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Chapitre 3 : Confiscations et dons Une division matérielle de la France

C. Ce qu’il en est dans le traité de Troyes

Avec le traité de Troyes et la fusion des couronnes qu’il annonce, les confiscations et les dons de propriétés deviennent un enjeu à la fois important et problématique. Important tout d’abord parce que la reconquête de la France française qui y est mise de l’avant s’accompagne bien forcément de confiscations de propriétés et donc de multiples possibilités, pour Henri V (et son fils Henri VI) et Philippe le Bon, de récompenser leurs fidèles et serviteurs. Mais cette reconquête est aussi partie intégrante du problème, tout comme la prochaine fusion et réunification de la Normandie. Conquis par Henri V avant le traité et donc jusqu’alors considéré comme possession anglaise, le duché doit, une fois la couronne de France ceinte par le Lancastre, réintégrer le royaume de France. En effet, et comme les deux couronnes doivent éventuellement toutes deux être portées par Henri V et ses successeurs, l’article dix-huit du traité stipule que le duché de Normandie ainsi que « les autres et chascun lieux par lui conquis ou royaume de France, seront soubz la jurisdicion, obeissance et monarchie de ladicte couronne de France. »16 Les délégations françaises et anglaises chargées de rédiger le traité entrevoient clairement la délicatesse avec laquelle les autorités sont appelées à légiférer sur le statut des terres confisquées ainsi que les éventuels problèmes quant à leur redistribution dans un contexte ou d’anciens ennemis deviennent alliés sans que l’un d’eux ne renonce aux conquêtes faites aux dépens de l’autre. C’est pour prévenir de futures complications à ce sujet que les

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négociateurs du traité insèrent quelques articles visant à établir un modus operandi dans le domaine des confiscations et des dons. L’article quatorze élabore donc la procédure à suivre en ce qui concerne les terres à conquérir :

« et que nostre dit filz, de son povoir, fera que toutes et chacunes terres et seignouries estans ès lieux [au royaume de France] qui sont ainsi à conquérir, appartenans aux personnes à nous présentement obéissans, qui jureront garder ceste présente concorde, seront restituées auxdictes personnes à qui elles appartiennent. »17

Bien qu’il soit relativement court, cet article est composé en fonction de l’atteinte d’un triple objectif. Il établit tout d’abord une règle générale pour la confiscation et la redistribution des terres et seigneuries situées en territoire reconquis par Henri V et, en précisant que celles-ci doivent être redistribuées à leurs propriétaires de droit, prévoit une solution à d’éventuelles querelles sur les titres de propriété. De plus, les restrictions imposées auxdictes personnes a qui elles appartiennent, celles-ci se voyant contraintes à la prestation du serment au traité et à Henri V comme condition de restitution de leurs terres, agissent comme un fort incitatif à prêter le serment exigé de tous les sujets par l’article treize du traité. Tout spécialement si l’on considère que, dans le cas contraire, un propriétaire qui refuserait de jurer de garder ceste présente concorde verrait ses terres et seigneuries confisquées. Finalement, le serment y étant posé comme condition de restitution, cet article permet aux autorités de dresser une frontière géographique à la France fidèle au traité, à Charles VI, à Philippe le Bon ou à Henri V, mais aussi, la neutralité ne semblant pas être une option valable, de tracer une ligne nette entre les différentes allégeances. D’autant plus qu’aux lendemains immédiats du traité et jusqu’à la prestation des serments, bien que l’on puisse aisément deviner de quel côté tombera

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l’allégeance des différentes régions du royaume, toute la France est théoriquement considérée comme étant hostile au traité et à l’autorité anglo-bourguignonne.

