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A. Endosymbiose primaire

2.3. Les végétaux, un concept issu d’une histoire scientifique et sociale

2.3.2. Les végétaux : histoire sociale et institutionnelle

L’étude des végétaux correspond à une discipline : la botanique. Étudier une discipline revient à poser le regard sur le fonctionnement d’une communauté scientifique. Francis Halbwachs propose une définition de la physique, en soulignant l’importance des institutions. Nous pensons transposable cette réflexion à cette autre discipline scientifique qu’est la botanique.

« Il reste que la physique a une existence sociologique relativement bien définie, qui fait que le mot figure dans un grand nombre de textes où il est bien "saisi" par les lecteurs. Il existe des institutions explicitement dévouées à la physique, par exemple des enseignements spécifiques dans les universités de tous les pays et des laboratoires de recherche qui leur sont associés. Il existe des manuels traitant des programmes réglementaires correspondant à ces enseignements, des revues spécialisées dans la publication des recherches de ces laboratoires, etc. Dans ce sens la physique est délimitée strictement (et sans qu'une justification théorique de cette délimitation soit nécessaire) par des règlements » (Halbwachs, 1974, p. 14).

19 « Robert Whittaker’s five-kingdom system was a standard feature of biology textbooks during the last two decades of the twentieth century. Even as its popularity began to wane at the end of the century, vestiges of Whittaker’s thinking continued to be found in most textbook accounts of biodiversity » (Hagen, 2012, p. 67)

L’histoire du concept « végétal » n’est pas suffisante à éclairer celle de l’objet et l’histoire de la communauté des scientifiques utilisant ce concept est tout aussi déterminante. L’étude de la discipline « botanique », de sa naissance et de son évolution, peuvent contribuer à mieux cerner l’objet d’étude : les végétaux. Nous présenterons tout d’abord la genèse de la botanique en tant que discipline autonome, puis nous montrerons que l’influence de la botanique se manifeste encore de nos jours, à travers le code de nomenclature des espèces, la structuration d’un champ de recherche identifié et des enseignements universitaires.

• La construction d’une discipline académique

Longtemps associée à l’herboristerie, la médecine et l’agriculture, l’étude des végétaux possédait une visée utilitaire. La botanique va constituer progressivement une discipline autonome. À titre d’exemple, nous pouvons indiquer le rôle important joué par le développement des jardins botaniques en Europe dès le XVIe siècle, tout comme les grandes expéditions naturalistes du XVIe au XIXe siècle. À Paris, c’est en 1635 que le Jardin royal des Plantes médicinales fut créé, devenant plus tard, en 1718, le Jardin royal des Plantes. Cet établissement comptait trois chaires de professeurs : botanique, anatomie et chimie (Laissus & Torlais, 1986). Après la Révolution, en 1793, c’est le Muséum national d'histoire naturelle qui lui succéda, élevant alors le nombre de chaires de trois à douze (Laissus, 1995, p. 20). Parmi ces chaires, deux étudieront les végétaux : « botanique dans la campagne » (Antoine-Laurent de Jussieu) et « botanique dans le muséum » (René Desfontaines), qui évolueront rapidement au XIXe siècle.

En Europe, le premier professeur de botanique remonte au XVIe siècle, en Italie, avec la nomination de Francesco Bonafede (1542) à la chaire des « simples » (Hill, 1915, p. 191). Au Collège royal, créé en 1530 et qui sera à la Révolution à l’origine du Collège de France, une chaire consacrée à la seule Histoire naturelle fut instituée en 1778 et attribuée à Louis Daubenton pendant vingt ans (de 1778 à 1799), puis à Georges Cuvier (1800-1832). Avant la création de cette chaire d’Histoire naturelle, une même chaire concernait à la fois : la médecine, la chirurgie, la pharmacie et la botanique, bel indice combien révélateur d’une non émancipation totale de la botanique (Laissus & Torlais, 1986, p. 279) ! Plusieurs savants cumulaient certaines chaires : signalons le cas de Joseph Pitton de Tournefort avec les chaires de médecine et botanique : professeur de médecine et botanique au collège royal de 1706 à 1708, professeur de botanique au Jardin du Roi, docteur en médecine à la faculté de Paris et membre de l’Académie royale des sciences (Ibid., p. 80). Cet exemple de cumul de chaires indique combien la botanique entretenait de liens conséquents avec la médecine. Un autre et

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similaire exemple, d’un siècle plus récent, est celui du grand naturaliste Augustin Pyrame de Candolle. Il fut nommé en 1810 professeur titulaire de la chaire de médecine à la jeune Faculté des sciences de Montpellier puis, en 1810, titulaire de la chaire de botanique (Granel, 1974, p. 831).

