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comportement adulte

5.2.3. Conclusion: comment définir les apprentissages associatifs précoces?

5.2.3.1. L’attachement selon John Bowlby

Chez les espèces dont les jeunes sont totalement dépendants des parents à la naissance, tels l'homme, ou encore nombre d'oiseaux ou de mammifères tel le rat, la formation rapide du phénomène d'attachement aux parents leur assure une plus grande probabilité de survie. Parmi les théoriciens de l'attachement, le pédiatre et psychanalyste John Bowlby (1907-1990, voir Portrait 1) en a défini plus clairement les principes. Ses réflexions se sont particulièrement appuyées sur les travaux de trois savants éminents avant lui: ceux de Konrad Lorenz sur les oiseaux, ceux de René Spitz sur l'hospitalisme et ceux de Harry Harlow chez les singes rhésus. Que disent ces auteurs?

5.2.3.1.1. Lorenz, Spitz et Harlow, les modèles

Dans les années 1930, Konrad Lorenz (1903-1989, voir Portrait 18) a montré que, chez les oiseaux en général et les oies en particulier, il existe une fenêtre temporelle très courte après la naissance où les oisons vont suivre le premier objet en mouvement qu'ils voient. Généralement, dans la nature, cet objet est leur mère. Lorenz a appelé ce phénomène l'empreinte (Lorenz, 1935). Ce phénomène est acquis très rapidement et est irréversible, c'est-à-dire que si le premier objet en mouvement vu n'est pas la mère, les oisons, jusqu'à leur âge adulte, continueront de le suivre comme si c'était elle. Konrad Lorenz est devenu célèbre grâce aux photos le représentant avec ses oies qui, le prenant sans doute pour leur mère, le suivent partout (voir Figure 5.5). Cet auteur a proposé que les jeunes sont programmés pour former une empreinte très forte à leur mère, c'est-à-dire celle qui leur assurera la plus grande chance de survie.

A peu près à la même époque, dans les années 1940, René Spitz (1887-1974, voir Portrait 19) étudie l'importance des contacts avec la mère dans le développement des aptitudes motrices et intellectuelles de l'enfant humain. Ses premières études ont porté sur deux groupes

Portrait 17 John Bowlby

de sujets, des bébés en orphelinat, regroupés dans une même pièce dans leurs berceaux avec de faibles contacts avec une unique infirmière et d'autres vivant dans une pièce semblable dans une prison mais où les mères pouvaient leur prodiguer quotidiennement soins et affection et qui avaient des contacts avec d'autres personnes. Il a ainsi montré des retards de développement moteurs et intellectuels puisqu'à deux ans, seuls quelques enfants de l'orphelinat savaient marcher et bredouiller quelques mots alors que ceux élevés en prison avaient un développement comparable à ceux élevés à la maison. Ces études ont amené Spitz à proposer que les interactions sociales avec les autres humains, notamment la mère, sont essentielles au développement d’un enfant (Spitz, 1968).

Le troisième savant auquel Bowlby s’est référé est Harry Harlow (1906-1981, voir Portrait 20) et ses travaux sur la socialisation chez le macaque. Pour pousser plus loin les travaux de Spitz, Harlow a mis au point un modèle simien des relations mère-enfant et a montré que des jeunes macaques rhésus privés pendant trois à douze mois d’interactions avec leurs congénères, et ce à un âge très précoce, devenaient des adultes asociaux, incapables de s’intégrer à un groupe, vivant reclus et montrant des comportements répétitifs comparables à ceux d’enfants autistes. En revanche, la même privation à un âge plus tardif était sans effet sur les comportements sociaux des jeunes. Harlow en a donc déduit qu’il existe une fenêtre temporelle définie au cours de laquelle le lien que tisse le jeune avec ses congénères est déterminant pour son devenir affectif et social (Harlow, 1958).

