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Au regard de la jurisprudence relative à l’abus de minorité

de l’associé minoritaire

1) Au regard de la jurisprudence relative à l’abus de minorité

158. Malgré la consécration tardive458 de l‟abus de minorité, celle-ci se présente en pratique sous la forme d‟un blocage par le minoritaire de l'adoption d'une délibération dans les rares cas où la loi exige son adhésion à la prise de décision. La question délicate qui se pose est de savoir en quoi le refus de la part des minoritaires est contraire à l‟intérêt social. La frontière, entre les deux est mince, encore faut-il qu‟il y ait eu de la part de ceux-ci, une intention de nuire, du moins une volonté d‟entraver le fonctionnement de la société.

Pour commencer, supposons un associé minoritaire qui refuse de voter ou de participer à une augmentation de capital parce qu‟il envisage de quitter la société, par crainte de perdre une minorité de blocage ou pour éviter une décote de minorité. Dans cette hypothèse, il y aura violation de l‟intérêt social, si l‟augmentation du capital est vraiment nécessaire à la survie de la société, eu égard à la position constante du juge sur cette question459. Mais pour caractériser la rupture d‟égalité faudra t-il considérer la volonté du minoritaire de quitter la société comme

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La notion de l‟abus de minorité est apparue pour la première fois dans un arrêt de la CA Besançon, 5 juin 1957, D. 1957, p 605. Mais ce n‟est que par un arrêt du 15 juillet 1992 que la Cour de cassation en a donné une définition précise : Cass. com 15 juillet 1992, « arrêt Six », Bull. Joly 1992, p. 1083, note P. LE CANNU ; JCP E, II, 1992, n° 375, note Y. GUYON, JCP G 1992, II, n° 21944, note J.F. BARBIERI.

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Cass. com., 9 mars 1993, Bull. Joly sociétés 1993, p. 547, § 152, RJDA, 1993/4, note A. VIANDIER ; Rév. Sociétés1993p. 403, note Ph. MERLE ; Cass. com 27 mai 1997, Bull. Joly sociétés, 1997, p. 765, § 283, note G.BARANGER, LPA 1997, n° 53, p. 6, Dr. sociétés, 1997, comm. n° 142, obs. D. VIDAL

une intention de nuire à la société ? En d‟autres termes doit-on considérer que la manifestation de volonté de céder ses droits sociaux fait présumer sa mauvaise foi ?

Concernant la première question, l‟élément de l‟abus tenant à l‟ambition de céder les actions à des conditions favorables est plus complexe et nécessite une argumentation beaucoup plus subtile, car au-delà d‟une question de mesure ou de degré dans l‟échelle des informations fournies ou non, se pose une question de principe, liée à la nature, à la structure et à l‟essence même du droit de vote.

159. Refus d’augmentation de capital et abus de minorité. En principe, l‟associé a le droit de voter ou de ne pas voter une augmentation de capital. Et, comme le prescrit l‟article 1836 du code civil, alinéa 2, « en aucun cas, les engagements d‟un associé ne peuvent être augmentés sans le consentement de celui-ci ». Il a aussi le droit de sortir ou de rester dans la société. Ce sont là les droits propres de l‟associé qu‟il n‟est du pouvoir ni de l‟assemblée ni du juge de supprimer.

Une justification s‟impose :

160. Premièrement, si l‟on fait référence à l‟intention de nuire, il faudra aussi déterminer s‟il y a une faute et un préjudice quelconque à invoquer de la part des majoritaires et de la société. Cela s‟avère difficile.

Trois arguments peuvent être avancés.

D‟abord, le vote contre une augmentation de capital, même lorsque les actionnaires ont voté à l‟unanimité pour la continuation de la société, semble conforme au principe d‟intangibilité des engagements des associés, qui ne permet pas au majoritaires de contraindre les minoritaires à participer à l‟opération.

