d’images). Leurs résultats font ressortir que ces deux entités de la MdT ont des rôles différents dans le développement du langage. En effet, les empans simples semblent liés aux capacités lexicales des enfants car ils expliquent 27% de la variance en vocabulaire. Alors que les empans complexes seraient plutôt liés à la compréhension syntaxique. Effectivement, les scores aux empans complexes (et particulièrement l’épreuve de counting span) expliquent 44% de la variance des performances en compréhension syntaxique.

Jusqu’à présent, les tâches mesurant les capacités de la boucle phonologique ne distinguaient pas les deux composantes de la MCT verbale à savoir la mémoire “item” et la mémoire “ordre sériel”. Majerus et collaborateurs (2006) ont cherché à dissocier le rôle de ces deux composantes dans l’acquisition du vocabulaire. Leurs résultats mettent en évidence un lien étroit entre l’acquisition lexicale et les compétences en mémorisation de l’ordre sériel chez des enfants DT entre 4 et à 6 ans. Les performances en mémoire “ordre sériel” entre 4 et 6 ans sont corrélées aux performances en vocabulaire au cours de la même période (Leclerq &

Majerus, 2010). La composante “ordre sériel” de la MCT verbale semble alors jouer un rôle non négligeable dans l’apprentissage de nouvelles formes lexicales et la formation de représentations solides en MLT. La MdT (mesurée par des tâches d’empans complexes) semble quant à elle davantage liée au développement de la syntaxe. Nous avons vu plus haut que les enfants avec TDL présentaient de faibles capacités tant au niveau de la boucle phonologique qu’au niveau de l’administrateur central, nous pouvons ainsi faire le lien entre les difficultés langagières observées dans le TDL et les limitations en MdT. Cela rejoint l’hypothèse de Jakubowicz (2005) selon laquelle une limitation des capacités de MdT entraverait le développement des capacités en syntaxe complexe chez les enfants avec TDL.

C’est pourquoi nous allons nous intéresser dans le prochain chapitre aux liens pouvant exister entre la MdT et le développement de la syntaxe complexe.

1.3.2 Maturation de la MdT et complexification syntaxique

Si l’on s’intéresse au développement des capacités en MdT et en syntaxe complexe, nous pouvons voir un lien direct entre la maturation des capacités en MdT et l’utilisation de la syntaxe complexe. Tout d’abord, chez les enfants DT, nous observons un effet d’âge significatif sur les performances en MdT et en syntaxe complexe (Delage & Frauenfelder,

soumis). Avec l’âge, on assiste dans le développement typique à une maturation progressive des capacités en MdT et en syntaxe complexe. D’une part, les capacités en MdT se développent de manière régulière dès l’âge de 5 ans jusqu’à l’adolescence (Barrouillet &

Camos, 2007 ; Delage & Frauenfelder, soumis). Et en parallèle, l’enfant est capable de traiter et de produire davantage de phrases complexes (Hamann et al., 2007 ; Delage, 2008). On peut alors se poser la question de l’existence d’un lien entre le traitement des phrases complexes et les capacités en MdT. En effet, face à une structure complexe, il est nécessaire de garder en mémoire les informations récoltées au fur et à mesure de l’énoncé pour pouvoir effectuer les réajustements nécessaires en fonction des nouvelles informations disponibles pour accéder au sens de la phrase. Cela soutient l’hypothèse de Jakubowicz (2005, 2011) d’un lien direct entre la maturation des capacités en MdT et l’utilisation de la syntaxe complexe. Cette maturation progressive de la MdT libérerait des ressources permettant à l’enfant d’effectuer un nombre plus important d’opérations syntaxiques pour traiter un énoncé et donc de produire et de comprendre davantage de phrases complexes. Ainsi, la maturation de la MdT au cours du développement pourrait permettre une complexification de la syntaxe chez les enfants DT. Chez des enfants avec TDL, on retrouve également une progression avec l’âge, entre 5 et 14 ans, des performances en MdT et en syntaxe complexe mais cette progression est nettement moins marquée et beaucoup plus lente que chez des enfants DT appariés en âge linguistique (Delage & Frauenfelder, soumis). On assiste donc à une limitation des capacités en MdT ainsi qu’à des difficultés en syntaxe complexe qui perdurent chez les enfants avec TDL (Jakubowicz & Tuller, 2008). Selon l’hypothèse de Jakubowicz, détaillée plus haut, c’est cette immaturité de la MdT qui entraverait le développement des capacités en syntaxe complexe chez les enfants avec TDL. Effectivement, le traitement et la production de phrases complexes, nécessitant des ressources en MdT, constitueraient une surcharge pour une MdT limitée chez ces enfants. Cette limitation des capacités de MdT pourrait donc empêcher la complexification de la syntaxe chez les enfants avec TDL. Voyons à présent dans quelles mesures les capacités en MdT peuvent être liées aux compétences syntaxiques.

