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Chapitre 5 : Poursuivre la conquête

E. Les campagnes anglaises

2. Le régent Bedford et les efforts militaires de la Double monarchie

Fortune en décide toutefois autrement et la dysentrie que contracte et dont

succombe Henri V le 31 août 1422 est aussi soudaine que lourde de conséquences. La mort du roi victorieux, bien qu’accablante pour ses hommes et son entourage et de mauvais augure pour la Double monarchie, ne ralentit pas à elle seule l’envie de poursuivre la conquête. Toutefois, lorsqu’on la combine aux difficultés financières qui frappent alors l’Angleterre,27 les capacités de mener à bien l’entreprise à laquelle Henri V a consacré les sept dernières années de sa vie s’en trouvent considérablement amenuisées. De plus, le fils et successeur d’Henri V, Henri VI, n’a que huit mois lorsqu’il monte sur le trône anglais et seulement onze mois lorsqu’il reçoit, en vertu du traité, le royaume de France en héritage suite à la mort de Charles VI le 21 octobre 1422. Pour honorer les derniers vœux d’Henri V, c’est son frère Jean de Bedford, qui occupe la régence de France durant la minorité d’Henri VI et qui doit, par conséquent et entre autres tâches primordiales, organiser et mener la reconquête du royaume de France. Malgré les difficultés financières et les faibles effectifs anglais continentaux auxquels il a accès,28 le régent Bedford prend en main l’effort militaire et, comme son frère avant lui, s’efforce d’être maître chez lui afin de se positionner en force face au royaume de Charles VII. À la fin 1423, les régions autour de Paris sont enfin et presqu’en totalité « nettoyées » de la

27 BOURASSIN, La France Anglaise ..., p. 49.

28 En 1430 par exemple, John Fastalf n’a que huit hommes d’armes et dix-sept archers anglais en garnison

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présence armagnaque.29 En 1424, Bedford lance une offensive ayant comme objectif la conquête et l’occupation du Maine et de l’Anjou,30 qui, aux lendemains de la bataille de Verneuil,31 s’avère être une réussite.

Jean de Bedford est donc en mesure de poursuivre l’entreprise de son frère et de continuer à conquérir les places qui demeurent fidèles à Charles VII. Toutefois, force est de reconnaître que, malgré tout, le royaume de Bourges ne se porte pas plus mal en 1424 qu’en 1420 suite à la ratification du traité de Troyes :

« Mais la victoire anglaise n’avait rien de décisif. Verneuil laissait à Charles VII son royaume de Bourges, négation permanente du traité de Troyes, donc de la présence anglaise à Rouen, à Caen ou à Paris. Le vrai résultat de la victoire c’était l’enlisement de la guerre. Celle-ci pouvait n’avoir que deux termes : l’entrée de Charles VII à Rouen ou celle d’Henri VI à Toulouse. »32

D’ailleurs, il n’y a pas de réelles offensives anglo-bouguignonnes entre 1424 et 1428. L’essentiel des efforts militaires anglais se limite au renforcement de l’autorité lancastrienne sur le nord de la France.33 Car, malgré les victoires sur les partisans du dauphin, ceux-ci demeurent présents au nord de la Loire. On le voit entre autres par des cas de résistance héroïque à la conquête anglaise comme le Mont-Saint-Michel qui, assiégé dès 1424, tient bon face à l’ennemi jusqu’à l’arrivée d’une armée française en 1444,34 mais aussi par les groupes de résistants armagnacs/hors-la-loi en pays occupé

29 La région de Chartres, le Perche, le Brie et le Valois. Ibid., p. 482.

30 Bibliothèque Nationale de France (désormais BNF), Français 14546, fo.1r (1424) : ordre de Bedford

d’envoyer des renforts à Falstaf pour le siège de Beaumont; AN, K.62/14 (Rouen, 18 octobre 1424); Gilles le Bouvier (Héraut Berry), Les chroniques du roi Charles VII, C. Klincksieck, Société de l’histoire de France, Paris, 1979, p. 122.

