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du vivant 1 REFORMULATION DES QUESTIONS DE RECHERCHE À LA LUEUR DES RÉSULTATS DE

1. Reformulation des questions de recherche à la lueur des résultats de l'enquête didactique

1.1. Bilan de l’enquête didactique, source de questions posées à la sphère historique

1.1.1. Des difficultés à classer les espèces d’Eucaryotes unicellulaires

L’étude des réponses concernant les deux espèces d’Eucaryotes unicellulaires du questionnaire (Euglena et Surirella) nous a montré qu’un certain nombre d’étudiants éprouve des difficultés à classer ces espèces (cf. p. 129). Nous avons en effet constaté un nombre plus élevé de réponses « Je ne sais pas si cette espèce est végétale » et un nombre plus faible d’arguments d’emboîtement (inclusion/exclusion) que pour les autres espèces d’Eucaryotes. Ces différences, statistiquement significatives, peuvent être interprétées comme le résultat d’une difficulté à classer ces organismes Eucaryotes au sein ou à l’extérieur du groupe des végétaux. Il faut toutefois en relativiser l’importance quantitative puisqu’elle ne concerne que 9 % des 295 étudiants « non indécis ».

Le constat de cette difficulté nous conduit à questionner les façons dont les organismes unicellulaires ont été pris en compte dans l’arbre du vivant et ses conséquences sur la nature du groupe des végétaux et sa propre délimitation. Comment ont été classées les espèces unicellulaires dans les différents systèmes classificatoires ? Quelles furent les raisons des changements taxonomiques les concernant ? Enfin sur un plan historique, ces espèces peuvent-elles constituer un « fil rouge » pertinent pour suivre les modifications taxonomiques majeures ?

1.1.2. Mobilisation de conceptions présentant des similitudes avec les classifications à deux et cinq règnes

Parmi les différentes conceptions recensées lors de l’enquête nationale, deux d’entre-elles présentent des similitudes avec les classifications à deux et cinq règnes.

Il s’agit de la conception par opposition, mobilisée par 10 étudiants (soit 3 %), que l’on a identifié par l’inclusion des champignons parmi les végétaux. Elle pourrait rappeler, en

1.1 Bilan de l’enquête didactique, source de questions posées à la sphère historique

première approche, la traditionnelle vision binaire du monde vivant distinguant les animaux des végétaux dans le système à deux règnes. Mais l’étude argumentative a révélé que la justification de ce regroupement est fondée principalement sur l’existence d’une paroi, c’est- à-dire sur des bases cellulaires plus récentes que la conception duale du vivant.

Il s’agit également de la conception fonctionnelle macrocentrée incluant les macroalgues et excluant les algues unicellulaires (CFMs et CFM1), mobilisée par 22 étudiants (soit 7 %). Elle évoque la conception des végétaux, développée historiquement par Whittaker (1969) dans son système à cinq règnes. Cet auteur a distingué le groupe Plantae (Eucaryotes pluricellulaires photosynthétiques) du groupe Fungi (Eucaryotes pluricellulaires absorbotrophes). Il consacra ainsi la séparation des champignons du règne végétal, constituant une révision taxonomique majeure.

Bien que minoritaires, la mobilisation de ces deux conceptions présentant certaines similitudes avec des étapes de l’évolution taxonomique nous amène à questionner les raisons historiques de ces changements. Quel problème conduisit les systématiciens à remettre en cause la classification à deux règnes ? Quel problème amena Whittaker à séparer les végétaux des champignons et comment expliquer la remise en cause de ce système à cinq règnes ?

1.1.3. Des difficultés à associer un type de classification (fonctionnel ou phylogénétique) avec son mode de raisonnement spécifique

Le cas de l’orobanche, une plante à fleurs non chlorophyllienne, permit d’identifier la difficulté d’associer un type de classification (fonctionnelle ou phylogénétique) et le mode de raisonnement qui lui est spécifique chez de nombreux étudiants. En effet, dans le cadre d’une classification phylogénétique, la perte d’un caractère peut avoir lieu au sein d’un groupe donné et n’entraîne pas la sortie du groupe correspondant. Il n’en est pas de même pour une classification fonctionnelle. Or, les étudiants répondent dans leur quasi-totalité (276, soit 93,5 %) qu’une orobanche est végétale alors même que 61 % d’entre eux mobilisent une conception fonctionnelle (s.l.) basée sur la photosynthèse. Confrontés à la dernière question explicitement phylogénétique, la grande majorité des étudiants (70,5 %) a connaissance de la non validité du groupe des végétaux dans la classification phylogénétique actuelle. La perte secondaire est invoquée pour justifier que l’orobanche est végétale par 28 étudiants fonctionnalistes ayant répondu que les végétaux ne sont pas monophylétiques (soit 24 % des 119 étudiants concernés fonctionnalistes ayant répondu que l’orobanche est végétale et que les végétaux ne sont pas monophylétiques). Cette justification par perte secondaire montre une dissonance entre les logiques spécifiques des deux types de classification. Face à cette

