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CHAPITRE 4 : Résultats

4.2 Les défis de la réinsertion sociale

4.2.4 Les défis en lien avec le développement personnel

4.2.4.1 Les difficultés d’ordre personnel

Plusieurs résidents rencontrés sortaient de détention aux prises avec des problématiques antécédentes à l’incarcération et non résolues ou bien en cours de résolution (14/16). Étant donné qu’il s’agit en fait de facteurs antécédents ayant mené à la commission du délit, la résolution de ceux-ci se trouve à la base de l’idée de la réinsertion sociale pour ces individus. Ainsi, prendre soin d’une problématique sexuelle (5/16), d’une problématique de consommation (4/16), de problématiques liées à la gestion des émotions ou à l’estime de soi (7/16) ou d’une problématique en lien avec l’appât du gain (2/16) s’avérait des défis de la réinsertion sociale pour les résidents rencontrés. Ces problématiques étaient généralement prises en charge dans des thérapies ou des programmes spécialisés à l’externe. Les résidents avaient par contre de la difficulté à avoir accès à ces ressources. Les intervenants avaient, pour chacun de ces défis, des éléments d’explications intéressants à ajouter.

D’abord, cinq individus ont mentionné des défis en lien avec une problématique sexuelle. Parmi ces défis émergeant du discours des résidents, on retrouve d’abord la difficulté à accepter sa problématique.

Oui, j’ai une distorsion, oui j’ai une … une attirance déviante. Je suis conscient de ça, mais j’aime pas le dire. J’aime pas me le faire … comme un miroir. (Pierre)

Il est difficile particulièrement pour deux résidents ayant commis des délits sexuels sur des enfants d’accepter que leur déviance soit la pédophilie, ce terme semblant très lourd de sens notamment en raison du stigma y étant associé. Ensuite, deux résidents ont expliqué qu’il leur arrive d’avoir des pensées sexuelles déviantes notamment dans des rêves. Pour un résident se sentant fragile, il faut une organisation très structurée des visites chez sa copine afin de limiter l’exposition aux situations à risque avec sa fille telles que le bain ou le coucher. Finalement, un homme qui n’est pas dans le sous-groupe de délinquants sexuels a mentionné avoir besoin de faire le point sur une problématique sexuelle non résolue, soit l’inceste vécu dans son enfance.

Bien que le défi de vivre avec une problématique sexuelle soit dans le discours de cinq hommes, huit résidents avaient recours à différents programmes ou thérapies spécialisées à l’externe. Pour la majorité (6), un travail avait été amorcé avant ou pendant la détention. À la sortie de détention, les résidents avaient recours à des groupes d’entraide (2), à différent(e)s programmes/thérapies spécialisé(e)s en délinquance sexuelle (4) ou au maintien des acquis12 d’un programme suivi en détention (1) et à l’hormonothérapie13 (1). Les résidents semblent

généralement arriver à combler leurs besoins à l’aide de ces ressources, encore faut-il qu’ils y aient accès.

Ressort effectivement du discours de quatre résidents l’idée que l’accès aux programmes est un défi en soi. D’abord, selon deux hommes, l’accès est réduit en raison des coûts associés aux thérapies. Pour l’un souhaitant consulter un psychologue privé, il lui a fallu attendre de se trouver un emploi pour avoir les ressources nécessaires pour débourser les coûts. Il faut souligner qu’il s’est tourné vers une ressource privée puisqu’il a essayé de trouver un service de psychologie public, mais que les listes d’attente très longues impliquent des délais encore plus importants. Un autre résident a aussi parlé des délais d’attente considérables pour une thérapie

12 Un maintien des acquis est un programme plus court que le programme correctionnel initial visant la poursuite,

l’intégration ou la révision des compétences acquises (selon la définition offerte par les participants).

1313 L’hormonothérapie consiste en l’administration d’une médication dans le but de réduire la libido et d’aider à

spécialisée en délinquance sexuelle, ceux-ci étant estimés à un an. Ce constat d’un accès limité aux programmes n’est pas un résultat exclusif à cette étude (Borzycki, 2005; Brown, 2004; Gunnison et Helfgott, 2011). La difficulté à accéder aux thérapies rapidement à la sortie de détention souligne plusieurs enjeux, dont celui d’allonger les périodes de transition pour deux individus qui ont pour condition de devoir compléter une thérapie avant leur liberté totale.

Ensuite, pour quatre résidents, c’est plutôt d’une problématique de consommation dont ils avaient à prendre soin à la libération. Aucune distinction entre les différents sous-groupes n’émerge pour ce défi. Il faut noter que plusieurs détenus consomment à la libération (Seiter et Kadela, 2003; Visher et al., 2004) et qu’une dépendance est considérée telle une barrière à la réinsertion sociale (Cnaan et al., 2008; Gunnison et Helfgott, 2011). Deux des hommes rencontrés éprouvaient des difficultés en lien avec l’alcoolisme alors que les deux autres ont plutôt été des consommateurs de multiples drogues. En plus de maintenir la sobriété, le travail sur ces problématiques implique parfois aussi un travail sur des traits de personnalité associés tels que l’impulsivité et le besoin de satisfaction immédiate.

Comme pour les problématiques sexuelles, plus de résidents participaient à des thérapies en lien avec la toxicomanie que le nombre d’individus ayant mentionné ce défi. Aussi, plusieurs avaient complété des programmes avant et pendant la détention (6). À la libération, certains par choix et d’autres par obligation en raison de leurs conditions avaient recours à des services spécialisés en dépendance à l’externe. La plupart des individus participait à des groupes d’entraide tels que les Narcotiques Anonymes ou les Alcooliques Anonymes dans différentes ressources. Un résident préférait, quant à lui, une approche individuelle dans un suivi avec un psychologue pour traiter cette problématique. Malheureusement, ce résident éprouvait lui aussi des difficultés à avoir accès à ce type de service et n’avait pas pu commencer cette démarche au moment de l’entretien.

