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CHAPITRE 4 : Résultats

4.2 Les défis de la réinsertion sociale

4.2.3 Les défis de nature relationnelle

4.2.3.2 Les relations conjugales

En continuité avec ce que l’on retrouve dans la littérature (Cnaan et al., 2008; Harris, 2014), il y a des défis qui touchent les relations conjugales. Les difficultés sont différentes selon la situation matrimoniale du résident à son arrivée en maison de transition, soit s’il poursuit ou recherche une relation. Plus de la moitié des résidents (9/16) et la majorité des intervenants (6/8) ont abordé cette thématique dans leur discours sur les défis associés à la réinsertion sociale.

D’abord, le premier défi soulevé par certains résidents pour qui la relation de couple avait résisté au délit et au passage dans le système judiciaire était de poursuivre cette relation (3/8). Les difficultés concernant la distance et la résolution de conflits mentionnées précédemment en relation à la famille sont applicables également dans le cas des relations conjugales. De plus, les conditions de l’article 161 qui limitent le contact avec les enfants ou les mineurs ont aussi un impact sur les relations avec les conjointes. En effet, deux résidents voyaient la relation avec leur conjointe affectée par ces restrictions. L’un a exprimé qu’en plus d’avoir du mal à trouver des activités à faire avec sa conjointe, ils devaient faire garder les enfants pour se rencontrer, et tout cela avec des ressources financières limitées. L’autre a expliqué qu’il ne pourrait pas retourner habiter avec sa conjointe tant que sa fille n’aurait pas atteint ses 16 ans, ce qui implique une attente de 10 ans. Ces particularités avec les conditions associées aux crimes sexuels peuvent donc expliquer le fait que ce sujet ait été abordé uniquement par les hommes du sous-groupe de délinquants sexuels.

En contrepartie, pour d’autres qui étaient célibataires à la sortie de détention, c’est l’établissement d’une relation avec une femme qui s’avère un défi. C’était le cas pour six des huit célibataires de l’échantillon. Il faut prendre note que cinq de ces hommes avaient connu des difficultés dans la sphère conjugale avant leur détention, leurs histoires de vie de couple étant caractérisées par de nombreuses relations infructueuses, des difficultés sexuelles et/ou des problèmes de communication au sein du couple. Deux principaux facteurs ressortent des discours des résidents quant aux barrières qu’ils rencontrent dans l’établissement d’une nouvelle relation avec une femme soit le dévoilement du délit et l’enquête communautaire. En effet, le dévoilement était une source de stress pour plusieurs (6) qui craignaient une mauvaise réaction, sachant qu’ils ont un lourd passé à dévoiler. Harris (2014) arrivait à un résultat similaire auprès

de son échantillon de délinquants sexuels, ceux-ci ayant perdu espoir faire des rencontres amoureuses en raison d’une peur d’avoir à expliquer leur situation à une partenaire potentielle. Par la suite, c’est l’enquête communautaire qui mettait un frein à quatre résidents. L’enquête communautaire est une rencontre entre un intervenant de la maison de transition ou l’agent de libération conditionnelle (ALC) et un membre du réseau du résident dans le but de vérifier que la personne est une influence positive pour le résident et qu’elle est aux faits du délit et des conditions de libération qu’il a à respecter10. Les résidents avaient un malaise à imposer ce type

de vérification aux nouvelles personnes rencontrées, et cela s’applique d’ailleurs aussi aux relations amicales.

Fait que là, aussitôt que je rencontre quelqu’un, que je parle à quelqu’un, c’est tout de suite une enquête communautaire et bla bla bla tu sais. Des fois, le monde sont pas intéressés à ce que tu ailles fouiller dans leur vie tu sais. C’est correct que tu sois leur ami, ils vont tout te dire, tu peux tout leur partager, mais tu sais, eux autres, ils sortent pas de prison là. (Marc)

Finalement, un troisième élément a été nommé par un seul résident qui a la particularité d’avoir une ordonnance de surveillance de longue durée (OSLD). Il a expliqué qu’en plus des difficultés mentionnées ci-dessus, le fait qu’il soit en OSLD ajoutait le problème d’imposer ses conditions à sa future conjointe pour plusieurs années, ce qui peut effectivement constituer un élément dissuasif important à vouloir s’engager dans une relation avec lui.

