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Chapitre 6 : La difficile route vers la Double monarchie

B. La régence d’Henri V

2. Décès et testament

Cette situation de dualité gouvernementale qui devait servir de transition entre le règne de Charles VI et la Double monarchie qu’entend bien exercer Henri V ne doit pas durer éternellement. En effet, en 1420, très peu nombreux sont ceux qui croient à la longévité de Charles VI, déjà âgé de cinquante-deux ans et plus malade que jamais. Tous s’attendent donc à une mort relativement rapide du roi de France et à l’ascension au trône du jeune et énergique régent Henri V, qui n’a que trente-trois ans à la signature du traité.

C’est toutefois l’inverse qui se produit et, comme nous le savons, le 31 août 1422, Henri V meurt près de deux mois avant Charles VI. Peu auraient pu prévoir la tournure des événements, mais plusieurs éléments sont favorables, malgré sa maladie, à la longévité de Charles VI. Alors que celui-ci demeure paisiblement à Paris depuis 1420, le régent est beaucoup plus actif durant ces deux années. Il voyage entre la France et l’Angleterre et poursuit la guerre contre les partisans du dauphin Charles. La campagne qu’il mène depuis la défaite et le décès de son frère à Beaugé en mars 1421 est particulièrement difficile pour son état de santé qui se détériore rapidement jusqu’à ce qu’il succombe de la dysentrie à Vincennes en août 1422.

Outre la rapidité, ce qui surprend à propos de la mort d’Henri V ce sont les dernières recommandations qu’il adresse en tant que testament à son entourage.27 En effet, celles-ci apparaissent comme étant quelque peu ambiguës et tranchent significativement avec ce qu’il a prôné et réclamé tout au long de son règne. Henri V semble alors réaliser la fragilité, voir l’échec, du traité de Troyes. Peut-être, sachant la

27 Sont présents au chevet d’Henri V : ses frères Jean de Bedford et Humphrey de Gloucester; Thomas

Beaufort, duc d’Exeter ; Richard de Beauchamp, comte de Warwick ; ainsi qu’Hugues de Lannoy, influent Bourguignon. CHAMPION, THOISY, Bourgogne, France-Angleterre ..., p. 259.

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fin imminente pour lui, se permet-il seulement d’exprimer ses doutes ou ses craintes vis- à-vis cette construction diplomatique. Ses dernières paroles sont à l’intention des membres de son entourage présents à son chevet parmi lesquels se trouvent ceux sur qui reposera la Double monarchie. Alors que Jean de Bedford se voit confier la régence de France durant la minorité de son neveu, Humphrey de Gloucester assure la régence d’Angleterre pour la même période. Nous n’évoquerons ici que celles de ses recommandations ayant un lien avec les affaires de France et la Double monarchie.28 Ainsi, il demande dans un premier temps à ses proches de faire respecter les titres légitimes de son fils :

« que toujours, quoi qu’il advienne, le duché de Normandie ne demeure franchement à notre beau fils. »29

Le traité de Troyes faisant d’Henri V et de ses héritiers les successeurs légitimes et directs de Charles VI, pourquoi le roi anglais ne recommande-t-il pas de conserver, au moins, la partie du royaume de France alors sous contrôle anglais et dont son fils sera roi?

Deux autres de ses commandements démontrent que le souverain anglais est bel et bien conscient des limites du traité de Troyes et de la Double monarchie. Il reconnaît tout d’abord l’importance et l’aspect crucial qu’a l’alliance bourguignonne pour la cause anglaise et avoue en quelque sorte que, malgré le traité et tous ses articles, le détriment de la bonne entente entre l’Angleterre et la Bourgogne pourrait être fatal :

« de bien vous garder, de votre vivant, d’entrer en fausse querelle avec notre beau-frère, le duc de Bourgogne ; en premier lieu, défendez à notre frère Humphrey d’entreprendre quoi

28 Plusieurs autres concernent en effet les affaires d’Angleterre seulement et le rôle joué par l’Angleterre

dans la chrétienté, notamment l’organisation prochaine d’une croisade.

188 que ce soit sur cet article, car, s’il advenait, - que Dieu ne le veuille! – qu’il y eut entre vous et lui quelques divisions, les « besognes » de ce royaume, qui sont grandement avancées pour nous, pourraient empirer de beaucoup et tourner à notre détriment. »30

Une autre de ses recommandations fait état de la fragilité de la France anglaise. Henri V confesse en effet le danger que peuvent représenter certains personnages pour la survie de la Double monarchie. Il demande ainsi de maintenir prisonnier en Angleterre Charles d’Orléans,31 Charles d’Artois, comte d’Eu,32 Raoul de Gaucourt33 et Guichard de Chissay afin que ceux-ci ne puissent se dresser en opposants à l’ascension à la couronne de son jeune fils Henri VI.34

Car, lorsque décède Charles VI le 21 octobre 1422, son successeur n’a pas encore un an. Aussi, ce qui est grave dans la succession de ces deux décès, n’est pas la mort d’Henri V en tant que telle, mais bien le fait qu’elle survienne avant celle de Charles VI. Nous ne pouvons faire de l’histoire conditionnelle, mais il nous est impossible de ne pas penser que la situation des premières années de la Double monarchie eut été très différente si seulement Henri V avait survécu à Charles VI.

30 Ibid.

31 Charles d’Orléans (24 novembre 1394 – 4 janvier 1465). Prisonnier depuis Azincourt en 1415, il le reste

jusqu’en 1440. Petit-fils de Charles V, il est placé, suite à l’assassinat de son père par Jean sans Peur en novembre 1407, à la tête du parti armagnac qui exige vengeance pour le fratricide. Il devient véritablement chef de guerre lorsqu’il épouse en deuxième noces la fille de Bernard VII d’Armagnac. Lors de son retour de captivité, il « abandonne » la vie politique et se consacre à la littérature et à ses œuvres poétiques. Si Henri V reccommande fortement de le garder prisonnier, c’est non seulement pour sa figure de chef au sein du parti armagnac, mais aussi pour les droits qu’il pourrait faire, lui aussi, valoir sur la couronne de France.

32 Charles d’Artois, comte d’Eu (1394 – 1472). Lui aussi prisonnier depuis Azincourt, il ne retrouve la

liberté qu’en 1438.

33 Raoul VI de Gaucourt (vers 1371 – juin 1462). On le voit très tôt se ranger dans le parti armagnac (il est

chambellan du duc d’Orléans en 1411). Bailli de Rouen, il résiste six semaines aux Anglais assiègeant Harfleur en 1415 et est fait prisonnier lorsqu’il capitule le 22 septembre. Il est libéré en 1425 et rejoint le parti du dauphin Charles. Il participe notamment à la délivrance d’Orléans et gravit rapidement les échelons auprès de son roi. Il devient gouverneur du Dauphiné en 1431, premier chambellan en 1437 et occupe la charge de grand maître de l’hôtel du roi entre 1453 et 1461.

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