• Aucun résultat trouvé

comportement adulte

5.4. Conséquences à long-terme des expériences précoces

Il est admis maintenant que les expériences très précoces vécus par un jeune, qu’elles soient prénatales ou néonatales, ont des influences sur sa physiologie et ses comportements à l’âge adulte, que ce soit chez le rat (pour revues, voir Anisman, Zaharia, Meaney et Merali, 1998; Pryce et Feldon, 2003; Pryce, Rüedi-Bettschen, Dettling et Feldon, 2002), le singe (pour revue, voir Pryce, Rüedi-Bettschen, Dettling et Feldon, 2002) ou l’homme (pour revue, voir Teicher et collaborateurs, 2003).

La grande majorité des études destinées à évaluer les effets à long-terme des expériences précoces ont porté sur l'influence des stress périnataux. L'idée dominante issue de ces travaux est que le stress périnatal modifie durablement le fonctionnement de l'axe corticotrope. Les mesures classiques utilisées pour estimer le stress d'un animal sont la mesure des hormones de stress circulantes dans le plasma, l'ACTH et surtout la CORT, ainsi que le rapport entre la masse de la glande corticosurrénale et la masse du corps: un rapport élevé reflète une hyperréactivité de cet axe et donc des animaux que l'on peut facilement stresser (Armario, Restrepo, Castellanos et Balasch, 1985).

5.4.1. Influences des expériences de stress prénatal

Chez l'homme, de nombreuses données ont permis de mettre en évidence l'influence des hormones de stress maternelles sur le développement de l'axe corticotrope du fœtus (pour revue, voir Weinstock, 2005). Chez le rat, les mêmes observations ont été faites puisque l’état interne et émotionnel de la mère gestante est important pour le devenir de ses ratons. Ainsi, les différents stress subis par les mères au cours de la gestation influencent les réactions

émotionnelles des ratons une fois adulte (pour revue, voir Tazumi et collaborateurs, 2005). En effet, le stress de la mère entraîne une libération d'hormones de stress capables de passer la barrière placentaire. Ces hormones sont capables de moduler le développement de l'axe HPC des ratons in utero. Expérimentalement chez le rat, le stress de la mère est obtenu en la plaçant dans des tubes de contention, plusieurs fois par jour la dernière semaine de gestation. Ses petits, une fois devenus adultes, vont, par exemple, montrer un comportement plus anxieux dans des tests de nouveautés ou de labyrinthes surélevés, une plus forte libération et un retour à la ligne de base plus lent des CORT (Vallée et collaborateurs, 1997). L’une des cibles du CORT est l’hippocampe qui possède une forte concentration de récepteurs aux glucocorticoïdes. Une trop forte concentration de CORT entraîne une forte occupation des récepteurs aux glucocorticoïdes, ce qui induit des effets délétères dans la structure (pour revue, voir Sala et collaborateurs, 2004). Ainsi, Lemaire, Koehl, Le Moal et Abrous (2000) ont montré que les ratons dont les mères ont été stressées, montrent une baisse de prolifération cellulaire dans le gyrus denté et une production accrue de neurones immatures à tous les âges, corrélée à une augmentation de la masse de la glande surrénale, qui reflète une hyperactivité de l’axe HPC. Les auteurs mentionnent que ces rats ont un déficit de neurogénèse dans l’hippocampe au cours d’un apprentissage spatial, corrélé à une baisse de performance par rapport aux animaux témoins. A l’inverse, Vallée et collaborateurs (1997) ne mentionnent qu’une augmentation de l’anxiété mais pas de diminution des performances mnésiques dans un test spatial et de choix.

Ces quelques études montrent que nombre de comportements adultes pourraient résulter d’expériences in utero. Ainsi, une partie du devenir individuel est conditionné avant même la naissance.

