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Chapitre 4 : Instaurer et maintenir la paix de Troyes

B. Faire respecter le traité et la paix par les sujets

1. Perturbateurs de paix et rebelles et desobeissans

Comme le traité de Troyes est, selon les écrits « officiels » de l’époque, le traictié

de la paix final faicte entre nosdis royaumes, on punit bien évidemment ces pertubateurs de paix,10 ceux qui contreviennent directement au rétablissement de la paix. C’est notamment le cas de Pierre Thoroude.11 Dans la rémission qui le rétablit, on apprend qu’il est condamné à la prison et au pilori pour avoir proféré des paroles hostiles au sujet de Philippe le Bon et donc contraires au rétablissement de la paix :

« et apres demanda audit maistre Oudart que venoit faire le duc de Bourgongne a Paris et s’il vouloit empeschier que le daulphin ne feust sacré »12

Une autre lettre de rémission de 1430, bien que tel n’en soit pas le sujet principal, nous apprend la raison de l’emprisonnement de Jean de Calais13 :

« pour ce seulement qu’il avoit parlé de la paix et dit autres paroles [forcément hostiles et/ou malveillantes] de noz amez et feaulx les gens de nostre grant conseil de France [...] ».14

Au Moyen Âge, la parole revêt un caractère quasi-sacré lorsqu’il s’agit de rétablir et de revenir à la paix. Ainsi, tout processus d’application d’un traité de paix ou d’une trêve nécessite un contrôle de la parole. « La paix passe par l’encadrement de la parole, car la parole mauvaise est source de désordre, d’inimitiés et de conflits. »15 Dans un contexte

10 OFFENSTADT, Faire la paix au Moyen Âge ..., p. 135.

11 Son occupation est la seule information sensible que founit sa rémission. Il est maçon, est marié et est le

père de « trois petiz enfans ».

12 AN, JJ.174/336 (Paris, octobre 1429)

13 Nous ne savons seulement de Jean de Calais qu’il devient, après la reddition de la ville à Charles VII en

1436, l’un des quatre échevins de Paris. LONGNON, Auguste, Paris pendant la Domination anglaise

(1420-1436). Documents extraits des registres de la Chancellerie de France, H. Champion, Paris, 1878, p.

303.

14 AN, JJ.174/353 (Paris, 5 avril 1430)

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tel que celui du traité de Troyes, une importance toute particulière est accordée à la parole et à son effet sur le rétablissement de la paix. Il y est d’ailleurs écrit :

« et converseront et marchanderont ensemble les uns avecques les autres franchement et seurement, en payant les coustumes et devoirs deuz et accoustumez. »16

En effet, les sujets des deux royaumes, confrontés aux défis que représente la cohabitation forcée liée à la forte présence anglaise sur le continent, doivent désormais vivre en harmonie les uns avec les autres et oublier les années durant lesquelles ils ont été ennemis.17 Cela vaut aussi pour les divisions engendrées par la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons et les tensions créées par celle-ci parmi le peuple.18

Bien qu’il soit probable que Pierre Thoroude ne manifeste pas d’autres signes d’hostilités envers les ducs de Bourgogne et leurs partisans antérieuremement à 1429,19 son arrestation et sa condamnation initiales démontrent bien l’importance que les autorités accordent aux paroles susceptibles de perturber la paix et la concorde que l’on tente de rétablir, et ce, même près de dix ans après la ratification du traité.

L’étude des ordonnances conservées dans le Trésor des Chartes révèle toutefois que bien peu des peines et des châtiments que l’on émet entre 1420 et 1430 le sont, à l’instar de celle attribuée à Pierre Thoroude, pour châtier des actes directement commis

16 Voir l’article vingt-cinq du traité, annexe I.

17 Sur l’oubli des injures de la guerre comme composante essentielle de la paix, voir OFFENSTADT, Faire

la paix au Moyen Âge ..., pp. 49-60.

18 Les divisions sont très fortes à même la population entre les partisans bourguignons et armagnacs. En

excluant les rencontres militaires, la révolte cabochienne de 1413 et l’entrée à Paris des Bourguignons en 1418 et leurs bilans de victimes sont révélateurs de l’ampleur de cette rivalité et des violences qu’elle peut engendrer. Voir BOVE, Le temps de la guerre ..., pp. 235-275 ; GUENÉE, Un meurtre, une société ..., 350 p.

19 Le cas de Jean de Calais est sensiblement différent. Sa rémission de 1430, citée plus haut, lui pardonant

sa participation au complot visant à livrer Paris aux troupes du dauphin ne fait que brièvement mentionner cet autre emprisonnement, antérieur d’environ huit années en mentionnant que la raison en est les paroles qu’il professe envers les conseillers d’Henri VI.

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contre le rétablissement de la paix. Nous avons par exemple vu, dans le chapitre précédent, que la confiscation de biens est un châtiment appliqué à de nombreux « rebelles et désobéissans » comme Jacquet Lailler :

« a commis envers nous crime de rebellion et desobeissance, et comme crimineulx a esté et est banniz à tous jours de nostredit royaume. »20

Une justification semblable est fournie lorsqu’un ancien secrétaire d’Isabeau de Bavière nommé Jean Picart voit aussi ses biens confisqués et redistribués :

« Et que ledit maistre Jehan Picart a de long temps esté et est encore avec cellui qui se dit dalphin, nostre ennemi et adversair,e et en son service et lui a donné et donne conseil, consort et aide. Et pour ceste cause et autres crimes de leze magesté qu’il a commi, est banny de nostre dit royaume de France [...] »21

Parmi les accusations portées dans les ordonnances de confiscations et de dons, l’acte qui redistribue les propriétés du vicomte de Narbonne ratisse large et le rend responsable de plusieurs crimes :

« forfaiture dudit viconte de Narbonne qui notoirement est complice, coulpable et consentant du crime commis en la personne de feu nostre tres chier et tres amé cousin le duc de Bourgongne, Dieu pardonne, et aussi de la rompture violence et infraction de la paix et union general de nostre royaume, et par ces moyens s’est rendu et constitué ennemy et adversaire de nous »22

Ainsi, les nombreuses confiscations des années 1420-1430, en plus des différentes fonctions qui leurs sont attribuées dans le chapitre précédent, servent aussi, selon

20 AN, JJ.172/41 (Saint-Faron, 25 février 1423) 21 AN, JJ.172/310 (Paris, 22 juin 1423)

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ce que nous pouvons y lire, à infliger un autre type de peine ou de punition à des individus, ici tous partisans du roi de Bourges, ayant commis des crimes de désobéissance ou de lèse-majesté contre les autorités issues du traité de Troyes.