Parce que moi, je me mets à la place de la madame. La madame, mes restrictions deviennent les siennes. […] Et euh … c’est sûr que c’est pas facile … même rencontrer une femme. Ça dépend, quelqu’un qui est pas en OSLD c’est plus facile. Parce que tu te dis : « bon bien dans 6 mois, un an, m’a avoir fini, m’a sortir, on va commencer une vie normale ». Mais en OSLD, c’est une autre histoire là. C’est pas fini là dans un an, 2 ans, tu comprends. (Quentin)

On constate qu’il y a une prévalence importante de la clientèle fédérale dans le groupe d’hommes célibataires ayant mentionné les difficultés à faire de nouvelles rencontres. La longueur des peines peut avoir un poids explicatif dans leur situation de célibat à la libération. De plus, le fait que ces hommes ont généralement commis des délits plus graves pourrait expliquer leur surreprésentation parmi ceux qui craignent le dévoilement de leur passé criminel.

Pour ce qui est des services permettant de répondre à ces besoins, aux dires des résidents, les programmes spécialisés (délinquance sexuelle, violence, dépendances) suivis tant en détention qu’en transition ont souvent un volet « relation conjugale ». Autrement, l’intervention à ce sujet repose sur le suivi clinique en maison de transition. Les résidents sont alors encouragés à sortir et à faire des activités pour rencontrer de nouvelles personnes et peuvent obtenir écoute et aide auprès de leurs conseillers cliniques.

Les intervenants avaient davantage un discours qui porte sur les défis qui touchent les résidents célibataires. Dans un premier temps, les intervenants ont noté la difficulté de faire des rencontres, difficulté plus présente chez les délinquants sexuels en raison de leurs conditions.

Je trouve que le meilleur moyen par exemple de rencontrer des nouvelles personnes c’est d’intégrer des groupes divers. Fait que mettons, des groupes de sports, des groupes de musique, tout ça. Mais le problème c’est que tout ça se passe dans des centres communautaires, dans des parcs. Ça s’adresse des fois autant aux jeunes qu’aux adultes fait que tu sais, en vertu de leurs conditions, ils ne peuvent pas se retrouver dans des parcs, ne peuvent pas se retrouver dans des centres communautaires, ils peuvent pas être en présence de mineurs. Fait que tu sais, déjà là, c’est un défi de trouver des endroits. (Ingrid)

Aussi, les intervenants ont expliqué qu’il y a davantage de vérifications dans les cas de délinquance sexuelle ou de violence conjugale de sorte que les enquêtes communautaires sont plus fréquentes et rigoureuses. Finalement, trois intervenants ont noté que le dévoilement est plus difficile lorsque le délit à dévoiler est de nature sexuelle.

Dévoiler ta situation, surtout de dévoiler ton crime quand c’est de nature sexuelle, c’est jamais bien bien facile. Fait que tu sais, c’est un défi. De pas … de continuer d’aller de l’avant, puis de pas tout le temps avoir l’impression que tu vas être jugé puis tout ça. (Ingrid)

Les relations conjugales sont donc problématiques de manière différente selon l’état matrimonial à la sortie de détention. L’intervention en lien avec ces défis semble reposer principalement sur le suivi à la maison de transition. Malgré les difficultés que la période de transition pose pour la possibilité d’établir une nouvelle relation conjugale, il semble que ces défis soient surmontables puisque deux hommes avaient réussi à entrer en relation avec une femme depuis leur sortie de détention, et ce, malgré un antécédent de nature sexuelle.