31 BNF, Français 14546, fo.2v (Paris, 12 octobre 1424). 32 FAVIER, La guerre de Cent Ans ..., p. 486.

33 Ibid.

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dont l’action, bien que moins officielle et moins documentée que les grands faits de guerre, n’en est pas pour autant insignifiante.35

Cette situation ne se limite pas au nord de la France et à la frontière nord-sud entre la France anglaise et le royaume de Bourges qu’est la Loire. La Guyenne anglaise, du moins ce qu’il en reste, est aussi la cible des efforts militaires de Charles VII et les garnisons anglaises y sont constamment sur le qui-vive. Bien qu’elles demeurent possession d’Henri VI durant toute la décennie qui nous intéresse, les régions qui lui sont limitrophes sont les théâtres de nombreux combats et plusieurs places fortes qui s’y trouvent changent de mains à plusieurs reprises entre 1420 et 1430. C’est notamment le cas du Périgord où les villes sont régulièrement prises et reprises par les partisans des deux partis.36

Ainsi, huit ans après la ratification du traité et malgré tous les efforts d’Henri V puis du duc de Bedford, la situation n’est pas bien différente qu’elle l’est auparavant. La résistance des partisans du roi de Bourges à l’intérieur même de la France anglaise que l’on croit être occupée et sécurisée constitue toujours un problème de taille pour les autorités anglaises qui se voient devant la nécessité de frapper l’ennemi d’un coup dont il ne pourra pas se relever :

35 Les documents d’archive consultés dans le cadre de nos recherces faisant état des efforts faits par le

gouvernement anglais pour éradiquer les problèmes de banditisme et la résistance armagnaque en sont les témoins privilégiés. Voir : AN, K.62.no29 (Paris, 11 septembre 1426) et AN, K.62.no38 (22 septembre

1427-24 mars 1428) qui sont des montres de garnisons ayant comme but précis la lutte contes les ennemis

et brigans en Normandie; AN.K.649.no19 (Paris, 14 août 1421) qui est un ordre de Charles VI pour le

recrutement de main d’œuvre afin de détruire des forteresses de la région parisienne « lesquelles tenues et comptees par pillars et robeurs qui pillent robent braeconnent incessament toux noz bons et loyaulx subgiez quilz penent prendre et aprehender en mettant les anemis deulxautres a mort ansi que bon leur semble [...] ».

175 « Les Anglais avaient à plusieurs reprises nettoyé le pays. À peine avait-on chassé les « Armagnacs » qu’on les revoyait. [...] Seule la réduction du royaume de Bourges pouvait conduire à la soumission des sujets d’Henri VI. Pour que nul ne se réclamât plus de Charles VII, il fallait qu’il n’y eût plus de Charles VII. »37

La soumission du royaume de Bourges passe par l’occupation d’Orléans, pont stratégique sur la Loire demeuré fidèle à Charles VII depuis la mort de son père. Bedford confie cette tâche cruciale à son lieutenant-général,38 Thomas de Montagu, comte de Salisbury.39 Cette première offensive d’envergure en plus de quatre ans est soigneusement préparée. Avant d’installer les lignes anglaises, Salisbury fait nettoyer les places les plus proches d’Orléans et s’empare du fort Les Tourelles, bloquant ainsi la voie entre Orléans et la zone sous contrôle français. Les positions anglaises sont bien défendues par la construction de plusieurs bastilles et Salisbury n’est pas laissé à lui-même : très tôt, lorsque l’ennemi menace les troupes du comte en octobre-novembre 1428, le duc de Bedford fait convoquer plusieurs nobles et tenants fiefs de Normandie pour répondre à cette menace depuis Blois.40

Malgré toutes les dépenses relatives à l’entreprise, la préparation méticuleuse et les précautions prises afin de faire d’Orléans une place anglaise, les habitants de la ville tiennent bon jusqu’à ce que Jeanne d’Arc vienne rompre le siège. Bien que cet échec ne marque pas la fin de la présence anglaise en France ni des efforts de Bedford pour faire

37 FAVIER, La guerre de Cent Ans ..., p. 487.

38 AN, K.63/6 (Chartres, 20 janvier 1429) : convention entre un chevalier et le duc de Bedford pour que le

premier se joigne au comte de Salisbury pour le siège d’Orlans.

