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CHAPITRE 4 : Résultats

4.2 Les défis de la réinsertion sociale

4.2.1 Les défis liés au retour à la liberté

La transition d'un milieu de détention ferme à un milieu de liberté conditionnelle pose un certain nombre de difficultés le temps de s’acclimater à ce nouvel environnement. Sont donc présentés les défis propres à cette courte période de transition vers la liberté, soit la multitude de démarches à entreprendre, la réintégration en communauté et la gestion du temps.

4.2.1.1 La multitude de démarches à entreprendre

À leur arrivée en maison de transition, huit résidents (8/16) ont dit avoir plusieurs petites choses à régler dans les premiers temps de leur liberté conditionnelle dont faire des achats de base, organiser différents papiers et prendre divers rendez-vous. L’intervention en lien avec ces difficultés repose sur le suivi clinique dans les maisons de transition. Un seul intervenant a abordé cette thématique sans toutefois ajouter d’éléments nouveaux à ce qui avait déjà été relevé dans le discours des résidents5.

D’abord, deux résidents de la clientèle fédérale avaient des achats de base à faire dans les premiers jours de leur liberté tels que l’achat de vêtements et de produits d’hygiène. Selon Borzycki (2005), plusieurs ex-détenus réintègrent effectivement la société avec peu ou pas de biens matériels, résultat aussi validé par d’autres études (Duffee et Duffee, 1981; Helfgott, 1997; LaVigne et al., 2008). C’était plus problématique pour l’un des deux hommes de l’échantillon qui n’avait pas tellement d’économie à ce moment.

5 Considérant qu’il semble alors y avoir une vision commune de ce défi entre les résidents et les intervenants

Ensuite, cinq résidents avaient des démarches à faire concernant des documents légaux ou officiels. En effet, pour certains, il fallait une mise à jour du permis de conduire, de la carte d’assurance maladie ou l’obtention d’un certificat de naissance. Pour d’autres, les démarches concernaient des contraventions impayées, l’ouverture d’un compte de banque et des déclarations fiscales. Du discours des résidents ressort l’idée qu’ils se sentaient plutôt démunis à travers ces démarches et qu’ils sont bien souvent peu informés de la marche à suivre. Le besoin de soutien pratique afin de réaliser ce type de démarche a aussi été identifié par Cnaan et al. (2008) et Day et al. (2011). La mise à jour de documents officiels est nécessaire à la réintégration des individus (LaVigne et al., 2008) et implique habituellement des déplacements dont les coûts peuvent dépasser les moyens de ceux-ci (Cnaan et al., 2008). Pour les résidents interrogés, cela engendre aussi du stress quand, par exemple, l’inscription à la Régie de l’assurance maladie du Québec est nécessaire pour avoir accès à une médication, alors que « prendre sa médication » fait partie des conditions de libération.

Finalement, en continuité avec les résultats de Helfgott (1997) et Morani et al. (2011), trois résidents devaient prendre un rendez-vous avec un médecin, démarche pouvant être complexe lorsque ceux-ci n’ont pas de médecin de famille. Les besoins étaient tant en santé mentale qu’en santé globale. Trois résidents souhaitaient aussi consulter en psychologie. Un résident a expliqué comment il est difficile pour lui de concilier ces besoins avec les autres défis de sa réinsertion sociale, notamment par le changement brusque de rythme entre la vie en détention puis en transition.

Je te dirais c’était beaucoup beaucoup de stress. On dirait, ça a passé comme d’excessivement calme à excessivement stressé puisque, il y a beaucoup de rendez-vous à prendre, de choses à faire. D’être capable de dealer avec le 40h semaine, en plus des rendez-vous exemple pour le registre des délinquants sexuels, des rendez-vous chez le médecin, des rendez-vous avec le psychologue pour trouver une thérapie. (Gérard)

À la sortie de détention, les résidents semblent donc avoir beaucoup de courses à faire et de démarches à entreprendre tout en étant plutôt démunis tant au niveau des moyens que des connaissances requises leur permettant d’effectuer ces tâches.