La faculté des sciences de Paris fut créée au début du XIXe siècle. Parmi les huit professeurs nommés en 1809, René Desfontaines, professeur au Muséum national d’histoire Naturelle, est nommé en charge de la « botanique et physique végétale », fonction qui évoluera en chaire de « Botanique, anatomie et physiologie végétale ». De nombreuses chaires verront le jour : Organographie végétale, Botanique, Physiologie végétale, Écologie végétale…

Derrière la dimension unificatrice de l’emploi du terme « botanique », se cache le développement de différents champs disciplinaires. L’anatomie végétale s’est développée à partir du XVIIe siècle, avec des microscopistes comme R. Hooke (1635-1703), un Anglais considéré comme l’inventeur du microscope ou l’Italien M. Malpighi (1623-1694). La physiologie végétale débute au XVIIe siècle avec des scientifiques comme J.-B. Van Helmont (1579-1644), puis se développe fortement au cours des XVIIIe et XIXe siècles (Lance, 2013; Sachs & Robin, 1892/2010). Citons parmi d’autres J. Ingenhousz (1730-1799), J. Priestley (1733-1804), J. Senebier (1742-1809), N. T. de Saussure (1767-1845), dont les travaux ont été particulièrement marquants .

De nombreux autres champs disciplinaires vont également se développer et étudier les végétaux en se distinguant, suivant les objets et les techniques utilisées, en cytologie végétale, écologie végétale (Hagen, 2010), biologie moléculaire végétale, etc.

En conclusion, plusieurs éléments permettent d’indiquer comment la botanique est

devenue progressivement un champ de recherche autonome, indépendant de la médecine et de la pharmacie pour, enfin, se subdiviser en différentes disciplines nouvelles. Cette caractérisation succincte de la genèse d’une communauté scientifique en botanique contribue à la compréhension de l’existence d’un concept de végétal dans sa dimension sociale.

Malgré la diversité des approches biologiques étudiant les végétaux aujourd’hui, nous entendons étudier des indices attestant de la persistance actuelle d’une dimension unitaire du champ. Pour cela, nous allons examiner la façon dont sont nommées les espèces à travers les codes de nomenclature, ainsi que la façon dont les laboratoires de recherche, les revues et les enseignements universitaires revendiquent leur rattachement au domaine végétal.

• Un code de nomenclature botanique

Sur le plan taxonomique, différents codes de nomenclature existent au niveau international. Ceux-ci consistent en un ensemble de règles permettant de déterminer quel nom donner à une espèce. Un code concerne la botanique depuis le début du XXe siècle et, plus récemment, un Code international pour la nomenclature des plantes cultivées. Valéry Malécot en relate les origines.

« Le congrès international de botanique de Paris (en 1900) puis celui de Vienne (en 1905) seront l'occasion de rédiger et d'approuver le 1er Code International de Nomenclature Botanique (= CINB) (…). Dans la suite du XXe siècle, d'autres phénomènes vont apparaitre dans le débat nomenclatural avec, par exemple, la scission des règles applicables aux plantes cultivées dans les années 50 avec la création du Code International de Nomenclature des Plantes Cultivées (CINPC). Dans les années 1970-1980, ce sera au tour des bactériologistes de prendre leurs distances par rapport aux plantes sauvages (en particulier pour les « algues bleues », officiellement le premier code de nomenclature des bactéries datant de 1947) » (Malécot, 2008, p. 404).

Le changement de statut des « algues bleues » (ou cyanobactéries) est fort éclairant puisque ce groupe relevant de la nomenclature botanique a finalement basculé dans la nomenclature des bactéries. Il est le reflet de la distinction apparue entre Eucaryotes et Procaryotes dans la première moitié du XXe siècle. Pour les animaux, il existe le « Code international de nomenclature zoologique », qui a été défini à l’occasion du quinzième congrès international de zoologie de Londres, en 1958. Notons que le « Code International de Nomenclature Botanique » fut modifié récemment lors du XVIIIe Congrès international de botanique (CIB) à Melbourne, en 2011. Il s’appelle actuellement « Code international de nomenclature pour les algues, les champignons et les plantes » (CIN).

En conclusion, il est intéressant de constater que malgré l’évolution des idées

relatives à la nature du groupe des végétaux dans la classification phylogénétique, un même code s’applique toujours aujourd’hui pour les champignons, les algues et les plantes terrestres qui étaient regroupés dans les végétaux, au sens originel du terme. Il y a donc pérennance du concept traditionnel de végétal dans le code de nomenclature en vigueur.

D’un point de vue académique, de quelle façon se décline le concept de végétal aujourd’hui en sciences de la vie ?

• Des laboratoires, des revues de recherches et des sociétés savantes

Au niveau académique, un champ disciplinaire est structuré à travers des laboratoires de recherche, des formations universitaires, des revues, des colloques et des sociétés savantes.

