• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Les serments enver le(s) roi(s) et la paix

G. Refuser de jurer l’observation de la paix

Les autorités parviennent donc à faire prêter le serment, par différents moyens, à un certain nombre d’individus qui y sont, à l’origine, réticents. Les conditions de cette paix suscitent par contre des oppositions beaucoup plus fortes que les gouvernements de Charles VI ou d’Henri VI ne peuvent mater ou apaiser, comme cela est le cas pour Jean et Louis de Luxembourg par exemple.

Ainsi, peu après la ratification du traité, le prince d’Orange123 quitte-t-il l’armée anglo-bourguignonne assiégeant Melun pour éviter d’avoir à jurer obéissance à Henri V :

« Le prince d’Orenge vint au siege du duc de Bourgongne, pour s’employer à son service, contre ceux qu’ils nommoient Armagnacs : quand le roy d’Angleterre le sceut, il luy envoya

122 AN, JJ.171/411 (Paris, juin 1421), JJ.171/350 (Paris, 1er avril 1421), JJ.174/254 (Paris, 31 octobre 1428). 123 Louis II de Chalon-Arlay, prince d’Orange (1390-1463). Il prend d’abord part à la guerre civile en

combattant les Armagnacs en Guyenne et en Languedoc. Il sert loyalement, mais froidement les ducs de Bourgogne jusqu’à ce qu’il entre en conflit avec Philippe le Bon à propos du vicariat d’Empire en Bourgogne que lui propose l’empereur Sigismond.

83 dire, « qu’il fist le serment de garder le traitté de Troyes dessus déclaré. » Lequel respondit, « qu’il estoit prest de servir le duc de Bourgongne, mais qu’il fist le serment de mettre le royaume ès mains de l’ennemy ancien et capital du royaume de France, jamais ne le feroit. » Et pource assez soudainement il en partit et s’en alla en son pays, se doubtant aucunement que le roy d’Angleterre ne luy fist quelque desplaisir. »124

Il n’est pas le seul à réagir de la sorte et plusieurs nobles bourguignons, normands et français préfèrent l’exil à la soumission à l’Anglais par la prestation du serment. Le pas est en effet grand entre servir et obéir à un duc de Bourgogne et se soumettre à un roi anglais. Comme le souligne Emmanuel Bourassin, bien que l’ennemi demeure le même, l’un est un prince valois à la maison prestigieuse et l’autre, un étranger de la maison des Plantagenêts-Lancastres arrivé sur le continent en tant que conquérant. Il y a donc un large fossé idéologique entre servir le premier et se soumettre à l’autre.125 À l’instar du prince d’Orange, Jacques d’Harcourt, fidèle serviteur des ducs de Bourgogne – il est conseiller et chambellan de Jean sans Peur puis de Philippe le Bon – refuse aussi de prêter serment de fidélité envers le traité et Henri V. Celui-ci va toutefois jusqu’à renier complètement la cause anglo-bourguignonne, et se rallie au parti du dauphin Charles.126

Enfin, et bien évidemment, en plus de ces partisans bourguignons, c’est plus de la moitié du royaume de France qui refuse de prêter le serment et qui ne le prêtera jamais :

« Mais de cette paix et de ses articles ou du déshéritement du dauphin Charles, alors unique fils de son père, ni le dauphin lui-même, ni ses partisans auxquels obéissait la partie de beaucoup la plus étendue du royaume n’eurent cure. »127

124Juvénal des Ursins, Histoire de Charles VI ..., p. 564. 125 BOURASSIN, La France Anglaise ..., p. 83. 126 BOURDIER, Le traité de Troyes ..., p. 174. 127 BASIN, Histoire de Charles VII ..., p. 69, ch. XIV.

84

Certaines villes demeurées neutres dans la guerre civile, à l’instar de Tournai, doivent, avec l’ultimatum que constitue le traité de Troyes, choisir leur camp. La ville de La Rochelle n’hésite que très peu et, fidèle à son historique de château fort anti-anglais, se range du côté du dauphin Charles et le reconnaît comme son souverain légitime.128

Dans les cas où, comme nous venons de le démontrer, les serments au traité ne sont tout simplement pas prêtés, les autorités sont bien impuissantes et ne peuvent mettre en application les peines prévues. En effet, si le personnage est trop puissant, comme le prince d’Orange mentionné plus haut, il est bien difficile de le forcer à prêter serment ou de confisquer ses biens, d’autant plus s’il demeure hostile au roi de Bourges. Il en va de même pour les seigneurs du parti armagnac et dont les biens se situent au sud de la Loire. Bien que l’on puisse les confisquer et les redistribuer, ces mesures répressives n’ont pas beaucoup d’effet sur les personnes en question et ne demeurent bien souvent que fictives ou symboliques. Plusieurs terres confisquées sont effectivement données, nous y reviendrons, sous réserve que le bénéficiaire les conquière,129 conquête qui, dans les faits, ne se produit que très rarement lorsque les terres en question sont situées trop au sud dans le royaume de Bourges.130

Nous pouvons le voir, le paradoxe est fort entre les efforts déployés par le gouvernement pour faire prêter le serment, comme en faire une condition à la

128 Pour de plus amples détails sur le rôle joué par La Rochelle durant la guerre de Cent Ans,

voir : FAVREAU, Robert, « La Rochelle pendant la guerre de Cent Ans », in : Guerre, pouvoir et noblesse au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur de Philippe Contamine, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, coll. Cultures et civilisations médiévales XXII, Paris, 2000, pp. 261-270.

129 La vicomté de Narbonne (AN, JJ.171/307,devant Montereau, 1er juillet 1420); le château de Saint-

Fargeau-en-Puisaye (AN, JJ.172/483, Paris, 15 mai 1424); le duché d’Anjou et le comté du Maine (AN, K.168/94, Paris, 21 juin 1424).

130La situation est bien différente lorsque les terres confisquées se situent au nord de la Loire. Voir le

85

conservation des postes et offices ou au pardon royal, et son impuissance quasi totale face à tous ceux qui refusent de prêter le serment sur lesquels il ne peut, en réalité, faire peser de lourdes peines. L’exemple de ce religieux d’Ivry illustre à merveille cette situation paradoxale. Lorsqu’il se rend auprès de ses supérieurs ecclésiastiques à Evreux pour qu’ils le « voulsissent recepvoir et beneistre » suite à son élection en tant qu’abbé de l’abbaye d’Ivry, le frère Nicole le Jendre refuse de prêter le « serement de tenir le traictie et accord de la paix » requis dans le cadre de son nouvel office. Il justifie son refus par les répercussions que pourrait avoir la prestation d’un tel serment étant donné la garnison armagnaque qui se trouve alors à Ivry.131 Son sauf-conduit lui étant accordé, il s’en retourne en son abbaye. Toutefois, lorsqu’il apprend que les Anglais prévoient assiéger la ville, Nicole le Jendre, par crainte du sort réservé à un abbé d’une ville rebelle n’ayant pas prêté serment, fuit la ville pour ne plus y revenir. Si une rémission lui est accordée plus tard, c’est seulement parce qu’elle est demandée par ses proches et non parce qu’il est captif.