4.2.1.2 La réintégration en communauté

Les défis mentionnés ci-dessus sont d’autant plus importants, car ils surviennent alors que les résidents sont dans la transition entre un rythme de vie de détention et celui d’une liberté conditionnelle. En effet, la réintégration à la société est ressortie comme un défi auprès de quatre résidents (4/16) et trois intervenants (3/8). Premièrement, un résident a expliqué que ce qui était difficile pour lui dans son retour en société était d’être capable de résister à la tentation d’acheter tout ce qui lui a manqué pendant la détention (ex. nourriture, appareils électroniques). Pour un autre ayant eu une très longue peine, c’est plutôt un petit choc technologique qui le frappait dans sa réintégration à la société, n’ayant pas connu l’ère des téléphones cellulaires et des cartes OPUS6 auparavant. Il faut noter qu’il a mentionné que ce choc n’a été que très bref et bien peu

contraignant. Ensuite, c’est le changement de rythme de vie entre la détention et la transition qui s’est avéré difficile pour deux résidents.

Parce que moi, je suis habitué à : je vais à l’école puis là, je relax dehors. Tu sais, veut veut pas, la prison, c’est au ralenti. Tu sais, on fait toujours la même chose. Mais ici, faut qu’on aille travailler, faut que je fasse ça, faut payer les bills, faut aller faire le marché ... tu sais, la vie est super stressante dehors comparée à là-bas. (Kevin)

Finalement, un résident a mentionné le défi de se réapproprier une routine quotidienne qui respecte les conditions légales. Celui-ci a pris l’habitude de se questionner sur la manière dont une tierce personne percevrait tous ses faits et gestes afin de s’assurer d’être en conformité avec ce que l’on exige de lui.

Le discours des intervenants est généralement en continuité avec celui des résidents. Au sujet du changement du rythme de vie en transition, un intervenant a ajouté une précision concernant le fait que les centres résidentiels se trouvent à Montréal, une ville au mode de vie accéléré. Pour les résidents qui viennent d’ailleurs, cela peut s’ajouter aux difficultés à s’ajuster à ce rythme. D’autre part, en contradiction avec le témoignage d’un résident, une intervenante a mis de l’avant l’idée que l’adaptation aux changements de la société après une longue peine pouvait réellement être difficile pour certains résidents.

6 La carte OPUS est une carte à puce utilisée pour l’achat des titres de transport en commun de la grande région

C’est de s’adapter à un nouveau monde aussi, parce qu’il y en a qui ont fait des grosses sentences puis en 5-6 ans, ça peut avoir changé beaucoup là, à l’extérieur. Toute la vie, au quotidien. Comment la société accepte les choses. (Zoé)

4.2.1.3 Le temps

S’ajoutant à la difficulté à gérer le changement de rythme de vie entre la détention et la liberté, le dernier défi de cette catégorie est celui de la gestion du temps et a été amené en entrevue par trois résidents (3/16). Le défi pour deux participants de la clientèle provinciale était d’arriver à jongler avec la vie de famille, la vie en maison de transition, les programmes, le travail et toutes leurs autres responsabilités. Brown (2004) a d’ailleurs déjà évoqué la difficulté de concilier le travail et les thérapies. Les hommes rencontrés ont expliqué que cela fait en sorte qu’ils ont un horaire très chargé, que c’est exigeant, stressant puis épuisant. Les intervenants ont abordé ce défi de la même façon (3/8), l’une ayant fait part d'un enjeu concernant l’imposition de multiples thérapies dans les conditions de sa clientèle.

Tu sais, la commission, on dirait qu’ils veulent être tellement comme rassurés que « ok, toi tu as telle telle telle problématique, mais on va te mettre telle telle telle thérapie » […], mais des fois pour vrai, je pense qu’ils se rendent pas compte à quel point que c’est exigeant là. Puis tu sais, souvent aussi, ça va être des conditions légales, fait que les gars ont comme pas le choix de le faire. Mettons un gars qui faut qu’il fasse des meetings une fois par semaine, faut qu’il ait un suivi admettons à [ressource en dépendance] pour son problème de toxicomanie puis lui, il a aussi des problèmes de violence, fait qu’il faut aussi qu’il fasse un programme avec la violence puis en même temps faut qu’il travaille puis tu sais … il a une famille mettons fait qu’il veut aussi passer du temps. Tu sais comme, un moment donné, c’est juste … tu as pas de place dans ton horaire.

(Rosalie)

Ainsi, les premiers temps de liberté consistent en une courte période de temps où les hommes doivent rapidement s’habituer à leur nouveau statut de libéré conditionnel. De plus, les ajustements et les démarches qui doivent être effectués dans de courts délais génèrent du stress pour certains individus et c’est sans compter le fait qu’ils en sont tout au début de leur réinsertion sociale, parcours fort exigeant notamment en raison des prochains défis qui sont présentés.