Ensuite, la possibilité du rachat des droits sociaux des minoritaires par les autres associés peut au contraire être perçue comme un moyen juridique qui permet à la société de résoudre certains conflits. Au lieu de demander la nullité de la délibération litigieuse, pourquoi ne pas permettre aux minoritaires qui expriment ainsi leur besoin de ne plus continuer l‟aventure sociale de sortir ? L‟intérêt social consistera ainsi à préserver une certaine cohésion interne. Quelques soient les inconvénients que présente de façon générale ce rachat, la solution reste hautement préférable, puisque un associé dépourvu d‟affectio societatis est un facteur perturbateur pour la société.

Enfin, le dernier argument repose sur l‟article L. 223-42 du code de commerce. Cet article dispose que « si, du fait des pertes constatées dans les documents comptables, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, les associés décident, dans les quatre mois qui suivent l‟approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte s‟il y a lieu à dissolution anticipée de la société ». L‟alinéa 4 de l‟article L. 223-42 prévoit en outre que, si les associés n‟ont pu délibérer valablement, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société. La seule obligation qui naisse de cet article est celle dont sont tenus les associés à savoir prendre une décision dans les délais impartis, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel les pertes ont été constatées. A partir de là, le choix entre la cession des droits sociaux et la survie de la société est fait. « Le droit à la vie de la personne morale ne devrait pas aller en l‟encontre du désir de certains de ses créateurs d‟en finir avec elle »460

. La finalité poursuivie afin de préserver la pérennité de la personne morale ne saurait réduire les droits des associés minoritaires, dans l‟unique but de les organiser à l‟image de la volonté des dirigeants. Avant tout, ce sont les associés qui ont créé la société, et il est naturel que la politique sociale soit menée en ne perdant pas de vue cette légitimité originelle.

Le choix pour une cession des droits sociaux devrait être encouragée et approuvée, car d‟une part, la cession des droits sociaux a cette particularité qu‟elle permet de concilier l‟intérêt de l‟associé qui le sollicite et l‟intérêt social puisqu‟il n‟est pas mis fin au fonctionnement de la société qui continue entre les seuls associés qui y trouvent encore leur intérêt. D‟autre part, c‟est un point positif dans la gestion des relations sociales, surtout dans les sociétés où les relations sont particulièrement « difficultueuses » 461.

161. Deuxièmement, il ne suffit pas qu‟une société soit confrontée à des difficultés pour qu‟une augmentation de capital s‟impose. L‟appartenance à une société dont la situation économique est gravement compromise ne devrait pas avoir pour conséquence d‟interdire à un associé de s‟enrichir en vendant à bon prix ses droits sociaux. Il faudrait que les majoritaires envisagent d‟autres solutions que l‟emprisonnement des associés pour régler les problèmes sociaux qui quelques fois surviennent du fait de leur mauvaise gestion ou de leur mauvais choix stratégiques. A ce sujet, nous pensons que l‟impératif de protection des

460

Cass. com 14 janvier 1992, JCP E 1992, II, 301 461

M. JEANTIN, note sous Paris 10 mai 1995, Bull. Joly 1995, p. 746 ; D. SCHMIDT, Les conflits d‟intérêts dans la société Anonyme, préc. p. 233

minorités qui domine la loi du 24 juillet 1966 reprise par le Code de commerce et la jurisprudence impose de ne pas remettre en cause toute opposition du minoritaire, surtout lorsqu‟il s‟agit pour lui de sortir d‟une société « qui n‟est plus, à [ses] yeux, qu‟une institution carcérale »462. On comprend donc mal que le juge impose au minoritaire d‟assurer la pérennité économique d‟une société dont il n‟a pas assuré la gestion et de surcroît qu‟il envisage de quitter. Vue sous cet angle, la demande d‟augmentation de capital apparaît comme un acte belliqueux des majoritaires destiné à demander l‟exclusion des minoritaires par le juge.

