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difficilement définissable

2.3. Relations entre émotions et mémoire: la peur comme modèle d'étude

2.3.1. Emotions et mémoire, quelques généralités

Trois questions très simples: tout d'abord, où étiez vous quand vous apprîtes les attentats perpétrés contre les Twin Towers le 11 septembre 2001 ? Ensuite, où étiez-vous lorsque l'équipe de France battit sèchement celle du Brésil en finale de coupe du monde de

Figure 2.6 Les deux voies de traitement de la peur dans le système visuel selon Joseph LeDoux

1: voie thalamus → amygdale, rapide et grossière. 2: voie thalamus → cortex → amygdale, lente et précise.

foot le 12 juillet 1998 ? Enfin, vous souvenez vous du menu de votre dîner d’il y a trois jours? Trois questions triviales. Cependant, aux deux premières, vous répondrez sans aucun doute très facilement, vous serez sûrement capables de vous remémorer un grand nombre de détails, si vous étiez chez vous ou non, ou quel état était le votre à ce moment là. Pour la dernière en revanche, vous aurez certainement une plus grande difficulté à répondre, voire une incapacité. Ces quelques questions sont représentatives de l'effet des émotions sur la mémorisation: les expériences personnelles qui ont une forte valence émotionnelle, négative ou positive (rappelez vous de votre premier baiser…) sont très facilement retenues, alors que celles sans signification émotionnelle particulière ne le sont pas ou peu (pour revue, voir Cahill et McGaugh, 1998).

Deux raisons pourraient expliquer cette facilitation de rétention des expériences émotionnelles: tout d'abord, les structures du système limbique, responsables des réactions émotionnelles les plus variées comme la joie, la colère ou la tristesse, interviennent également dans la mise en mémoire et le rappel des souvenirs (Rosenzweig, Leiman et Breedlove, 1998). Par ailleurs, les expériences émotionnelles activeraient les mêmes systèmes de neuromodulation que ceux régulant le stockage à long terme d'une information (McGaugh, Cahill et Roozendaal, 1996).

Il n’est donc pas surprenant de constater qu’il existe un lien très fort entre émotions et mémoire.

2.3.2. L'émotion de peur et les systèmes

neuromodulateurs

Pour étudier les relations qui existent entre mémoire et émotion, plusieurs approches expérimentales ont été utilisées (par exemple, voir Baxter et Murray, 2002 pour une revue sur le rôle de l'amygdale dans les conditionnements de type stimulus-récompense). Par exemple, l’utilisation de médicaments antidépresseurs fournit une démonstration très convaincante de ces relations. L’utilisation d’agoniste du système GABAergique produit des effets anxiolytique et amnésiants alors que l’utilisation de substances anxiogènes facilitent la mise en mémoire (pour revue, voir Chapouthier et Venault, 2002). Ces données montrent qu’un même système neuromodulateur agit à la fois sur les émotions et la cognition (Chapouthier et Martin, 1992).

Néanmoins, l'émotion la plus étudiée aujourd'hui est la peur. Pour celle-ci, il existe un consensus pour l'inclure dans la liste des émotions de base (pour mémoire, voir paragraphe 2.1.1 concernant la difficulté à trouver une liste d'émotions de base sur laquelle les auteurs s'accordent). Dans le cas de la peur, les hormones de stress libérées par les glandes surrénales, catécholamines et glucocorticoïdes, permettraient de faire réagir l'animal au danger mais agiraient également sur la consolidation de la mémoire. Le souvenir de cet événement apeurant serait ainsi plus résistant à l'oubli (pour revue, voir Cahill, 2000; Cahill et McGaugh, 1998). Mais par quels moyens?

Lors de l'évènement apeurant, le système noradrénergique central serait rapidement activé par l'adrénaline périphérique (pour revue, voir McGaugh, 2004; McGaugh et Roozendaal, 2002). Lors d'un stress, l'adrénaline est sécrétée par les glandes surrénales au niveau périphérique et permet de mobiliser les ressources énergétiques disponibles pour faire face au danger mais facilite également la rétention de l'apprentissage. En effet, l'apprentissage de peur est facilité par l'injection périphérique d'adrénaline dans un délai très court après, c'est-à-dire à un moment où cette hormone serait normalement sécrétée suite au stimulus aversif (Gold et Van Buskirk, 1975). Mais le rôle de l'adrénaline est indirect puisqu'elle ne franchit pas la barrière hémato-encéphalique. Elle se fixe sur les récepteurs β Adrénergiques du nerf vague qui pénètre alors dans le système nerveux central en se projetant sur le tronc cérébral, dans le noyau du tractus solitaire. Ainsi, l'inactivation de ces récepteurs adrénergiques du nerf vague ou du tronc cérébral inhibe l'action facilitatrice sur la mémoire de l'injection d'Ad (Packard, Williams, Cahill et McGaugh, 1995). Le noyau du tractus solitaire sécrète alors de la noradrénaline au niveau central, hormone qui joue le rôle de facilitateur de la consolidation, notamment via son action (directe ou indirecte via le locus coeruleus) sur les récepteurs adrénergiques β et α1 de l'amygdale, une structure qui sera détaillée plus tard (Paragraphe 3).

Un deuxième système neuromodulateur est activé plus tardivement, le système des glucocorticoïdes (Lupien et McEwen, 1997). Les corticostérones (cortisol chez l'homme) libérées lors du stress passent la barrière hémato-encéphalique et pénètrent dans le système nerveux central et sont également capables de moduler la consolidation de la mémoire, via une action directe sur l'amygdale ou indirecte via le noyau du tractus solitaire (pour revue, voir McGaugh, 2004). L'injection périphérique (Roozendaal, Portillo-Marquez et McGaugh, 1996; Roozendaal et McGaugh, 1996a; Roozendaal et McGaugh, 1996b) ou centrale (Roozendaal et McGaugh, 1997a; Roozendaal et McGaugh, 1997b) d'agonistes des corticostérones permet de potentialiser la consolidation de la mémoire et augmente la

rétention des apprentissages chez les animaux testés. Pour résumer, lors d'une expérience stressante, l'activation des systèmes neuromodulateurs rapides (systèmes adrénergique et noradrénergique) et lent (système des glucocorticoïdes) va permettre une potentialisation de la consolidation de la mémoire. Ainsi, un évènement ayant une valence émotionnelle sera mieux retenu qu'un évènement à valence émotionnelle neutre (voir Figure 2.7).

Figure 2.7 Neuromodulation de la mémoire par les hormones de stress via l'amygdale (d'après McGaugh et Roozendaal, 2002)

α1 et β: types de récepteurs adrénergiques Ad, NA = adrénaline et noradrénaline AMPc = adénosine monophosphate cyclique GR = récepteurs aux glucocorticoïdes LC = locus cœruleus NTS = noyau du tractus solitaire PGi = noyau paragigantocellulaire + = rétrocontrôle positif

Chapitre 3 Le conditionnement de peur, un modèle d'apprentissages émotionnels

Chapitre 3

La peur conditionnée,