5.4.2. Influences des expériences néonatales

De même que les expériences vécues par la mère peuvent moduler le développement de l'axe HPC, il peut également l’être par les propres expériences de l'individu. Parmi ces différentes expériences, la nature des interactions avec la mère lors des premiers âges joue un rôle déterminant (pour revue, voir Meaney, 2001). Au cours de la période d'hyporéponse au stress, le niveau de CORT est modulé par les stimulations sensorielles au cours des interactions avec sa mère. Lors de privations de contact de quelques heures, et donc de

privations d’interactions, le niveau de CORT circulante augmente (Lévine, 2001). Par ailleurs, le niveau de stress de la mère joue un rôle clé. Ainsi, quand il est élevé, son taux de CORT augmente et cette hormone passe chez le jeune via le lait (Yeh, 1984). Il a été montré que le taux de CORT influence grandement la maturation de l’axe HPC comme nous l'avons vu précédemment et donc la faculté à répondre aux stress une fois que l’individu est adulte (Lévine, 2001, 2002). La réponse au stress à l’âge adulte dépend donc en grande partie des expériences précoces (pour revue, voir Anisman, Zaharia, Meaney et Merali, 1998).

5.4.2.1. Cas des expériences positives

A l’âge adulte, les animaux qui ont vécu dans un environnement affectif positif et eu des contacts répétés avec leur mère (pour revue, voir Caldji, Diorio et Meaney, 2000) ou les expérimentateurs, montrent une faible propension à être stressés.

Ainsi, lorsque la mère est très maternante avec ses ratons, ceux-ci, une fois adulte, montrent une plus faible augmentation de l’ACTH et de la CORT en réponse à un stress. Par ailleurs, la libération de CORT sera plus fortement modulée (Liu et collaborateurs, 1997).

Par ailleurs, les manipulations précoces par l’expérimentateur ont un rôle sur le développement de l’axe corticotrope. Ainsi, dans une étude pionnière, Seymour Lévine (1957) a montré, de façon inattendue à l’époque, que les ratons ayant été manipulés précocement sont moins stressables à l’âge adulte. Depuis, ces observations ont été confirmées: les manipulations précoces, qui consistent en de brèves séparations quotidiennes (trois à quinze minutes), avec ou sans stimulations du raton, réduisent considérablement la réponse au stress de l’axe HPC et la sécrétion d’hormones de stress à l'âge adulte (Meaney, Aitken, Viau, Sharma et Sarrieau, 1989; Meerlo, Horvath, Nagy, Bohus et Koolhaas, 1999; Nuñez, Ferré, Escorihuela, Tobeña et Fernandez-Teruel, 1996; Vallée et collaborateurs, 1997). Cette diminution est corrélée à une baisse du niveau d'anxiété dans les tests d’exploration spontanée dans des grands espaces ouverts, dans les tests de nouveauté ou dans les tests de labyrinthe surélevé. De plus, les animaux présentent moins de comportements d'immobilité en réponse à des chocs électriques et se montrent moins peureux à l’égard des expérimentateurs (Macri, Mason et Würbel, 2004; Merloo, Horvath, Nagy, Bohus et Koolhaas, 1999; Nuñez, et collaborateurs, 1995; Nuñez, Ferré, Escorihuela, Tobeña et Fernandez-Teruel, 1996; Tang, 2001; Vallée et collaborateurs, 1997). Par ailleurs, à faible concentration, la CORT active l’hippocampe qui joue un rôle d’inhibition de l’hypothalamus

et donc de l’axe HPC (pour revue, voir McGaugh et Roozendaal, 2002). Les ratons de mères maternantes montrent une augmentation des récepteurs aux glucocorticoïdes dans l’hippocampe, ce qui permet un rétrocontrôle plus efficace de l’axe corticotrope (Liu et collaborateurs, 1997). Ces modifications structurales semblent associées à des modifications des performances dans des apprentissages dépendants de l'hippocampe, comme le test de la piscine de Morris (Tang, 2001). Enfin, au niveau anatomique, ces animaux montrent une baisse de la masse des glandes surrénales qui correspond à un très fort rétrocontrôle négatif de la libération de CORT (Nuñez, Ferré, Escorihuela, Tobeña et Fernandez-Teruel, 1996).

On peut donc voir que les expériences avec une connotation positive vécues au cours des premiers âges sont capables de moduler, via l’axe HPC, la capacité de réagir aux stress une fois que l’animal est devenu adulte. Les animaux seront plus difficilement stressables (cependant, voir Padoin, Cadore, Gomes, Barros et Lucion, 2001 pour les effets que peuvent avoir de trop fortes desinhibitions par absence de peur).

