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A. Endosymbiose primaire

4. Fécondité d’une approche historique au niveau didactique

Au cours des deux derniers siècles, le concept de végétal aura profondément évolué avec l’histoire des sciences, particulièrement en lien avec les changements importants de la systématique. À la suite de nombreux auteurs étudiant les relations entre didactique et histoire des sciences, nous pensons que l’histoire des sciences présente différentes potentialités didactiques que nous souhaitons examiner et mettre à profit dans notre thèse. L’association de recherches en histoire des sciences et en didactique présente différentes perspectives utiles à notre travail, mises en relief dans la synthèse récente proposée par Cécile de Hosson et Patricia Schneeberger (2011).

Nous entendons caractériser trois fonctions jouées par l’histoire des sciences pour un usage didactique : éclairer les difficultés des apprenants, procurer des matériaux historiques pour élaborer un parcours d’apprentissage et approcher la nature de la science d’un point de vue épistémologique.

4.1. L’histoire des sciences comme moyen d’éclairer les difficultés des apprenants

D’un point de vue épistémologique, l’étude historique permet de mieux comprendre les savoirs à enseigner dans leur profondeur. Elle peut constituer une référence utile pour « identifier les difficultés et les obstacles persistants associés à l’apprentissage de ces savoirs en contexte scolaire » (de Hosson & Schneeberger, 2011, p. 1).

Édith Saltiel et Laurence Viennot discutaient déjà, en 1984, de la question des similitudes entre des idées historiques et le raisonnement spontané d’élèves. Elles indiquaient que l’histoire des sciences permet de prendre la mesure de la résistance à long terme de certaines idées et de ne pas sous-estimer les difficultés posées par l’apprentissage de ces concepts par les élèves23.

L’approche comparatiste entre histoire des sciences et modes de raisonnement des apprenants doit veiller à ne pas céder à la tentation d’une vision récapitulationniste naïve « suivant laquelle l'esprit de l'enfant récapitulerait les étapes de l'histoire de la pensée scientifique » (Gohau, 1995, p. 23). Patricia Crépin-Obert explique que les didacticiens ont pris une distance avec cette conception récapitulationniste et elle exprime une position à laquelle nous souscrivons quant au projet comparatiste entre études didactique et historique.

23 « (...) at least the history of Science, through the long term resistances it manifests, gives us a better chance not to underestimate our students’ difficulties. It also indicates that certain concepts and notions should not be introduced too quickly » (Saltiel & Viennot, 1984, p. 214), c’est nous qui soulignons.

« Nombreux sont les didacticiens qui appellent, d’une façon consensuelle, à s’affranchir d’emblée d’un parallélisme ou « récapitulationnisme » naïf (Chevallard, 1985 ; Raichvarg, 1987 ; Gohau, 1995). Tout projet comparatiste est délicat, les cadres théoriques et les méthodologies étant spécifiques aux domaines disciplinaires. Cependant les interactions recherchées entre histoire et didactique des sciences représentent bien « un coup de force épistémologique » sur les enjeux génériques du savoir, d’où son intérêt majeur lorsqu’il prend ses distances avec l’ici et maintenant – ailleurs et autrefois – (Mercier et al., 2002). Rapprocher ce qui ne peut se comparer en construisant des relations non immédiatement données est un vrai défi. (…) Et il peut exister un « effet miroir » a priori remarquable entre les erreurs historiques et les erreurs scolaires (Astolfi & Peterfalvi, 1997, p. 200) ; ou encore un parallélisme partiel des constructions de problèmes entre la pensée historique et la pensée des élèves (Orange, 2003). La construction scolaire des problèmes dépend des conceptions des élèves. De même, la construction historique démontre l’emprise des obstacles épistémologiques tels l’expérience première, la connaissance générale, l’animisme (Bachelard, 1938/2004) ; ou encore l’idéologie évolutionniste assortie d’une pensée finaliste, anthropocentrée, liée au progrès universel (Canguilhem, 1988/2000) » (Crépin-Obert, 2011, p. 26), c’est nous qui soulignons.

Notre approche comparative des sphères historique et didactique devra donc veiller à identifier les contextes spécifiques dans lesquels s’actualisent des modes de raisonnement pouvant constituer des obstacles.

4.2. L’histoire des sciences comme source de problèmes féconds permettant d’élaborer un parcours d’apprentissage

Pour Georges Canguilhem, l’histoire des sciences doit s’intéresser à la façon dont les problèmes ont été posés.

« Pour ce faire, il faut s'intéresser, dans l'histoire d'une science, moins à ses résultats, célébrés comme des victoires, qu'à la façon dont les problèmes, même non résolus, ont été posés. Il faut considérer la science comme une entreprise laborieuse de lecture des phénomènes, dont les hypothèses sont la grille. La genèse des hypothèses doit donc être privilégiée par rapport au recensement des observations » (Canguilhem, 1979, p. 8).

