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CHAPITRE 4 : Résultats

4.2 Les défis de la réinsertion sociale

4.2.6 Les défis liés à la vie en maison de transition

4.2.6.1 L’encadrement

L’encadrement qu’offre la maison de transition constituait un défi pour la très grande majorité des résidents rencontrés (13/16). Il est intéressant de relever que les trois individus n’ayant pas mentionné ce défi sont tous de la clientèle fédérale. Ce défi comprend trois sous- thèmes : la peur d’être « remonté » en détention, les règlements à l’intérieur de la maison de transition puis l’intensité de la surveillance. Ces deux derniers sous-thèmes ont été repris par les intervenants.

Le premier sous-thème est celui de la peur d’être renvoyé en détention à la suite d’un écart de conduite. Ce défi, qui rejoint l’idée du stress lié à l’imputabilité nommée plus tôt (section 4.2.4.2), semble exacerbé du fait de résider à la maison de transition. En effet, deux hommes de la clientèle provinciale ont fait part de l’impact que le fait de voir d’autres résidents « se faire remonter » pouvait avoir sur eux.

Toujours la peur d’être remonté tout le temps. Tu sais, tu vois des gars se faire remonter, mais on nous dit pas pourquoi. Bang, tu vois toutes ses bagages dans le bureau. Tu te dis : « Hey pourquoi ?». On te le dit pas. Criss me semble, il faisait les ateliers avec nous autres, il venait de se trouver une job, pourquoi ? pourquoi tu sais ? C’est comme, ça va tu m’arriver ? (André)

L’incompréhension devant ce type de situation semble donner l’impression à ces résidents qu’ils pourraient se faire renvoyer en détention bien qu’ils s’impliquent du mieux qu’ils le peuvent dans leur réinsertion sociale.

Le deuxième sous-thème du défi lié à l’encadrement est celui du respect des règlements de la maison de transition, principalement parce que les résidents ne sont pas toujours en accord avec ceux-ci. Deux règlements s’avèrent plus problématiques. D’abord, c’est la règle de

l’interdiction de fréquenter les résidents à l’extérieur de la maison qui ne fait pas de sens pour trois des hommes rencontrés. L’un a expliqué qu’il a un très bon ami à la résidence avec lequel il a fait sa détention et a partagé toute la gamme d’émotions possibles. Il s’agit d’une relation positive à ses yeux, mais il se voyait dans l’obligation de n’entretenir que très peu de lien avec lui pour la durée de son séjour en transition. Le non-sens de cette règle pour les deux autres résidents vient de l’incohérence qu’ils voient à partager des choses notamment en s’ouvrant dans les ateliers ou en participant à des activités de groupe organisées par la maison de transition, tout en devant éviter de s’adresser la parole à l’extérieur.

Je vois un gars d’icite dehors, j’ai pas le droit d’y parler. Voyons donc ! Je peux lui parler icite mais je peux pas y parler dehors. Pourquoi? Tu sais, c’est un bout que je comprends pas. (Marc)

Ce résident doit d’ailleurs travailler sur ses fréquentations et croit que de pouvoir tisser des liens avec les autres résidents serait plutôt aidant. Par la suite, c’est la règle qui oblige les résidents à travailler ou à se chercher un emploi qui dérangeait trois résidents de la clientèle provinciale. Deux d’entre eux ont expliqué qu’il était difficile d’être à temps plein sur un projet de recherche d’emploi alors qu’ils ont d’autres sphères en souffrance telle que la réconciliation avec la famille. Deux résidents ont expliqué qu’il était dommage de trouver un emploi temporaire (que pour leur période de transition) dans l’unique but de respecter la règle.

Fait que là, je suis rendu à essayer de me trouver peut-être une job temporaire, là n’importe quelle niaiserie juste pour … les faire taire là. Puis que je vais ditcher quand je vais sortir d’ici tu sais.

(Félix)

La troisième catégorie de défis liés à l’encadrement est celle de l’intensité de la surveillance. Certains résidents ont fait référence à un « cadre exagéré ». Habituellement, à l’arrivée en maison de transition, l’encadrement exige des vérifications par modalités téléphoniques plusieurs fois par jour et un couvre-feu, mesures qui peuvent déplaire aux résidents (Duffee et Duffee, 1981). Dans le cas de la présente étude, un résident trouvait difficile d’être autant encadré alors qu’il considère ne représenter aucun danger pour la société. Il vivait de la frustration du fait d’être considéré « au même point que tout le monde ». La fréquence et l’intensité des modalités exigées contribuaient à augmenter le niveau de stress chez une partie de la clientèle.

