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L’interrogation – l’aventure solitaire à la recherche de la vérité de soi

II. IDENTITÉ PERSONNELLE : LA SOUFFRANCE DU MOI MORCELÉ

II.4. L E CHEMINEMENT DE L ’ AVEU

II.4.1. L’interrogation – l’aventure solitaire à la recherche de la vérité de soi

Au sein des romans d’Isabelle Hausser, sous la forme quelquefois d’un roman policier, il y a toujours un mystère qu’on doit percer. C’est un problème central qui perturbe vraiment les protagonistes avec pas mal de questions. Les personnages hausseriens s’interrogent sans cesse et ils font eux-mêmes leurs enquêtes pour connaître la vérité. L’interrogation est non seulement une tentative de percer la vérité mais aussi trahit la façon d’être de ces personnages, leur attitude en face de la vie. Dès qu’ils s’interrogent sur leurs mystères et leurs problèmes, ils s’approchent en même temps de leur véritable nature et peut-être aussi de la vérité de leur vie. Ils découvrent, approfondissent au fur et à mesure la vie comme elle est et non comme elle semble être si l’on se contente de l’effleurer.

De plus, l’interrogation est un point central et très important de l’intrigue des romans d’Isabelle Hausser. Cette interrogation contribue à créer un réseau complexe d’idées, d’émotions et de sentiments autour d’elle. Grâce à celle-ci, l’intrigue se développe en même temps que l’enquête des personnages à la recherche d’une vérité qu’ils n’atteindront jamais complètement, parfaitement. On peut d’ailleurs considérer une évolution dans les romans de notre corpus. Si le héros des Magiciens de l’âme donne l’impression d’avoir atteint en grande partie la vérité qu’il cherchait, celle-ci s’éloigne de plus en plus dans les derniers romans. Dans Petit Seigneur, le dernier roman d’Isabelle Hausser publié en 2010, l’identité des personnages demeure incompréhensible, ce qui correspond à la forme d’écriture choisie : une juxtaposition et une succession de monologues chez les personnages les plus importants du roman que nous ne découvrons qu’à travers cette forme d’écriture qui laisse une impression d’inachèvement dans les analyses ainsi que les tentatives d’explication que certains de ces personnages tentent parfois de donner sur leur comportement et celui des autres personnages importants avec lesquels un lien affectif ou de pouvoir les relie. Quand le mystère d’un protagoniste est percé presque totalement ou seulement partiellement (sauf dans le dernier roman Petit Seigneur, où le mystère de chacun n’est qu’effleuré mais certainement pas percé ni entamé), l’intrigue achève son rôle et l’œuvre est finie. C’est la raison pour laquelle les lecteurs ont facilement l’impression qu’il y a une correspondance entre les romans Isabelle Hausser et les romans policiers.

Certes, dans les romans de cet auteur, le mystère joue un rôle important mais ce qui est plus intéressant, ce qui donne une grande différence entre ses romans et les romans policiers, c’est le personnage. Isabelle Hausser fait toujours attention à creuser la psychologie et l’état d’esprit de ses personnages. Elle réserve des cavernes dans la mise en œuvre de ses personnages, produit de l’obscurité. Les événements ne sont guère des prétextes pour qu’ils puissent se manifester. Il nous semble que, l’état d’âme compliqué et en crise est ce qui distingue les personnages hausseriens des personnages des romans policiers. Ils sont non seulement aptes à s’interroger sur eux-mêmes, leur identité, mais surtout ils sont très profonds, et se révèlent à la fois très sensibles et très fragiles. L’essentiel de leur vie réside dans l’aventure intérieure, chaque personnage garde son mystère et son indétermination. Les romans d’Isabelle Hausser demeurent des œuvres interrogatives.