39 Thomas de Montagu, comte de Salisbury (13 juin 1388-3 novembre 1428). Il est nommé lieutenant-

général d’Henri V en Normandie en 1419. Gouverneur de Champagne et de Brie, et il devient lieutenant- général de l’armée anglaise. En 1428, il est à la tête de la campagne anglaise visant la traversée de la Loire par la soumission d’Orléans. C’est lors du siège de cette ville, le 27 octobre 1428, qu’il est blessé par un boulet de canon et qu’il mourra quelques jours plus tard des suites de cette grave blessure.

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respecter la couronne d’Henri VI, il s’agit d’un point tournant majeur dans ce conflit. Après les victoires johannesques et le couronnement de Charles VII, le parti anglais décline. Les conquêtes et les combats que livrent les forces de Bedford, de moins en moins soutenues par les Bourguignons avec le rapprochement progressif de Philippe le Bon et de Charles VII, ont davantage comme objectif la préservation des acquis territoriaux du nord que la reconquête du royaume de Bourges. À l’opposé, les troupes de Charles VII poussent leurs actions de plus en plus au nord.41 En 1431, lorsque Bedford revient d’Angleterre avec des fonds et des troupes fraîches pour tenter de reprendre en main la situation, ses quelques victoires ne suffisent pas et c’est trop peu, trop tard pour maintenir la présence anglaise en France.42 Bien sûr Charles VII mettra plus de vingt ans pour reconquérir son royaume, mais ce seront vingt années de replis et de défaites pour la France anglaise et le traité de Troyes duquel elle dépendait.

F. Conclusion

Bien que l’instauration et le rétablissement de la paix et de la sécurité dans le royaume soient ici traités séparément des efforts faits pour la reconquête de la France française, il faut garder à l’esprit que toutes les tentatives et initiatives sont orchestrées simultanément. Les autorités anglo-bourguignonnes n’ont pas le loisir de laisser le temps à l’adversaire de réagir et d’organiser sa défense et doivent frapper autant les poches de résistance présentes en territoires anglais que vers la frontière du royaume de Bourges. Dès les lendemains du traité, Henri V, malgré l’envergure de l’entreprise, semble bel et bien pouvoir réaliser un tel exploit. La conjoncture se renverse toutefois très rapidement

41 ALLMAND, Christopher, « La Normandie devant l’opinion anglaise à la fin de la guerre de Cent Ans »,

in Bibliothèque de l’école des chartes, Volume 128, Numéro128-2, 1970, p. 345.

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et les faits et événements sont beaucoup moins favorables à Bedford lorsque la régence du royaume de France tombe entre ses mains beaucoup plus tôt que tous ne l’auraient cru ou espéré. Celui-ci, malgré ses compétences certaines,43 ne jouit pas de l’aura de conquérant et du respect qui entourait son frère ainé.

Car, outre bien sûr les difficultés et les nombreux obstacles qui se dressent sur sa route, Jean de Bedford est décidé à honorer et à appliquer le traité de Troyes et à faire de la Double monarchie une réalité afin que la France soit bel et bien gouvernée par un roi anglais.

43 Thomas Basin, même s’il est très fidèle à Charles VII, vante les louanges et les qualites du duc de

Bedford. « Bedford était brave, humain et juste ; il aimait beaucoup les seigneurs français qui lui obéissaient et il prenait soin de les honorer selon leurs mérites. Aussi, tant qu’il vécut, Normands et Français de cette partie du royaume eurent-ils pour lui grande affection. » BASIN, Histoire de Charles VII