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Sur le plan des laboratoires académiques, une façon de les identifier est de rechercher les équipes CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Cette méthode n’est pas exhaustive car certaines équipes peuvent ne pas être liées au CNRS mais à d’autres établissements scientifiques, comme l’INRA (Institut national de recherche agronomique) par exemple. D’autres équipes peuvent aussi travailler sur les végétaux mais au sein d’un laboratoire plus vaste et donc ne pas apparaître dans cette liste. Cette méthode permet cependant de fournir une image de certains laboratoires se revendiquant comme travaillant sur les végétaux ou les plantes en 2016. L’utilisation des mots-clés « végétal » et « plante » dans le moteur de recherche du CNRS20 permet d’identifier les laboratoires listés dans le tableau 1.

Code unité Intitulé (sigle) Ville(s)

Mot clé : végétal

UPR5301 Centre de recherche sur les macromolécules végétales (CERMAV) Grenoble UMR5168 Laboratoire de Physiologie Cellulaire Végétale (LPCV) Grenoble UMR5546 Laboratoire de Recherche en Sciences Végétales (LRSV) Auzeville Tolosane

UMR7265 Biologie végétale et microbiologie environnementales (BVME) Saint Paul-les-Durance Marseille

FRE3727 Laboratoire de Biotechnologies Végétales Appliquées aux plantes aromatiques et médicinales (BVpam)

Saint-Etienne Mot clé : plante

UPR2357 Institut de biologie moléculaire des plantes (IBMP) Strasbourg UMR2594 Laboratoire des Interactions Plantes - Microorganismes (LIPM) Castanet-Tolosan UMR5004 Biochimie et Physiologie Moléculaire des Plantes (BPMP) Montpellier UMR5096 Laboratoire Génome et développement des plantes Perpignan UMR5120 Botanique et modélisation de l'architecture des plantes et des

végétations (AMAP)

Montpellier UMR5667 Reproduction et développement des plantes (RDP) Lyon

UMR9213 Institut des Sciences des Plantes de Paris Saclay (IPS2) Orsay, Gif-sur-Yvette, Évry

FRE3727 Laboratoire de Biotechnologies Végétales Appliquées aux plantes aromatiques et médicinales (BVpam)

Saint-Etienne

ERL6300 Mécanismes et gestion des interactions plantes-microorganismes Dijon

Tableau 1 : laboratoires affiliés au CNRS en 2016 et affichant le terme « végétal » et/ou « plantes » dans leur nom d’équipe

20 Moteur de recherche des laboratoires CNRS :

Une recherche plus approfondie concernant les questions travaillées par ces laboratoires ainsi que les organismes modèles utilisés permet d’examiner ce qu’ils appellent végétaux ou plantes. Suivant les cas, le terme « plante » est utilisé avec une acception très large, incluant les algues, ou réduite aux Embryophytes (plantes terrestres), ou encore aux seules plantes à fleurs (Angiospermes).

Certains laboratoires utilisent les deux termes. Ainsi sur sa page de présentation, l’Institut de biologie moléculaire des plantes se définit de la façon suivante : « L’IBMP est aujourd’hui le premier centre français du CNRS en Sciences du Végétal », c’est nous qui soulignons.

L’analyse de la description des recherches menées par ces équipes révèle que le terme « botanique » ne s’utilise plus. Il est remplacé par d’autres expressions dont celle de « sciences du végétal », peut-être en raison de l’image perçue comme « datée » du terme botanique et, sans doute, par l’évolution des recherches dans lesquelles les approches moléculaires sont importantes.

Concernant les revues de recherche en sciences du végétal, la liste est longue. Pour n’en citer que quelques-unes : Trends in Plant Science, Current Opinion in Plant Biology, Plant Cell, Plant Physiology, Journal of Plant Sciences et New Phytologist.

Les sociétés savantes se réclamant de la botanique ou des sciences du végétal sont également nombreuses au niveau international. Citons en France la Société Botanique de France (SBF), fondée en 1854, ainsi que la Société Française de Biologie Végétale (SFBV), créée en 1955. Aux États-Unis, l’American Society of Plant Biologists (ASPB) existe depuis 1924 et publie deux revues importantes dans le domaine : Plant Cell et Plant Physiology.

Il existe aussi des formations universitaires affichant le terme « végétal ». La Société Française de Biologie Végétale recense21 onze masters « verts » (dont deux portent le nom « sciences du végétal ») et dix écoles doctorales en France.

En conclusion, malgré la multiplicité de significations du groupe des végétaux et

l’évolution des idées en systématique, il apparaît que la discipline scientifique, que nous l’appelions botanique ou sciences du végétal de façon plus récente, existe bel et bien socialement et institutionnellement. L’existence des sciences du végétal pourrait constituer donc un puissant facteur d’inertie, alors même que la notion de végétal telle que révélée par la science moderne est de moins en moins claire car devenue polysémique.

Une source supplémentaire de complexité provient également des différents usages du concept de végétal selon les disciplines biologiques. Nous allons vous les présenter ci-après.

21 Formations de master et ED en sciences du végétal recensées par la Société Française de Biologie Végétale :

2.4. Le concept de végétal selon les disciplines biologiques et les problèmes travaillés

2.4. Le concept de végétal selon les disciplines biologiques et