1.3.3 Corrélations spécifiques entre MdT et syntaxe complexe

Compréhension syntaxique et MdT

L’existence de liens étroits entre les capacités en MdT et la compréhension syntaxique a été relevée dans plusieurs recherches (Marton & Schwartz, 2003 ; Montgomery et al., 2008 ; Montgomery & Evans, 2009 ; Marinis & Saddy, 2013 ; Fortunato-Tavarès et al., 2015 ; Vugs, Knoors, Cuperus, Hendriks & Verhoeven, 2016 ; Delage & Frauenfelder, soumis). En effet, en

2008, Montgomery et collaborateurs ont comparé le rôle des empans simples (évalués par une épreuve de répétition de non-mots) et des empans complexes (évalués par une tâche de listening span) sur les performances en compréhension syntaxique chez des enfants DT âgés de 6 à 12 ans. Leurs analyses ont mis en avant un lien spécifique entre les empans complexes et la compréhension de phrases complexes mais aucune corrélation n’est apparue entre l’épreuve de répétition de non-mots et la compréhension syntaxique. En 2009, Montgomery et Evans ont répliqué cette étude chez des enfants avec TDL. Leurs résultats sont similaires à ceux des enfants DT. Les performances des enfants avec TDL dans une tâche de listening span (empans complexes) corrèlent avec leur niveau de compréhension de phrases complexes. La MdT dans sa composante la plus complexe semble donc impliquée dans la compréhension syntaxique. Dans une étude plus récente, Vugs et ses collaborateurs (2016) ont également tenté d’analyser l’implication de la MdT dans les capacités langagières chez 58 enfants avec TDL et 58 enfants sans difficultés langagières âgés de 4 à 5 ans. Leurs résultats rejoignent ceux des études précédentes et montrent que chez les enfants avec TDL, la MdT, et plus spécifiquement les performances aux empans complexes, est fortement impliquée dans un large éventail de compétences linguistiques, et notamment en compréhension syntaxique.

Production syntaxique et MdT

D’autre part, une relation étroite entre MdT et production de phrases complexes a pu être établie. Tout d’abord, chez les enfants DT, des liens entre les performances en MdT et les performances en répétition de phrases ont été mis en avant (Poll et al., 2013 ; Delage &

Frauenfelder, soumis). Ensuite, chez les enfants avec TDL, il existe également des associations significatives entre les compétences en MdT et la production de phrases relatives. Dans une étude, portant sur 35 enfants avec TDL et un groupe contrôle DT âgés de 6 à 8 ans, Frizelle et Fletcher (2015) ont trouvé que les performances aux empans simples des enfants avec TDL étaient corrélées aux phrases relatives les moins complexes alors que les empans complexes étaient davantage liés aux relatives les plus complexes, dans une tâche de répétition de phrases complexes. Enfin, d’autres études ont trouvé des corrélations spécifiques entre les capacités en MdT et la production de pronoms clitiques objet. En effet, Durrleman et Delage (2016) ont montré que les difficultés à produire des pronoms clitiques objet 3ème personne sont corrélées à leurs scores déficitaires en MdT chez des enfants et adolescents francophones avec TDL âgés de 5 à 16 ans. Cette association entre capacités en MdT et production de pronoms clitiques objet avait déjà émergé chez des enfants DT hispanophones de 2 à 4 ans (Mateu, 2014).