5.4.2.2. Cas des expériences négatives

A l’inverse des effets bénéfiques des interactions en bas âge, de nombreuses études ont montré que la séparation quotidienne prolongée (au-delà de trois heures) d’avec la mère produit les effets opposés, c'est-à-dire une augmentation de la sensibilité au stress de l’axe HPC à l’âge adulte (Francis et Meaney, 1999; Meaney, 2001).

La séparation d’avec la mère, qui consiste en une isolation des ratons de une à plusieurs heures par jour, voire une séparation complète de la naissance au sevrage (Lévy, Melo, Galef, Madden et Fleming, 2003) va entraîner une augmentation du taux de CORT, que cela concerne le taux de base, le taux de libération en réponse à un stress ou encore le temps nécessaire au retour à un taux basal (Karten, Olariu et Cameron, 2005; Vallée et collaborateurs, 1997; pour revue, voir Lévine, 2002). Cette augmentation est corrélée à de nombreux comportements inadaptés aux situations auxquelles les animaux sont soumis: augmentation des vocalisations en situations de stress (Kosten, Misenderino, Bombace, Lee et Kim, 2005), altération des comportements sociaux (Lévy, Melo, Galef, Madden et Fleming, 2003), altération des capacités d'adaptation à des situations nouvelles (Matthews, Wilkinson et Robbins, 1996), altération du répertoire de réponses aux stimuli appétitifs (Matthews et Robbins, 2003) et augmentation du niveau d’anxiété (Vallée et collaborateurs, 1997). Parallèlement, au niveau anatomique, on observe des modifications structurales des cellules

de l’hippocampe, avec notamment une atrophie des dendrites des cellules pyramidales de CA3, une inhibition de la neurogénèse et une plus grande production de neurones immatures dans le gyrus denté (Karten, Olariu et Cameron, 2005; Mirescu, Peters et Gould, 2004). Ainsi qu'une baisse du nombre de récepteurs aux glucocorticoïdes, ce qui réduit le rétrocontrôle sur l'axe HPC (Uys et collaborateurs, 2006). Néanmoins, les animaux ne montrent aucun déficit dans les apprentissages spatiaux (Lévy, Melo, Galef, Madden et Fleming, 2003; Vallée et collaborateurs, 1997). Une étude récente a montré que la séparation maternelle de trois heures par jour de PN1 à PN21 altère les capacités d'apprentissages d'une peur conditionnée au contexte chez l'adulte (Kosten, Lee et Kim, 2006). Les apprentissages émotionnels adultes de peur sont donc affectés par les expériences précoces.

Ainsi, à l’inverse des bénéfices des manipulations précoces, les séparations longues du raton d’avec sa mère perturbent le développement de l’axe HPC, ce qui a pour conséquence d'augmenter la sensibilité au stress et de perturber les comportements sociaux à l'âge adulte.

5.4.3. Influences des apprentissages précoces

L’ensemble des données citées concerne les conséquences de manipulations des ratons et du lien mère-jeune sur le comportement adulte et sur les performances cognitives. En dehors de ces expériences, très peu de données sont disponibles concernant les conséquences à long-terme d’apprentissages néonataux (pour revue, voir Fleming, O’Day et Kraemer, 1999). Ainsi, il a été montré qu’une aversion alimentaire induite chez une femelle gestante quelques jours avant la mise-bas entraîne la même aversion alimentaire chez ses ratons à l’âge de six semaines (Gruest, Richer et Hars, 2004). De plus, les rats dont la mère a eu les tétines imprégnées de citral lors de leur allaitement montrent une augmentation d’activité sexuelle à l’âge adulte en présence de femelles imprégnées de l’odeur de citral (Fillion et Blass, 1986 mais voir Moore, Jordan et Wong, 1996). Ces quelques données disponibles semblent indiquer que les préférences ou aversions résultant d’apprentissages associatifs à un âge très précoce sont maintenues à l’état latent tout au long de la vie de l’animal et peuvent influencer les comportements à l’âge adulte.

La deuxième étude de mon travail de thèse a consisté à aborder cette question dans le cadre de l’apprentissage de peur à l’odeur.

5.5. Objectifs de l’étude: effets de l’association