situation problématique, d’autres, plus nombreux encore, argumentent que l’orobanche est végétale car ses cellules possèdent des plastes (58 étudiants, soit 49 % des 119 étudiants concernés). Ils basculent alors d’une conception fonctionnaliste (s.l.) basée sur la photosynthèse vers une conception strictement cellulaire dans laquelle les végétaux sont des organismes possédant des cellules avec des plastes, qu’ils soient ou non photosynthétiques. Leur conception perd sa logique fonctionnelle sans pour autant avoir de fondement phylogénétique, étant donné leur réponse à la question 4. Ces résultats peuvent être interprétés comme le résultat d’une difficulté à associer un type de classification avec son mode de raisonnement qui lui est spécifique.

Le constat de cette difficulté quantitativement importante nous conduit à questionner sur un plan historique comment la systématique a modifié ses principes et méthodes, en abandonnant des critères fonctionnels (comme les modes de nutrition), critères qui favorisent le regroupement des organismes au sein de grades partageant une même « zone adaptative » (Tassy, 2003) ? Quelles sont les conséquences de ces changements méthodologiques sur la nature du groupe des végétaux ainsi définis par Whittaker selon des critères éclectiques ?

1.1.4. Des conceptions pouvant faire obstacle

L’étude didactique nous a permis d’inférer cinq modes de raisonnement pouvant exercer la fonction d’obstacle (cf. p. 97), en rappelant « qu’une idée ou représentation n’est pas en elle- même un obstacle, c’est la dynamique dans laquelle elle s’insère qui l’est » (Peterfalvi, 2008, p. 111). - La pensée catégorielle - Le macrocentrisme - La conception prototypique - La conception gradiste - La conception essentialiste

Gaston Bachelard et Georges Canguilhem, deux auteurs majeurs de l’épistémologie historique française, recherchent les obstacles épistémologiques dans l’histoire des sciences, sans pour autant s’y limiter, tentant de dégager des modes de fonctionnement de la pensée humaine.

« Bachelard (1938) ainsi que Canguilhem (1962, 1968, 1988) s’intéressent aux obstacles épistémologiques dans l’évolution historique des idées, mais ne s’y cantonnent pas. C’est souvent dans des termes plus généraux, relatifs au fonctionnement général de la pensée

1.2 Nouvelle formulation des questions de recherche

scientifique qu’ils proposent leurs formulations des obstacles, dans une démarche interprétative. » (Peterfalvi, 2008, p. 110)

Les obstacles pouvant avoir différentes origines, quels sont ceux de nature épistémologique parmi les cinq, ci-dessus énoncés, que nous avons identifié d’après l’étude didactique ? De quelle façon ces modes de raisonnement ont-ils pesé dans les classifications et la délimitation du groupe des végétaux ?

1.2. Nouvelle formulation des questions de recherche

Les questions de recherche travaillées dans ce chapitre sont présentées dans le tableau 20. La première des deux grandes questions de recherche est subdivisée en plusieurs questions qui ont émergé de notre étude didactique.

• QR1. Quels sont les changements taxonomiques successifs ayant conduit à la rectification du

groupe des végétaux du XIXe siècle à nos jours et, plus particulièrement, quelle est la nature des

problèmes auxquels les systématiciens se sont affrontés à l’occasion de la construction des systèmes classificatoires successifs ?

- QR1a. Comment furent classés les espèces unicellulaires dans les différents systèmes classificatoires et quelles sont les raisons des changements taxonomiques les concernant ? Cette question nous permet d’examiner le problème ayant conduit les systématiciens à remettre en cause la classification à deux règnes. Sur un plan historique, ces espèces peuvent-elles constituer un « fil rouge » pertinent pour suivre les modifications taxonomiques majeures affectant le groupe de végétaux ?

- QR1b. Quel problème amena Whittaker à séparer les végétaux des champignons ? Qu’est-ce qui fonde le système à cinq règnes ?

- QR1c. Comment la systématique a modifié ses principes et méthodes conduisant à abandonner le système à cinq règnes puis l’utilisation de grades ? Quelles sont les conséquences de ces changements méthodologiques sur la nature du groupe des végétaux dans l’arbre du vivant ? Le groupe Plantae existe aujourd’hui encore mais avec un contour différent, cette question devrait nous permettre de comprendre les raisons de ce changement.

• QR2. Quels sont les obstacles épistémologiques ayant pesé dans les classifications étudiées et la délimitation du groupe des végétaux ?

Tableau 20 : questions de recherche de l’étude historique

2. Les

changements

taxonomiques

successifs

et

leurs