1.3.4 Relation prédictive entre MdT et syntaxe complexe

Dans l’étude qui est à la base de notre projet, des corrélations spécifiques entre les mesures en MdT et les performances en syntaxe complexe chez des enfants DT et avec TDL ont également été mises en avant (Delage & Frauenfelder, soumis). Néanmoins, ces corrélations n’ont pas été retrouvées pour des énoncés grammaticaux moins complexes. On peut ainsi affirmer que la MdT est impliquée spécifiquement dans la syntaxe complexe et non dans la grammaire en générale. D’autre part, une relation prédictive forte entre la MdT et la syntaxe complexe tant chez les enfants DT que chez les enfants avec TDL a été mise en évidence. En effet, ces auteurs ont testé les capacités en MdT, par des tâches d’empans simples et complexes, ainsi qu’en syntaxe, par des épreuves de compréhension et production syntaxique, chez 28 enfants présentant un TDL âgés de 5 à 14 ans, ainsi que chez 48 enfants DT du même âge. Les résultats révèlent que pour les deux groupes, la combinaison des empans simples, des empans complexes et l’âge explique plus de 50% de la variance des résultats obtenus en compréhension de phrases complexes. Les mêmes prédicteurs permettent également d’expliquer 50 % de la variance des scores obtenus en répétition de phrases complexes chez les enfants DT et jusqu’à 58% de la variance chez les enfants avec TDL. Cependant ces deux groupes d’enfants diffèrent en ce qui concerne les aspects de la MdT qui sont les plus prédicteurs de leurs performances en syntaxe.

Tout d’abord, pour le groupe d’enfants DT, les empans complexes apparaissent comme les plus robustes pour prédire les performances en syntaxe complexe. L’épreuve de counting span (présentée au point 2.3.1.2 de la partie méthodologie) se révèle être celle qui prédit le plus fortement les performances en syntaxe complexe des enfants DT. En effet, cette épreuve prédit 25 % de la variance de la longueur moyenne des énoncés (LME), environ 20 % de la variance du taux de subordination et du taux d’enchâssement profond et 44 % de la variance de la compréhension syntaxique. Montgomery et collaborateurs (2008) avaient également montré que les empans complexes expliquaient 30 % de la variance des scores obtenus en compréhension syntaxique chez des enfants DT.

D’autre part, chez les enfants avec TDL, ce sont les performances aux empans simples qui apparaissent comme les plus prédictives des performances en syntaxe complexe, ils expliquent notamment 35% de la variance de la LME et 22% de la variance du taux d’enchâssement. Un résultat qui nous intéresse particulièrement est la relation prédictive forte entre la composante sérielle de la MCT verbale et les capacités syntaxiques des enfants avec TDL. Effectivement, l’épreuve de mémoire sérielle, la course des animaux (Majerus et al., 2006 ; Majerus, 2008) est une tâche qui limite au maximum l’implication des compétences langagières et se présente comme une des plus prédictives des performances en syntaxe complexe chez les enfants avec TDL. Le fait que cette tâche soit la plus robuste pour rendre

compte des capacités de stockage de la MCT verbale, car indépendante du système langagier, et qu’elle prédise fortement les performances en syntaxe complexe, permet de dire que la MdT entretient un lien très particulier dans sa relation prédictive avec la syntaxe complexe. Ces résultats soutiennent l’hypothèse de Jakubowicz (2005, 2011) selon laquelle le développement des habiletés en syntaxe complexe chez les enfants avec TDL serait entravé par une immaturité des capacités de MdT. On peut alors imaginer qu’une rééducation axée sur la MdT pourrait avoir des impacts positifs sur les performances syntaxiques des enfants avec TDL. Nous allons voir que de nombreux programmes d’entrainement de la MdT existent déjà sur le marché avec des effets à plus ou moins long terme sur les différentes fonctions cognitives ciblées.