Nous pouvons parler de Wolf dans ‘’Les magiciens de l’âme’’, comme Agnès et Elisabeth dans ‘’La table des enfants’’, de Rachel dans ‘’Une comédie familiale’’ et des trois protagonistes Elise, William et Guillaume dans ‘’Le passage des ombres’’, ils accomplissent tous, chacun à leur manière, une enquête douloureuse sur leur trouble identitaire. Ils ont besoin de savoir la vérité sur eux-mêmes et sur leurs proches :

‘’ C’est un cauchemar pour moi. J’ai besoin de savoir ce qui s’est passé, pourquoi la vie lui pesait tant alors qu’elle avait tant de raison d’être heureuse. A tort peut-être, il me semble que comprendre m’aiderait à supporter sa mort. Je ne pourrais pas vivre normalement tant que je me poserai des questions’’176 ou bien ‘’ Sa disparition, je le découvrais, était recouverte d’un voile que le temps et ma couardise avait épaissi. Je devrais le lever. Je n’ai jamais eu le courage d’interroger mon père. Mais à présent, j’avais tous les courages. (…) Que s’était-il vraiment passé ?’’177.

Mais nous avons l’impression qu’il y a un paradoxe dans l’enquête de ces personnages. Ils commencent leur enquête avec l’intention de découvrir le mystère des autres (un de leurs proches) mais à la fin de l’enquête, ce qu’ils ont découvert c’est une partie d’eux-mêmes, une partie seulement ou bien une motivation, une pente, un penchant. Ainsi, l’interrogation se prolonge à toutes les étapes de leur enquête et exprime la crise d’identité et la recherche de la vérité des personnages hausseriens.

176

Isabelle Hausser, La table des enfants, op.cit., page 390

177

Les protagonistes dans l’œuvre romanesque d’Isabelle Hausser sont seuls dans la recherche de la vérité, dans leur enquête du passé et d’eux-mêmes. Le soi-même devient évidemment le problème central de manière plus ou moins consciente du personnage. Ce besoin de se comprendre eux-mêmes est ce qui illustre le plus profondément la crise du moi personnel, profond par rapport au moi social. L’unité et l’harmonie du moi dont ils gardent peut-être la nostalgie, mais qui n’a jamais peut-être été qu’une illusion, laissent place à un moi brisé, émietté et blessé. Ainsi, leur enquête si elle correspond d’un côté au désir sincère de savoir la vérité les plonge de l’autre côté dans le ‘’cours d’un processus de morcellement’’178 de leur moi personnel. Irréversiblement !

Ils font seuls leur enquête, ce qui les conduit à rencontrer inévitablement la solitude et la souffrance. Ils sont incapables d’oublier leur histoire douloureuse, de devenir amnésiques. Leur mémoire les fait souffrir. Leur vie devient une sorte de drame où ils prennent conscience de leur situation affreuse :

‘’Depuis que j’ai été chassée du ventre maternel, ma vie n’a été qu’une perpétuelle errance’’179

Ou

‘’Avant de s’en aller, notre mère avait eu le temps de métisser l’apport de notre père. Mais moi, qui ai été élevée par mon père et sa sœur, j’ai poussé dans un seul terreau. Dans mon enfance, j’éprouvais des élans de jalousie devant la profusion d’expressions inconnues, de chants étrangers et de contes nouveaux dont disposaient Béatrice et Benjamin. A ces instants, j’entr’apercevais les fragments du monde qu’en partant ma mère m’avait dérobé. Le ressentiment m’étouffait. Je ravalais mes larmes d’éternelle exilée’’180

Ce sont les sentiments profonds, introvertis de Rachel, une jeune fille qui a longtemps souffert de la disparition de sa mère. Elle éprouve toujours la sensation d’être seule, d’être exilée dans sa maison à côté de ses proches. Son enquête intuitive plus que rationnelle devient le seul chemin qui s’offre à elle si elle veut avoir une chance d’éclaircir l’histoire obscure du départ de sa mère et la question la plus difficile encore pour elle et la plus centrale : ’’qui est – elle’’. Ces sentiments chez Rachel ne sont sûrement pas particuliers. Nous pouvons le rencontrer chez les autres personnages des romans hausseriens. Ainsi, l’interrogation est donc

178

Isabelle Hausser, Les magiciens de l’âme, op.cit., page 209

179

Isabelle Hausser, Une comédie familiale, op.cit., page 15

180

le premier signe d’une crise spirituelle qui éclate et de l’analyse du processus de déconstruction et de reconstruction du moi personnel chez les protagonistes.