Selon la jurisprudence, il faut rechercher si le vote négatif « était à la fois contraire à l'intérêt de la société et inspiré de considérations purement égoïstes ». Depuis les années 1990, celle-ci décide de façon constante que l‟abus est constitué lorsque le minoritaire empêche « une opération essentielle »463 ou « nécessaire à la survie de la société »464, ou « contraire à l‟intérêt général de la société »465 et lorsqu‟il agit « dans le dessein de favoriser son intérêt personnel au détriment de l‟ensemble des associés »466.

162. L’arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 2007467. Dans cet arrêt, les faits sont les suivants : La Sarl K, d‟un capital de 75000 euros constituée en septembre 2002, avait pour objet la fabrication des montres de luxe. Un mois après sa constitution, la société racheta aux associés minoritaires la marque déposée K et en février 2003, les droits de propriété intellectuelle sur les dessins et plans de montres. Suite à de pertes importantes, la société proposa une augmentation de capital de 225000 euros. Le gérant majoritaire se heurta au refus des associés minoritaires. Les majoritaires saisirent donc le Tribunal de commerce aux fins de voir désigner un mandataire ad hoc, au motif que le refus de minoritaire était nuisible à l‟intérêt social et mettait en péril la survie de la société.

Refusant à l‟unanimité de dissoudre la société malgré que les capitaux propres fussent devenus inférieurs à la moitié du capital social, une seconde augmentation de 300000 euros est proposée en juillet 2005. Mais, celle-ci est une fois de plus rejetée par les minoritaires.

462

CA Paris, 10 mai 1995, RTD com 1996, n° 49, p. 291. 463

Cass. com., 15 juill. 1992, Bull. Joly sociétés 1992, p. 1083, §353, note P. LE CANNU ; D. 1993, p. 279, note H. LE DIASCORN ; JCP E 1992, II, p. 375, note Y. GUYON, JCP G 1992, II, n° 21944, note J6F BARBIERI, Rév. Sociétés 1993, p. 400, note Ph. MERLE, RJDA, 1992/8-9, n° 826.

464

Cass. com., 9 mars 1993, Bull. Joly sociétés 1993, p. 547, § 152, RJDA, 1993/4, note A. VIANDIER ; Rév. Sociétés1993p. 403, note Ph. MERLE ; Cass. com 27 mai 1997, Bull. Joly sociétés, 1997, p. 765, § 283, note G.BARANGER, LPA 1997, n° 53, p. 6, Dr. sociétés, 1997, comm. n° 142, obs. D. VIDAL

465

Cass. com., 8 juill. 1997, Bull. Joly sociétés 1997, p. 981, § 352, note P. LE CANNU ;

Cass. com 16 juin 1998 : Bull. Joly sociétés 1998, P. 1083, § 331, note P. LE CANNU, Rév. sociétés 1999, p. 103, note K. MEDJAOUI ; Cass. com 18 juin 2002, Bull. Joly sociétés 2002, p. 1197, § 256, note L. GODON ; CA Paris 6 juillet 2005, Rev. sociétés 2005, p. 918, JCP E 2005, n° 50, p. 2166, RJDA 7/2006, n° 782, p. 721. 466

Cass. com 9 mars 1993 préc. 467

Or, en même temps que les minoritaires s‟opposaient aux augmentations de capital, ils étaient en pourparlers avec le gérant pour le rachat de leurs parts sociales avec des exigences importantes notamment : le prix de cession, une somme correspondant au travail effectué, un don de douze montres et enfin la résiliation de la clause de non concurrence inscrite dans le contrat de cession des modèles. Il fallait donc prouver, en plus du refus de voter pour une augmentation du capital, que l‟opposition des minoritaires était motivée par des considérations disproportionnées ou uniquement personnelles, au regard de l‟intérêt social. Le juge conclut que « le vote systématique des minoritaires contre l‟augmentation de capital, alors qu‟ils désiraient céder leurs parts et quitter la société (…) n‟avait pour objet que de leur éviter [de partager] les risques d‟une telle opération, dans l‟unique dessein de favoriser leurs intérêts personnels au détriment de celui de la société. Un tel comportement constitue un abus de minorité (…) ». Ce que semble approuver Madame Cerati-Gauthier468

.

