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Chapitre 3 : Confiscations et dons Une division matérielle de la France

B. Les confiscations et les dons au Moyen Âge et avant le traité

Afin donc de bien saisir la relation entre l’application des articles du traité et les confiscations et dons de propriétés, il est de mise de considérer brièvement ce qu’il en est à ce sujet avant que les clauses de la paix de Troyes ne soient élaborées.

Ces deux procédés sont, comme mentionné plus haut, très fréquents au début du quinzième siècle. Évidemment la guerre qui sévit entre Armagnacs et Bourguignons depuis le début de ce siècle donne lieu à un nombre très important de confiscations, tout dépendamment, bien sûr, du parti au pouvoir. La roue de la Fortune, thème populaire au

5 Nous ne prennons donc en considération que les confiscations et les dons opérés par le gouvernement

anglo-bourguignon entre 1420 et 1430. Nous tenons à préciser que ces procédés sont aussi choses communes au royaume de Bourges et que Charles VII en use au moins autant que ses homologues anglais régnant sur le nord de la France.

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Moyen Âge, trouve ici une expression bien réelle.6 Rien n’est en effet décisif durant cette période. Les confiscations et les dons, comme toute faveur ou décision prise sous l’influence d’un parti, risquent à tout moment d’être annulés dès le retour au pouvoir de la faction adverse :

« En 1413, les Armagnacs avaient disposé des biens des Bourguignons, Puis en 1418, les Bourguignons, triomphants, avaient confisqué les biens des Armagnacs vaincus. Cette méthode avait été adoptée avec empressement par le gouvernement anglais qui avait mis au pillage les biens des Français restés fidèles à leur roi légitime. De son côté, Charles VII n’hésita pas à user de représailles. Dès 1419, il mit la main sur les biens de ses adversaires et les distribua à ses partisans. »7

La guerre civile donne donc lieu à un très grand nombre de confiscations de biens et à leur redistribution sous forme de dons, que ce soit à l’avantage des partisans d’un parti ou de l’autre. Toutefois, et étant donné que ce genre de méthode est le fruit de décisions susceptibles d’être arbitraires et prises rapidement, on peut douter de la légitimité ou de la légalité avec laquelle on les applique.

Par contre, durant les premières années de ce conflit civil du moins, il n’y a toujours qu’un seul gouvernement royal et celui-ci est en mesure d’établir un certain contrôle sur la confiscation et la redistribution de propriétés et de terres. D’ailleurs, dès 1411, la situation semble avoir pris suffisamment d’ampleur pour que Charles VI croie judicieux de s’approprier les terres et possessions confisquées sur les rebelles et desobeissans, et donc aussi celles déjà distribuées, « pour les convertir et emploier en noz diz affaires et a

6 GUENÉE, Bernard, Un meurtre, une société, L’assassinat du duc d’Orléans, 23 novembre 1407, Paris,

Gallimard, 1992, p. 77.

7 BOSSUAT, André, « Le règlement des confiscations sous le règne de Charles VII », in, Comptes rendus

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nous aider a supporter les fraiz mises et despenses que soustenir nous convient comme dit est. »8

L’état des choses change drastiquement en 1418 avec la prise de Paris par les partisans bourguignons et le retour au pouvoir, qui s’avère être définitif, du duc Jean sans Peur.9 Les partisans et les dirigeants du parti armagnac qui ne comptent pas parmi les victimes des massacres qui accompagnent la prise de Paris sont complètement écartés des fonctions qu’ils occupent et, à l’instar du dauphin Charles, fuient la capitale et les régions désormais sous domination bourguignonne pour aller s’installer au sud de la Loire. Ce retour au pouvoir des Bourguignons voit bien évidemment son lot de dons aux partisans et sympathisants du duc Jean sans Peur à partir de biens confisqués aux Armagnacs afin de les récompenser de leur participation dans la prise de Paris ou pour les remercier de leur fidélité. Plusieurs des propriétés se situant à Paris, lesquelles ont vu leurs propriétaires armagnacs fuir la ville sont donc redistribuées, tout comme le sont plusieurs terres, maisons, châteaux et seigneuries, dans les régions qui sont sous influence bourguignonne.10

Cette période, 1418-1420, coïncide avec la progression de la maladie de Charles VI, résultant en des périodes d’absence plus prolongées qui laissent le royaume sans roi pendant la majorité de ces deux années.11 La reine Isabeau s’étant précédemment alliée

8 AN, J.354/7 (Paris, 2 novembre 1411)

9 Ce retour au pouvoir de la faction bourguignonne est ici considéré comme définitif car les ducs de

Bourgogne qui demeurent à la tête du gouvernement jusqu’à la ratification du traité de Troyes et que la majorité des sympathisants qui sont favorisés entre 1418 et 1420 ne tombent pas en défaveur à la suite du traité, que ce soit sous Charles VI ou Henri VI.

