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Le contexte dramatique

III. QUELLE DECOUVERTE AU BOUT DE LA QUETE IDENTITAIRE

III.1. L’ IDENTITÉ EN FUITE

III.1.2. Une enquête identitaire

III.1.2.1. Le contexte dramatique

Il est évident que, chez Isabelle Hausser, l’enquête identitaire se déroule toujours juste après un événement important qui survient le plus souvent très brutalement pour les personnages. C’est lui qui est le commencement de toute l’histoire, de toute découverte dans leur vie et conduit sans doute les personnages aux rencontres, aux changements ou bien aux crises dramatiques qui vont bouleverser la vie des protagonistes. C’est la raison pour laquelle nous considérons cet événement comme un contexte dramatique.

Nous avons l’impression que ces personnages sont tombés dans le ‘’contexte du drame’’ de manière imprévue. Personne ne prépare rien. Ils se sentent poussés comme malgré eux. Au fil de leurs réactions successives, l’image de la véritable identité est peu à peu percée. Ils se découvrent eux-mêmes au fur et à mesure.

C’est le cas d’Agnès dans La table des enfants. La mort de sa fille est bien considérée comme un coup insupportable qui s’abat sur elle. Le contexte est ouvert comme une situation dans laquelle des choses affreuses et imprévues se sont passées en s’enchaînant :

‘’Sur le moment, le téléphone à la main, elle n’avait pas versé une larme. Elle ne sentait plus que le froid engourdissant ses pieds et ses mains, remontant, lame tranchante, jusqu’à son cerveau. D’abord,

elle ne le crut pas. Ce n’était pas vrai. Impossible. Une erreur. Une mauvaise farce peut-être. Certainement pas la réalité.

Ensuite, tandis qu’elle jetait pêle-mêle des vêtements dans son sac de voyage, la vérité s’était imposée, terrifiante. Sans alternative. Irréparable. Les larmes avaient jailli. Les sanglots lui avaient arraché la poitrine. Gémissement étouffés, invectives à Dieu et au destin et, à l’arrière, une basse lente, inexorable, le martèlement de son cœur.’’237

Toute l’histoire d’Agnès commence pendant cette après-midi. Cette nouvelle fatale lui rend une douleur insupportable. Les phrases courtes, comme des sanglots secs ‘’ Ce n’était pas vrai. Impossible. Une erreur’’ ou ‘’Sans alternative. Irréparable’’ expriment non seulement le refoulement désespéré d’Agnès mais encore son état d’âme complètement bouleversé. La quête d’Agnès prend naissance dans ce bouleversement le plus horrible qu’il est donné à un être humain, une mère de vivre. Sa quête part de la douleur intense, infinie qui est la sienne.

Mais la mort de sa fille ne lui a simplement pas donné l’occasion de faire face à la douleur profonde, elle lui a encore offert des possibilités qui peuvent la conduire à des changements radicaux. Lorsqu’elle s’est jetée dans un train (‘’filait vers l’Allemagne’’), elle ne pouvait pas s’imaginer que c’était un voyage qui l’arracherait de sa famille propre et qui lui demanderait un courage énorme avec plein de douleurs lorsqu’elle mènerait son enquête sur sa fille aimée. Alors, le moment où elle est sortie de sa maison pour aller en Allemagne est à l’évidence celui du commencement d’un voyage essentiel, d’une quête : découvrir les mystères de sa fille Elisabeth et parallèlement les siens propres.

Si le contexte du drame d’Agnès est la perte de l’être le plus proche, celui de Wolf, de son côté, est la vérité effrayante qu’il découvre d’un seul coup après tant d’années passées sans la connaître : ‘’Deux ans plus tôt, Wolf avait perdu sa mère, Hilda. Au moment de mourir, celle-ci lui avait révélé ce qu’elle lui avait caché durant tant d’années, qu’il n’était pas son fils’’238. Certes, cette nouvelle n’est pas aussi brutale que pour Agnès mais elle le plonge dans des préoccupations aussi nombreuses que celles d’Agnès et elle balaie la tranquillité et l’insouciance apparentes dans lesquelles ce personnage se trouvait. Il ne peut plus s’empêcher d’y penser. Au contraire, il ressent chaque jour l’envie de mieux connaître la dernière

237

Isabelle Hausser, La table des enfants, op.cit., page 31

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révélation de sa mère. Il lui faut absolument déboucher sur une découverte en ce qui concerne sa mère russe, celle dont il n’avait aucun signe depuis des années. C’est vital pour lui :

‘’Dans les mois qui avaient suivi la disparition de Hilda, progressivement, Wolf avait pris conscience que depuis plusieurs années, c’est-à-dire depuis le départ de Silvia, sa vie, jusque-là marquée par le doute, les drames et les échecs, avait suivi une ligne droite, celle imperturbable et rigide de la routine. Il s’était alors mis à ne plus supporter son existence’’239.