Cependant, une telle décision n‟est pas à l‟abri de la critique. Doit-on considérer que la manifestation de volonté de céder ses droits sociaux fait présumer sa mauvaise foi ?

163. Certes, la position de l‟actionnaire minoritaire ne pouvant ou refusant de participer à l‟augmentation de capital est difficilement défendable. Il s‟exclut en ne participant pas à cette opération jugée essentielle pour la survie de l‟entreprise. Mais cela ne doit pas permettre de présumer automatiquement sa mauvaise foi d‟abord parce que la jurisprudence en droit des sociétés hésite sur l‟application de la règle de bonne foi, que certaines critiques considèrent comme « ni toujours utile, ni toujours suffisante»469. Ensuite, le juge n‟apporte aucun élément permettant de savoir si c‟est le refus de voter l‟augmentation du capital qui constitue l‟abus ou l‟ambition de céder leurs actions à des conditions favorables.

Comment admettre que le juge fasse prévaloir une décision d‟assemblée générale le plus souvent souhaitée par les majoritaires sur les prérogatives des associés, alors que l‟intérêt social n‟a pas été défini par le législateur et qu‟il n‟est qu‟un « standard, une norme à contenu variable qui, par son indétermination, met à nu une crise interne du système juridique »470 et que le droit de céder issu du droit de propriété a été reconnu à tout associé ?

468

A. CERATI-GAUTHIER « Reconstitution du capital et abus de minorité », préc. 469

D. VIDAL, « Droit des sociétés », 5 éd. LGDJ 2006, p. 394, n° 804 470

La jurisprudence ne manque d‟ailleurs pas de rappeler, qu‟il est légitime que le vote de l‟actionnaire intègre la considération des ses intérêts propres471

. Il y a une place pour les intérêts personnels, surtout ceux qui s‟attachent à la qualité d‟actionnaire, tant que la prise en compte de ces intérêts ne nuit pas aux autres apporteurs. C‟est sous cet angle que nous aurions pu apprécier les arguments des minoritaires dans ce cas d‟espèce. Aussi, la demande d‟exclusion des minoritaires nous semble injuste, car l‟exercice d‟un droit ou d‟une prérogative accordée par la loi ne constitue pas une faute au point de caractériser un abus de minorité.

164. Nous admettons la difficulté de trouver un équilibre entre la protection de l‟intérêt de la société et l‟usage des prérogatives reconnues à l‟associé. Mais en préférant la sortie de l‟associé minoritaire à une augmentation de capital à laquelle il ne veut pas prendre partie, nous ne disons pas que « l‟idée d‟un intérêt supérieur de l‟entreprise est une chimère »472. Nous disons tout simplement qu‟il est impossible d‟enfermer à priori l‟exercice les droits des actionnaires minoritaires dans une définition figée de l‟intérêt social. Et nous pensons, comme Monsieur Merle, que l‟abus de minorité doit demeurer un « mécanisme correcteur »473. Ainsi, même émis en connaissance de cause, le refus de voter du minoritaire qui envisage de céder ses droits sociaux doit être apprécié de façon exceptionnelle474 au regard de la liquidité que lui offre le marché des actions.

Qu‟en est- il de l‟abus de majorité ?

471

Paris, 26 juin 1990, JCP 1990, II, 21589, note M. GERMAIN, Bull. Joly 1990, §221, p. 755, note LE CANNU, Rev. sociétés 1990, 613, note BOIZARD

472

Même en l‟absence de fondement textuel ou jurisprudentiel. Voir P. LEDOUX, « Le droit de Vote des actionnaires », n° 180, p. 158

473

Ph. MERLE « L‟abus de minorité »,RJ. com. nov. 1991 474

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