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II. IDENTITÉ PERSONNELLE : LA SOUFFRANCE DU MOI MORCELÉ

II.3. L E MOI MÉLANCOLIQUE

II.3.2. Le regret du passé

Une des caractéristiques les plus connues d’un personnage mélancolique est le regret qu’il éprouve à l’égard du passé. C’est à l’évidence parce qu’il ne peut pas ‘’prendre en compte le

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Isabelle Hausser, Les magiciens de l’l’âme’, op.cit., page 199

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Idem., page 30

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présent’’ qu’il veut retourner au passé pour oublier le vide du présent. De plus, il regrette beaucoup le passé puisque le présent est vraiment insupportable.

Tout d’abord, le personnage hausserien nous montre le regret d’avoir perdu les gens qu’il aime beaucoup. Leur disparition lui fait trop mal. La mort a séparé les gens en les empêchant de s’aimer, d’être heureux, dans une vie tranquille.

C’est la tragédie de William, héros du roman ‘’Le passage des ombres’’. L’auteur a bien décrit ses sentiments intimes et effrayants après la mort de sa femme Béatrice. ‘’L’évaporation de sa présence matérielle le rendait fou. Il y avait eu Béatrice et en quelques secondes, il n’y avait plus eu de Béatrice. Pas la moindre trace. Comme si elle n’avait jamais existé. Même dans son appartement, devants ses penderies débordant de vêtements et regorgeant de chaussures, il n’était plus certain qu’il y ait eu un jour une Béatrice qu’il aimait et qui l’aimait’’132. Il est vrai que la mort de Béatrice le contraint brutalement. Elle fait peser sur lui une souffrance radicale et infinie. Son histoire donne une idée du destin tragique des hommes : Nous ne sommes rien devant notre destin et devant la mort car ‘’ni parole ni les gestes ne peuvent rien contre la mort’’133. Notre impuissance devant la mort nous conduit sûrement à la mélancolie car elle ‘’creuse une hantise de vide au sein de la vie’’134. Nous en prenons conscience mais nous ne quittons jamais le désir de changer le passé afin d’éviter la douleur. C’est sans doute le désir le plus désespérant des hommes.

Dans la même situation douloureuse que William, Guillaume n’échappe jamais au sentiment de responsabilité qu’il éprouve vis-à-vis de la mort de son fils, Aurélien. Il se condamne, se juge sans cesse : ‘’Guillaume s’était senti responsable. Il ne cessait de se reprocher d’avoir abandonné Aurélie à sa nounou. Aujourd’hui encore, cinq ans plus tard, il n’avait pas dépassé le stade des ‘’si seulement’’ et rêvait de retourner en arrière pour arrêter l’enchainement fatal’’135 Toutes ces réactions nous confirment qu’il n’est pas capable de supporter la vérité. Il y a en permanence une blessure ouverte dans son cœur

Le regret d’un mélancolique peut être incarné par le chagrin d’avoir fait une erreur irréparable. En réalité, personne ne fait jamais une erreur mais le problème est que les erreurs

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Isabelle Hausser, Le passage des ombres, Fallois, Paris 2006, page 246

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Idem., page 66

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Gérard Peylet, La mélancolie, Manuscrit

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que les protagonistes hausseriens ont faites, laissent toujours des séquelles effrayantes sur leur vie présente. Cela peut être une fausse décision comme dans le cas d’Elise dans ‘’Le passage des ombres’’ :

‘’A la mort de Gilles, elle avait ressenti peine et culpabilité. (…) Elle avait toujours su qu’elle commettait une erreur en l’épousant, en l’obligeant à un engagement qu’il était incapable de tenir. Mais elle avait longtemps cru qu’elle seule en subirait les conséquences’’136

Il est sûr qu’Elise est en train de payer pour sa mauvaise décision dans le passé. Sa vie conjugale malheureuse ne s’arrête pas en même temps que la mort de son mari. Celle-ci continue à la contraindre et Elise est toujours la seule responsable de son malheur.