La routine est un frein à la quête, c’est ce qui retarde l’enquête et le cheminement difficile et périlleux par la vérité. Mais la routine n’est un confort qu’en apparence. Un esprit désireux de savoir, de connaître la vérité finira toujours par ne plus supporter la routine. C’est le cas de Wolf.

Il est évident que, ce qu’il a appris de sa mère l’a conduit à une situation où ce personnage se sent obligé d’analyser la sienne. Cette situation réveille en lui le désir de comprendre un peu mieux le sens de sa vie, de comprendre un peu mieux son identité profonde. L’enquête dès lors est devenue inévitable.

Nous pourrions certainement être convaincus que, la situation douloureuse joue un rôle important chez Isabelle Hausser car ‘’la douleur n’est pas le critérium de la valeur ; mais elle est la condition’’240. Elle joue un rôle de déclencheur. C’est elle qui peut faire apparaître les perspectives, les possibilités qu’on ne connaissait pas encore sur soi. Autrement dit, c’est elle qui permet à l’homme de trouver au fond de lui toute sa capacité pour réagir et c’est elle qui en même temps, fait percer l’image véritable de celui qui souffre et cherche. Il pourra mieux se comprendre et c’est la raison pour laquelle la douleur devient une ‘’condition’’ de la valeur. C’est au moment de l’agonie que Don Quichotte prend conscience de sa folie, dans le célèbre roman de Cervantès, car la souffrance ramène l’homme à sa finitude, c’est-à-dire à sa vérité profonde : il ne peut plus se prendre pour un chevalier errant ou un dieu.241 De plus, dans le cas de Wolf, le ‘’contexte du drame’’ peut donner non seulement la première impulsion du désir de connaître la vérité mais aussi faire surgir des réflexions philosophiques profondes sur la vie et sur son existence. C’est un grand changement spirituel car ‘’l’état

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Idem., page 17

240

Jean Grenier, Absolu and choix, Presses universitaire de France, Paris, 1961, page 15

241

Cf. Cervantès (Miguel), Don Quichotte de la Manche, t. II, traduit de l’espagnol par Louis Viardot, Paris, GF, 1981, page 500.

philosophique est un état de rupture avec le monde qui constate avec l’état de communication où vit l’enfant et l’homme qui jouit innocemment de ses sens. Beaucoup plus encore qu’un sentiment de dépossession et de désenchantement, il inspire une surprise vis-à-vis d’une réalité qui se relève très différente de celle que nous attendions’’242. Wolf connait la rupture par rapport à tout ce qu’il croyait et tout ce qu’il était. C’est également une rupture qui met un terme à l’illusion à l’égard de soi-même. L’homme doit faire un choix décisif : accepter la vérité, s’habituer à la nouvelle image de soi-même ou bien retenir désespérément l’image ancienne de soi en constatant pourtant qu’elle est fausse.

Dans les deux autres romans, ‘’le contexte du drame’’ de Rachel dans La comédie familiale et celui de William dans Le passages des ombres nous apparaissent moins ‘’tragiques’’ que ceux d’Agnès et de Wolf. Pour Rachel, son déménagement à Bruxelles, la rénovation de la maison et l’arrivée de son père et de sa tante, et en particulier le désordre que celle-ci installe à la maison, sont la cause de sa perturbation dans l’espace assez resserré d’une maison où vivent toutes les personnes d’une même famille. Cet espace devient un lieu où se croisent tous les caractères, les tempéraments ainsi que toute l’histoire commune ou privée de ces personnages. Dès que Rachel aura découvert toute l’histoire de sa famille et son être véritable, son père et sa tante seront également partis. Leur apparition occupe sans doute une part essentielle dans l’enquête de Rachel sur soi. Quant à William, l’idée de passer son année sabbatique dans une petite ville de France pour échapper à ‘’l’atmosphère invivable’’ et n’être pas ‘’trop près de Bush et de sa clique’’ l’a conduit également, sans oublier la douleur provoquée par la perte de sa femme, à cette rencontre aussi profonde qu’imprévue avec son identité profonde.

Alors, il semble que, malgré ces différences, le contexte du drame des protagonistes chez Isabelle Hausser, est pratiquement conduit par le hasard de vie. Celui-ci donne aux lecteurs l’image d’un monde où tout est imprévu et où tout est possible. Dans ce monde là, l’homme déroule sa vie de toute manière en s’interrogeant sur ce qu’il est véritablement.

III.1.2.2. L’espace de l’enquête identitaire