Sauf que c’est difficile de penser que, si j’oublie quelque chose, si j’oublie d’appeler ou … au début fallait que j’appelle à 1h, 5h, 8h. Plus mes déplacements. C’est stressant de savoir que si j’en oublie un, je vais peut-être remonter. (Bernard)

Cela fait beaucoup de nouveaux règlements à intégrer dès l’arrivée en transition. Un niveau de difficulté et de stress peut être ajouté lorsqu’il y a un plus long délai entre le moment de l’arrivée du résident et sa rencontre avec son conseiller clinique, situation vécue par deux participants. De plus, trois résidents qui étaient allés dans d’autres maisons de transition auparavant ont noté l’intensité plus importante de la surveillance dans les centres résidentiels de l’organisme partenaire. En lien avec cette difficulté à faire face à cet encadrement et ces vérifications vient le défi, soulevé par un résident, d’accepter un doute perpétuel.

Faut apprendre à vivre avec ça. Parce que, tout le monde doute un peu de … de ce que tu fais, tes motivations puis tout ça. Ça fait partie de la vie là. (Olivier)

D’autre part, c’est la manière dont les conditions sont interprétées par les intervenants qui fait dire à deux résidents qu’être à la maison de transition leur ajoute des restrictions. Un résident a donné en exemple le fait que les intervenants lui restreignent l’accès aux centres d’achats alors que cela n’est pas explicité dans ses conditions. Un autre résident se voyait interdire les contacts avec un ami qui a un casier judiciaire alors que sa condition limite le contact avec les individus « qui ont une cause en suspens ». Finalement, toujours en lien avec l’intensité de la surveillance et les exigences de la vie en centre d’hébergement, quatre résidents ont dit avoir été mal informés sur la réalité de la transition. Certains ont même évoqué qu’ils auraient peut-être pris une décision différente par rapport à leur sortie s’ils avaient été aux faits de cette réalité.

Quant aux intervenants, ils ont abordé uniquement deux sous-thèmes des défis liés à l’encadrement, soit ceux en lien avec les règlements et avec l’intensité de la surveillance. Ils reconnaissent que cela peut être très exigeant pour leur clientèle de se plier à toutes les vérifications exigées. Une intervenante mettait en relation le défi de faire face à l’encadrement à la maison de transition avec le désir d’autonomie que les résidents ont à leur sortie.

Un des premiers en fait, c’est que les gars ici souvent ils pensent qu’ils sont plus … ils oublient que c’est comme la prison en communauté. Tu sais, souvent, ils arrivent ici, ils pensent qu’ils vont avoir toute la liberté puis je pense que ce qu’ils sont confrontés quand ils arrivent ici à la réalité que oh, il y a un encadrement quand même. Puis c’est d’avoir une certaine liberté tout en se faisant tirer l’autre bout de la corde. Je pense que c’est difficile pour les gars de comprendre vraiment c’est quoi notre objectif ici avec eux. (Zoé)

Elle fait aussi un lien avec le double-mandat des maisons de transition, soit la combinaison entre un mandat légal de surveillance pour assurer la sécurité, mais aussi celui de la relation d’aide. L'équilibre entre ces deux concepts est un défi au cœur de l’intervention en réinsertion sociale (Petersilia, 2003; Travis et al., 2001). Les intervenants mentionnent que c’est un mandat complexe qui peut parfois être moins bien compris par certains résidents qui vivent de la frustration lorsqu’on leur impose des restrictions. De plus, une intervenante a donné une explication à l’idée mentionnée par certains résidents selon laquelle les centres d’hébergement de l’organisme sont plus restrictifs que d’autres maisons de transition.

On est une des maisons de transition les plus encadrante, par la problématique avec laquelle on travaille aussi là (référence au fait qu’ils acceptent une clientèle délinquance sexuelle). (Zoé)

Pour conclure, on comprend que l’encadrement qu’offre la maison de transition peut s’avérer un défi de par l’intensité de la surveillance et parce que le respect de tous les règlements s’avère une tâche exigeante. Il est possible de croire également que ces difficultés soient exacerbées lorsque les ex-détenus sont mal informés ou mal préparés à vivre un tel encadrement. Une meilleure préparation et la transmission de plus amples informations sur la transition permettraient probablement aux détenus d’être prêts à faire face à ce type d’encadrement.