Le regret des mélancoliques vient non seulement de leurs mauvaises décisions mais encore des actes instinctifs qui violent trop les règles morales. Après les avoir accomplis, ces personnages se jugent eux-mêmes et se condamnent à cause de leurs fautes. La romancière nous présente la situation affreuse de l’homme qui peut facilement perdre son moral et devenir une autre personne, complètement différente de ce qu’elle croyait être depuis toujours. Ces situations de vie et l’instinct naturel sont peut-être des facteurs dangereux qui peuvent détruire notre identité. Mais de l’autre côté, l’auteur souligne aussi qu’ils sont des défis utiles pour percer clairement nos défauts profonds que nous aurions du mal à percevoir.

Nous pouvons parler de Wolf dans Les magiciens de l’âme. La rencontre avec Nina l’a poussé dans une tragédie imprévue. Il est poussé par le désir inconscient d’être son amant en guérissant son mari. Il est sans doute obligé de jouer la comédie du ‘’bienfaiteur’’ devant le pauvre mari tout en méprisant son cynisme en profondeur :

‘’Derrière l’homme d’apparence rigoureuse et rangée- bon mari, bon père de famille, sobre, aux horaires réguliers et à l’hygiène scrupuleuse-, Wolf découvrit soudain un satyre’’137

Ou

‘’Il ignorait toujours ce qu’il voulait et préférait éviter de penser que le moment du choix allait arriver. D’un côté, il ne voyait pas comment il pourrait se passer du corps de Nina, lais de l’autre, il ne l’imaginait pas en Allemagne avec lui ; au milieu de ses amis, dans sa maison, auprès de sa fille. Il ne

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Idem., page 208

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parvenait pas à superposer ces deux images et devait s’avouer qu’il avait honte d’aimer Nina de manière aussi charnelle’’138

Il a essayé d’arrêter la relation excessive avec Nina mais il n’y parvient pas. Il semblerait qu’il y a un autre Wolf qui l’empêche d’arrêter ou bien une moitié énigmatique de son identité qui étouffe sa conscience et l’enferme dans ce drame. C’est exactement comme le cas de Pavel, un de ses collèges russes. Il est complètement possédé par son instinct. Il a tout à fait capitulé devant sa pulsion sexuelle. Sa crise spirituelle aboutit à un combat désespérant avec son moi cynique :

‘’Chaque fois qu’il violentait l’une de ses patientes, Pavel se jurait de ne plus recommencer, mais une pulsion irrésistible le jetait quelques mois après sur une nouvelle femme. Passé l’instant de jouissance physique, la honte et le remords le transformaient en une créature pitoyable qui allait s’humilier aux pieds de la femme qu’il avait possédée. Chaque crise le faisait gravement souffrir’’139

Il nous paraît que, chez Pavel, il y a une absence complète de conscience et que le personnage n’a pas tout à fait la maîtrise de soi. Cela peut être le hasard de la vie ou la surprise de la vie.

La dernière manière délicate de représenter le regret du personnage mélancolique consiste à lui faire rencontrer le bonheur trop tard, à un moment où il prend conscience qu’il ne peut plus y avoir droit. Il vit dans des sentiments contradictoires. Le personnage le plus typique de cet état d’âme mélancolique est Elise dans Le passage des ombres :

‘’Dommage qu’elle ne l’ait pas rencontré quinze ans plus tôt. Aujourd’hui, il était trop tard; la mort le liait à Béatrice plus durablement que ne l’eût ait un mariage. En outre, elle se méfiait trop d’elle-même pour s’abandonner à ses sentiments’’140

Evidemment, l’apparition de William a beaucoup changé la vie d’Elise. William a fait surgir en elle la naissance d’un nouveau sentiment mais elle n’a pas assez de courage pour recommencer. L’image du passé existe tout le temps dans l’esprit des personnages hausseriens. Leur présent n’est qu’un prolongement du passé, ce qui revient à vivre en étant

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Isabelle Hausser, Les magiciens de l’âme, op.cit., page 293

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Idem., page 167

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partiellement absent dans le présent. Nous avons l’impression qu’il n’y a pas de frontière entre le présent et le passé. Les personnages donc ‘’oscillent entre la nostalgie du passé et les chimères de l’avenir’’141 et cela est un des caractères remarquables de la mélancolie.

Avec toutes ces représentations du regret chez ses personnages mélancoliques, la romancière nous montre à l’évidence un processus de démolition du moi personnel. Regrettant ce qui s’est passé dans leur passé, ces personnages mélancoliques s’analysent et se jugent eux-mêmes et cela nous montre une rupture irrévocable au sein de leur moi personnel tant par rapport au passé qu’au présent.