10THOMPSON, Paris and its people …, p. 142.

11 GUENÉE, Bernard, La folie de Charles VI, Roi bien-aimé, Perrin, coll. Pour l’histoire, France, 2004, p.

260 : en soulignant le détachement fait par le Religieux de Saint-Denis de l’autorité royale et de la personne royale, l’auteur, pour les années 1412 à 1420, décompte 118 fois où, dans son texte, le Religieux utilise

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au duc de Bourgogne, celui-ci est donc pratiquement seul à la tête du royaume de France, de sa partie qui demeure fidèle à Charles VI du moins. Il est donc aisé pour Jean sans Peur et pour ses partisans, qui peuplent désormais les institutions administratives du royaume,12 de disposer des biens qu’ils confisquent sous le simple prétexte qu’un individu « se soit rendu et constitue nostre ennemy et adversaire en tenant le parti dampnable des rebelles et desobeissans envers nous ».13

Bien que l’on puisse apprécier l’ampleur des confiscations et des dons faits sous le régime bourguignon entre 1418 et 1420 par l’étude des nombreuses ordonnances s’y rattachant dans le Trésor des Chartes, celles-ci ne démontrent pas la totalité du phénomène :

« It is probable that the grants actually recorded at the Trésor des Chartes, formed only a modest proportion of the total volume of land distributed in the first years of the Burgundian regime, for by the time the receiver of Paris sent his clerk round in 1420-1421 to collect rents on properties in Paris he found a number of them occupied by people with more or less doubtful claims to ownership but influential enough to be respected. »14

Cet état des choses permet d’envisager deux possibilités susceptibles d’avoir mené à une telle situation. Il est tout d’abord possible de croire que certaines propriétés que l’on sait abandonnées et/ou confisquées soient redistribuées suite à des décisions arbitraires émanant non pas de la tête du gouvernement, de Jean sans Peur ou de ses proches conseillers, mais d’acteurs moins importants jouissant quand même d’une autorité et

l’appelation « auctoritate regia ou regis » (autorité royale ou autorité du roi) et non une mention explicite à Charles VI, pour désigner le pouvoir royal.

12 GUENÉE, Un meurtre, une société ..., p. 271 : « Le 22 juillet [1418], le duc de Bourgogne, « vray

champion, protecteur et défendeur » du royaume, nommait qui lui plaisait au Parlement, aux requêtes de l’Hôtel, à la Chambre des comptes. Le 2 août, il faisait de même à la chancellerie. »

13 AN, JJ.171/170 (Troyes, 18 mai 1420) 14 THOMPSON, Paris and its People ..., p. 115.

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d’une certaine influence et qui auraient agi ainsi pour leur profit personnel en s’attribuant à eux-mêmes, ou à leurs proches parents et connaissances, ces propriétés sans en signaler la transaction. Il est aussi possible de n’y voir que l’action de squatteurs avant la lettre qui, sachant eux aussi une propriété vacante, profitent de l’occasion pour l’occuper sans autre permission en espérant pouvoir en jouir comme de leur propre bien. Encore ici, Guy Llewelyn Thompson explique :

« On july 20 1420 a council meeting attended by Henry and Philip the Good sent letters to the prévôt of Paris. These noted that people were taking possessions of confiscated lands, wether or not they had received gifts from King Charles or Queen Isabelle. »15

Qu’il en soit conscient ou non, et bien qu’il n’ait été au pouvoir que deux ans à peine, le gouvernement bourguignon semble, à la veille du traité de Troyes, avoir perdu le contrôle de la gestion des propriétés confisquées sur les Armagnacs. Alors que Guy Llewelyn Thompson mentionne le désordre dans lequel le régime bourguignon lègue à Henri V la gestion des propriétés confisquées à Paris, rien n’empêche de croire que ce chaos administratif ne soit d’échelle nationale. Après tout, pourquoi et comment le régime bourguignon serait-il en mesure d’établir un contrôle plus serré sur les propriétés et les terres à l’extérieur de la capitale? Ce constat s’avère d’autant plus réaliste lorsque nous considérons que les châteaux, terres et seigneuries qui sont conquises ou confisquées, dont dépendent plusieurs places et villages et qui peuvent s’étendre sur plusieurs kilomètres carrés, sont tout autant susceptibles d’être donnés qu’un simple hôtel particulier parisien. De plus, si un habitant de Paris ose, comme le mentionne Thompson cité ci-haut, s’attribuer une maison sans l’avoir reçu en cadeau, il est on ne peut plus

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envisageable qu’un homme d’armes ou un capitaine bourguignon en fasse autant dans les autres villes et régions de France, à plus forte raison s’il a combattu pour s’emparer du bien ou de la propriété en question.