5.2.3.1.2. La définition de Bowlby

S’appuyant sur ces travaux, John Bowlby a émis la théorie de l’attachement qui considère la tendance naturelle à établir des liens affectifs étroits comme un élément essentiel à la survie de l’être humain (Bowlby, 1965). Ainsi, à la naissance, l’enfant établit un lien Portrait 19

René Spitz (1887-1974)

Figure 5.5 … avec ses oies

Portrait 18 Konrad Lorenz… (1903-1989) Portrait 20 Harry Harlow (1906-1981)

très fort d’attachement aux personnes qui assurent sa survie, la plupart du temps ses parents, et ces relations sont primordiales dans son développement psychique, affectif et social. Selon lui, l’enfant a un besoin inné du contact physique et psychique avec l’être humain, la plupart du temps sa mère, indépendamment de l'allaitement, comme le proposait alors Sigmund Freud. Ainsi, comme pour les singes de Harlow, des carences affectives au cours des premières années seraient, selon lui, irréversibles d’un point de vue des relations sociales (Bowlby, 1969). Lorsque l’attachement est réussi, c'est-à-dire quand l’enfant se sent en sécurité avec sa mère, il se trouve plus apte à affronter les séparations et les épreuves ultérieures.

Dans le cas de maltraitances, John Bowlby a mentionné que les enfants battus depuis leur plus jeune âge montrent paradoxalement un attachement très fort à leurs parents violents (Bowlby, 1965). Cet attachement paradoxal a été décrit non seulement dans de nombreuses espèces mammaliennes, que ce soit le chien (Fisher, 1955; cité dans Rajecki, Lamb et Obmascher, 1978), l'homme (Helfer, Kempe et Krugman, 1997) ou le singe (Harlow et Harlow, 1965) mais également dans tout le règne animal (chez le poulet, Hess, 1962). Il a ainsi été proposé qu’il existe un système unique d’attachement chez l’enfant, sélectionné par l’évolution, et qui ne tient pas compte de la qualité des soins apportés par les parents. En d’autres termes, qu’ils soient bons ou mauvais, l’enfant montrera un comportement vital d'approche et d'attachement à ses parents (Bowlby, 1965; Hofer, 1981). D’un point de vue évolutif, on peut imaginer les avantages de telles caractéristiques: il est important que l’enfant ne montre pas de peur envers sa mère mais ait au contraire des comportements d’approche puisqu’il en a besoin pour survivre, celle-ci lui étant la seule à pouvoir lui assurer nourriture, chaleur et protection (pour revue, voir Sullivan, 2001). Dans une optique purement pragmatique de survie, il est donc certainement préférable pour lui d’avoir de mauvais parents que pas de parents du tout (Hofer et Sullivan, 2001).

5.2.3.2. Les apprentissages associatifs durant la période

sensible sont-ils des attachements?

Au vu de la définition de l'attachement, on peut proposer que les conditionnements associatifs au cours de la période sensible sont des attachements. Cette proposition est possible car elle répond aux caractéristiques de Bowlby, c'est-à-dire un comportement très fort d'approche envers un stimulus renforcé, quelle que soit la valence de ce renforcement

(caresses, lait, air chaud, chocs électriques modéré chez le rat, affection ou maltraitances chez l'humain) mais qui ne dure que pendant une fenêtre temporelle limitée (quelques heures chez le poulet, quelques jours chez le rat…). Les ratons ne possédant pas les structures cérébrales leur permettant de différencier un renforcement positif ou négatif, ils expriment un comportement d'approche à l'odeur.

Ainsi, le paradigme de conditionnement pavlovien avant PN10 chez le rat peut se révéler très utile pour étudier les bases neuronales de l'attachement chez les mammifères. Par ailleurs, selon Bowlby, des carences affectives vécues au cours des premières années de vie ont des conséquences irrémédiables sur le devenir psychique de l'individu. Le paradigme utilisé chez le rat peut donc également se révéler utile pour comprendre les phénomènes sous-tendant ces psychopathologies. Ce genre de protocole peut donc servir comme modèle d'étude de l'attachement et, au besoin, de ses conséquences à l'âge adulte.

5.3. Le cas particulier du conditionnement