Le troisième type de problématique émergeant du discours des résidents est celui de la régulation des émotions ou des troubles liés à une faible estime de soi. La faible estime de soi a déjà été identifiée comme défi de la réinsertion sociale (Brown, 2004). Aucune distinction particulière n’apparait entre les sous-groupes pour ce défi. Cinq résidents ont parlé de difficulté

à extérioriser, à gérer ou à être en contact avec les émotions. Trois résidents de la clientèle fédérale ressassaient beaucoup d’émotions négatives liées à la culpabilité et aux remords quant aux actes délictueux posés. Pour d’autres, c’est le fait de faire face aux différents défis de la réinsertion sociale qui générait des émotions négatives ou qui affectait l’estime de soi. Pour ceux qui ont déjà une faible estime d’eux-mêmes, cela accentue le travail à faire à ce niveau. Un résident a expliqué que pour lui, le premier pas vers sa réinsertion sociale passe par un travail pour gagner l’estime de lui-même :

Tu sais, je pense que c’est l’estime de soi le challenge au départ. Trouver l’estime de soi, puis se sentir citoyen. (André)

La dernière difficulté personnelle relevée est l’appât du gain. Deux délinquants typiques ayant un historique dans la vente et le trafic de stupéfiants ont abordé le sujet. Bien que cette problématique était contrôlée au moment des entretiens, ceux-ci ont dit mettre beaucoup d’énergie à s’adapter à leur nouveau mode de vie dans la sphère légitime. Ils ont commis leurs délits notamment en raison de cet appât du gain et ils se sentent fragiles alors qu’ils sont dans des situations économiques précaires à leur sortie de détention. Un des hommes a parlé avec son agent de libération conditionnelle (ALC) de son besoin de chasser l’idée de retourner à son ancien mode de vie.

Mais, il y a pareil, le côté, l’appât du gain. Ça reste ça. Tu sais, c’est … tout ce qui va autour de ça c’est … ça me manque là tu sais. Je m’en … je m’en cache pas, je le dis. J’ai même rentré l’autre jour avec [intervenante Y] dans le bureau. J’ai dit : «faut que je te parle là. Là, j’ai toutes mes idées là, sont toutes sur la tablette là puis, je me dis qu’après, mais que j’aille fini en 2018 là, je vais appeler puis je vais [retourner à mes anciennes affaires]». Hey j’ai dit : «non non. Je veux pas faire ça là, faut trouver un moyen là, faut faire de quoi là, faut que je te parle là.» (Marc)

Selon les expériences des résidents rencontrés, il semblerait que les problématiques liées aux émotions, à l’estime de soi et à l’appât du gain soient davantage travaillées dans les programmes suivis en détention que lors de la sortie.

Il est intéressant de noter que bien que ceux-ci n’aient pas été mentionnés par les résidents rencontrés, les centres résidentiels offrent une gamme d’ateliers thématiques en lien avec des sujets pouvant permettre un soutien face à ces différents défis, dont des ateliers sur divers aspects de la sexologie, sur la toxicomanie et sur l’estime personnel. Ce sont également des thématiques qui sont abordées dans le suivi individuel avec les conseillers cliniques.

Les intervenants ont aussi parlé des difficultés d’ordre personnel dans les défis vécus par leur clientèle (4/8). Au sujet de la délinquance sexuelle, une intervenante a ajouté une explication au fait qu’il est difficile pour les résidents d’accepter de vivre avec leur problématique :

Pour ceux qui sont conscients de leur problématique, je pense qu’ils ont de la misère à voir du positif dans l’avenir parce que c’est quelque chose que, ils se débarrasseront probablement jamais de ces idées-là, de ces pulsions-là. Oui, ils vont apprendre à les contrôler, mais … ils savent très bien qu’au fond d’eux, leur goût va toujours être dirigé vers les adolescents, vers les enfants, puis ils se sentent un peu comme les mains liées. Ils veulent avancer, mais il y a une limite. (Zoé)

De plus, elle a mentionné un enjeu particulier aux cas de délits sexuels dénoncés plusieurs années après la commission du délit. Cela a pour effet de mettre des hommes qui ont réussi à avoir un mode de vie tout à fait fonctionnel dans l’obligation de travailler sur une déviance passée.

Au sujet des problèmes de consommation, les trois intervenants ayant abordé le sujet ont souligné la difficulté de maintenir l’abstinence malgré l’accessibilité. En effet, les hommes auraient plus de facilité à arrêter leur consommation en détention puisque les substances y sont moins accessibles. Aussi, un intervenant œuvrant auprès de la clientèle provinciale a fait ressortir une particularité de cette clientèle:

Encore plus au provincial vu que c’est des petites sentences. Les gars, ils arrivent ici, ils ont encore des cravings, ils ont encore … les mêmes, même état d’esprit que quand ils étaient, avant le délit. (William)

Finalement, trois intervenants ont abordé les défis en lien avec les difficultés liées à la gestion des émotions et de l’estime de soi. Ils ont expliqué que l’imposition de multiples conditions peut effectivement affecter l’estime de soi. Aussi, considérant justement que les résidents ont des difficultés à accepter leurs problématiques et tout ce que le processus de réinsertion sociale implique, une intervenante a mentionné que de recevoir multiples refus, soit dans la recherche d’emploi ou dans la sphère des relations interpersonnelles, a nécessairement un impact considérable sur l’estime personnelle.