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Chapitre 2 : Les serments enver le(s) roi(s) et la paix

F. Prêter serment sous la contrainte

À l’opposé du comte de Saint-Pol et des frères de Luxembourg, tout individu réticent à prêter le serment au traité et à la paix n’a pas la même chance que ces derniers et, à quelques occasions, comme nous le verrons, plusieurs serments semblent être prêtés davantage sous la contrainte que de bon cœur. À titre d’exemple, l’engagement de

109 BOURDIER, Isabelle, Le traité de Troyes (1420) : étude historiographique, Mémoire de maîtrise sous

la direction de Claude Gauvard, université de Paris-I, Paris, 1994, p. 174.

110 Journal d’un bourgeois de Paris ..., p. 198. 111 FAVIER, La guerre de Cent Ans ..., p. 465.

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Bedford de conserver les officiers mis en poste sous Charles VI.112 Cette largesse, car l’on est portée à croire qu’un nouveau régent préférerait s’entourer d’individus qu’il connaît et sur lesquels il peut se fier, est toutefois soumise à une condition : la prestation du serment de fidélité au traité et aux Lancastres.113 Ainsi, alors que Bedford apparaît comme un régent conciliant, les officiers conservent leurs postes et leurs revenus. Il n’en demeure pas moins que, bien malgré les bénéfices qu’en retirent les deux partis, le serment est pratiquement imposé aux officiers par un tel arrangement. En effet, dans l’éventualité d’un refus, le poids de ce choix aurait d’inévitables répercussions sur la vie du dissident en question. Non seulement perdrait-il son poste et ses revenus, mais serait aussi considéré comme rebelle et desobeisssan et forcé à l’exil hors de la moitié du royaume sous domination anglaise.

Les habitants des villes conquises par les troupes anglo-bourguignonnes se retrouvent devant un ultimatum semblable. En effet, hormis bien sûr les régions et les villes demeurées fidèles à Charles VI, Philippe le Bon ou Henri V, la prestation des serments au traité suit la reconquête du royaume. Lorsqu’une ville ou une place forte est reprise par les troupes anglo-bourguignonnes, tous ses habitants et défenseurs sont soumis, entre autres conditions, au serment envers le traité. Lors de la prise de Montereau, peu de temps après le traité, le pardon est accordé à tous ceux souhaitant :

« demourer soubz nous et en nostre obeissance comme nos bons et loyaulx subgets doivent faire serment [?] hommes ou autres seroient receuz et tenus paisibles tant en corps comme en biens et leurs seroient rendus et delivrez leurs biens retraiz aoudit chastel et aussi leurs terres

112 BOURASSIN, La France Anglaise ..., p. 85.

113 Sur l’établissement du gouvernement anglais de Bedford et de ses rapports avec les officiers et le

personnel administratif français, voir : BOURASSIN, La France Anglaise ..., p. 85. et THOMPSON, Paris

80 et heritages en faisant serment que ils soient et demouroient nos bons et loyaulx subgets et obeissans. »114

Plus tard, en juin 1422, lors de la reddition de Pernant-les-Soissons115 qui résiste plus longtemps et avec beaucoup plus d’acharnement que Montereau, le ton est plus agressif :

« Premierement est accordé que les dessusnommez Jehan de Ploisy, Jehan Gauchier et Jehan Morel et les autres de ladicte forteresse delivreront et feront delivrer incessament ladicte forteresse en l’obeissance desdicts roys a mondit sir le conte ou a son certain commandement toutes et quanteffois il requis en sont. Et feront les serment de la paix final faicte entre lesdis roys ainsi qu’il appartendra pareillement que ont fait les dessus nommez [...] »116

Ici aussi, les habitants et les défenseurs des villes conquises n’ont pas, malgré les termes parfois conciliants des lettres royales à cet effet, d’autres choix réels que de se plier à la volonté de leurs conquérants et de prêter le serment.

Jurer de respecter la paix et le nouveau roi figure aussi comme une condition sine

qua non pour les rémissions accordées aux rebelles et desobeissans repentants. Nous

l’avons déjà mentionné, le serment occupe une place primordiale dans les pardons distribués sous Charles VI puis Henri VI. Bien que l’éventail des fautes pardonnées soit très vaste, allant de la simple résidence pacifique hors des régions sous domination anglaise à la participation active au sein des troupes fidèles au parti armagnac, les conditions rattachées au pardon sont souvent les mêmes : on souligne le passé honorable du demandeur, on exige parfois le paiement d’une somme « pour bonne foiz » et, surtout, on lui impose de prêter, ou de renouveler, le serment envers le traité. C’est notamment le

114 AN, JJ.171/175 (devant Montereau, 1er juillet 1420) 115 Aujourd’hui Pernant, Aisne, Nord-Pas-de-Calais-Picardie. 116 AN, JJ.172/128 (Paris, juin 1422)

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cas de Pierre Vaudetar et de sa femme qui sont pardonnés, le 1er avril 1421, d’avoir résidé à Melun avant que la ville ne soit assiégée puis conquise par les troupes anglo- bourguignonnes en novembre 1420.117 Des fautes beaucoup plus graves sont également pardonnées : comme à Pierre Compans qui suit et sert différents individus au service du roi de Bourges entre 1418 et 1422118 ; ou bien encore Jean le Cheron, qui s’absente de Paris entre 1427 et 1428 pour demeurer en pays ennemi et qui prend part à plusieurs attaques armagnaques.119 Les fautes diffèrent, mais, dans leurs lettres de rémission, les demandeurs doivent toujours respecter les mêmes contraintes :

« baillier caution contenant d’entretenir ledit serment [...] »120 et « de estre et demourrer

nostre bon et loyal obeissans, tenir et garder de tout son povoir le traitié de la paix final faicte entre nous et nostre tres chiers et tres amé filz, le roy d’Angleterre ».121

Outre l’engagement, parfois de leur propre initiative, qu’ils prennent de prêter serment, de respecter la paix et d’obéir aux autorités anglaises, les repentants plaident souvent leur innocence en des termes très généraux : les formules les plus répandues soulignent l’état de santé précaire du demandeur qui ne peut que se détériorer en prison; la crainte que ressent celui-ci quant à un éventuel retour dans les territoires sous contrôle royal après un séjour dans des villes et places désobéissantes; le fait que le demandeur, jusqu’à ce qu’il commette les faits qui lui sont reprochés, a toujours mené une bonne et honnête vie; ou

117 AN, JJ.171/350 (Paris, 1er avril 1421) 118 AN, JJ.172/131 (Paris, juillet 1422) 119 AN, JJ.174/254 (Paris, 31 octobre 1428) 120 AN, JJ.171/350 (Paris, 1er avril 1421) 121 AN, JJ.171/376 (Paris, avril 1421)

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bien encore qu’il n’a été l’auteur, durant les actes qu’il commet délibérément aux dépens du roi anglais ou de ses fidèles, d’aucun meurtre, crime ou viol.122

Bien que les serments soient ici aussi prêtés sous la contrainte, les demandeurs de pardon se trouvant généralement en prison, c’est un excellent moyen pour le gouvernement de poursuivre plusieurs objectifs à la fois. En effet il réussit, dans un premier temps, à faire prêter le serment de fidélité au traité à des individus qui y sont souvent hostiles, à l’origine du moins, incluant donc de plus en plus de sujets dans la paix. En d’autres mots, il applique lentement une partie du traité. Il contribue aussi à forger l’image d’un gouvernement compréhensif et miséricordieux, image qui ne peut qu’être bénéfique pour un régime anglais pour le moins fragile.