Le problème survient lorsque l’on prend en considération la question normande. Depuis 1415 et tout au long de sa conquête, bien qu’il soit en mesure de rallier un certain nombre de nobles normands à sa cause,18 Henri V doit expulser de leurs terres et saisir les possessions de plusieurs personnes préférant ne pas se soumettre à son autorité et qui choisissent l’exil plus au sud, en France française. Désirant installer sur les territoires conquis une colonisation anglaise permanente, Henri V s’empresse de redistribuer ces terres à de nombreux Anglais attirés en France par l’appât du gain que laissent entrevoir les conquêtes anglaises et par l’opportunité d’améliorer leurs conditions.19

Toujours en est-il qu’à l’aube de la conclusion du traité de Troyes, il y a en France un certain nombre de nobles normands pour qui l’avènement prochain d’une paix avec l’Angleterre peut laisser espérer une restitution de leurs terres confisquées. Espoir légitime donc d’un côté et inquiétude, non moins légitime, de l’autre pour les Anglais nouvellement installés en Normandie sur ces mêmes terres et seigneuries. Considérant qu’il est fort probable qu’Henri V n’entend pas se mettre à dos ses nouveaux sujets français, ceux-ci ont effectivement toutes les raisons de croire que cette paix tourne à leur désavantage. Il revient donc aux délégations chargées de rédiger le traité de trouver une solution viable à cette épineuse question.

18 CURRY, Anne, « Les « gens vivans sur le païs » pendant l’occupation anglaise de la Normandie (1417-

1450) », in, La guerre, la violence et les gens au Moyen Âge, t. I. Guerre et Violence, CTHS, Paris, 1996, p. 209.

19 CURRY, Anne, « Le service féodal en Normandie pendant l’occupation anglaise (1417-1450) », in : La

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Tâchant de prévoir et d’éviter le plus de cas de contestations possibles, les négociateurs français, bourguignons et anglais en viennent à mettre sur pied un système de compensation pour les terres confisquées par Henri V lors de ses conquêtes précédant la ratification du traité. Il est donc mentionné, dans l’article dix-neuf, qu’Henri V doit restituer à leurs propriétaires les terres qu’il a conquises avant le traité et compenser les propriétaires de celles qu’il a déjà redistribuées avec les terres à conquérir sur les tenants du parti armagnac.20 En assurant aux uns qu’ils conservent leurs terres et biens nouvellement acquis et aux autres la compensation de leurs pertes, cet article tente à la fois de ménager les sensibilités des récents propriétaires anglais de terres et seigneuries normandes et de conserver l’appui et l’allégeance envers Charles VI ou Philippe le Bon des nobles normands et autres dépossédés ayant choisi l’exil à la soumission à Henri V lorsque celui-ci était un ennemi de la France.

Dans une moindre mesure, deux articles qui s’adressent au clergé et aux ecclésiastiques peuvent aussi être considérés comme sujets à d’éventuelles confiscations. Les articles quinze et seize mentionnent en effet que les ecclésiastiques de Normandie ou de France, obéissants à Henri V, Charles VI ou « favorisans la partie de nostre très chier et très amé filz le duc de Bourgogne » et qui jurent eux aussi d’observer le traité peuvent jouir « paisiblement de leurs bénéfices ecclésiastiques ».21 Encore ici, on peut comprendre que le cas contraire entrainerait une mesure de répression quelconque qui, bien que plus délicate car concernant le clergé, pourrait aussi prendre la forme de confiscation et de redistribution à une personne plus favorable au nouveau régent anglais.

20 Voir annexe I. 21 Ibid.

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Les solutions apportées aux problèmes des confiscations et des dons à même le traité sont toutefois bien imparfaites. Elles s’appuient en effet sur l’éventualité selon laquelle les conquêtes d’Henri V sont suffisamment importantes afin de compenser tout propriétaire lésé durant celle de la Normandie. C’est sous-estimer les sympathies que rencontre encore le parti armagnac, au sud de la Loire bien sûr, mais aussi dans le nord du royaume, où plusieurs villes et places fortes résistent avec acharnement aux Bourguignons et aux Anglais, sans compter la résistance des troupes « nomades », alors apparentées aux brigands, toujours fidèles au dauphin Charles et qui troublent la stabilité de la France anglaise.22 Mais c’est là une des grandes lacunes du traité qui compte sur l’extinction du parti armagnac et sur la mort politique de roi de Bourges.23 Cette difficulté dans la reconquête du territoire par les forces anglo-bourguignonne qui se traduit ici en un nombre réduit de terres et propriétés à redistribuer peut sembler être nuancée par l’abondance des ordonnances de dons émises par les autorités dans les années qui suivent le traité. Par contre, et comme nous le verrons plus loin, très peu nombreux sont les dons adressés, à titre de compensation, à des Normands.