Considérant qu’un enseignement scientifique doit permettre de situer les savoirs dans leur contexte d’origine et pas seulement dans leur contexte actuel, Michel Fabre établit alors un lien substantiel entre histoire des sciences et apprentissages.

« D'abord, les théories scientifiques ne sont intelligibles qu’en fonction des controverses qui leur ont donné naissance et de celles qu’elles ne manquent pas de susciter par la suite. Dès lors, enseigner les sciences de manière scientifique, c’est les situer historiquement dans un double contexte : leur contexte d’origine et leur contexte actuel, pour autant qu’il reste accessible aux élèves, c’est-à-dire en le dépouillant de ses aspects techniques. Ensuite, pour qu’une théorie soit

4.3. L’histoire des sciences comme approche de la nature de la science

comprise par les élèves, il faut leur permettre d’exprimer les objections qui leur viennent à l’esprit. La science est contre intuitive, elle s’oppose à nos préjugés, au sens commun » (Fabre, 2010, p. 161), c’est nous qui soulignons.

En conclusion, nous cherchons à identifier dans notre étude historique les problèmes

auxquels se sont confrontés les systématiciens en construisant leur classification de manière à comprendre la nature du groupe des végétaux dans leur système classificatoire. Cette analyse historique devrait permettre d’en extraire des problèmes féconds à soumettre aux étudiants dans le but de les aider à saisir toute la complexité et la profondeur du concept de végétal.

4.3. L’histoire des sciences comme approche de la nature de la science

Depuis de nombreuses années se trouve avancée l’idée que l’enseignement des sciences ne doit pas porter seulement sur l’apprentissage de connaissances scientifiques mais également sur la nature de la science (ou NoS pour Nature of Science). Des auteurs comme Norman Lederman (2007) et Gürol Irzik & Robert Nola (2014) expliquent en effet que la volonté d’élargir l’enseignement scientifique à la façon dont les savoirs scientifiques se construisent date de plus de cent ans. Le thème « nature de la science » (NoS) donne lieu à une volumineuse littérature en didactique des sciences au plan international depuis le début des années 1990. Lederman (2006) définit la nature de la science comme les fondements épistémologiques de l’activité scientifique et des savoirs scientifiques qui en résultent.

De nombreux auteurs se sont intéressés à l’effet de l’histoire des sciences sur l’image de la nature de la science d’élèves ou d’étudiants. L’ouvrage de revue (International handbook of research in history, philosophy and science teaching) piloté par Michael R. Matthews (2014) comprend plusieurs chapitres récents discutant des relations entre histoire des sciences et NoS. Dans leur synthèse, C. de Hosson et P. Schneeberger présentent trois types d’usage didactique de l’histoire des sciences pour travailler la NoS.

« Plusieurs études comparatives ont ainsi montré que la vision que les élèves ont de la science se trouve modifiée lorsque l’enseignement s’ouvre à l’histoire des sciences (Allchin et al., 1999 ; Irwin, 2000 ; Höttecke, Henke, & Riess, 2012). Il peut s’agir, selon les cas, de faire vivre aux élèves une controverse historique en analysant la nature des arguments en jeu, en présentant les acteurs, les liens entre ces acteurs, leurs outils d’échange (Albe, 2009 ; Maurines & Beaufils, 2010), de reproduire en classe des expériences historiques (Riess, 1995), de placer les élèves en situation d’explorer la diversité et l’adéquation des modèles avec les données empiriques (Laugier et Dumont, 2000) » (de Hosson & Schneeberger, 2011, p. 6).

Notre recherche s’apparente davantage avec le premier usage indiqué, même si nous ne souhaitons pas à proprement parler « faire vivre une controverse » mais plutôt faire conduire aux étudiants une analyse de controverses dans le but d’appréhender l’évolution des idées relatives au groupe des végétaux dans la systématique. Notre objectif n’est pas d’améliorer l’image de la nature de la science des étudiants par notre séquence innovante mais d’étudier, dans une visée compréhensive, ce que le travail historique produit au niveau de l’image de la nature de la science des étudiants. Cependant, bien que non évaluée ici, nous pouvons supposer que la réflexion que les étudiants conduiront sur l’évolution des idées relatives au concept de végétal est de nature à modifier la perception que les étudiants ont de la science.

En conclusion, au vu des travaux qui nous précédent, l’histoire des sciences présente des

potentialités didactiques qui nous semblent particulièrement pertinentes pour notre recherche, qu’il s’agisse d’une référence épistémologique permettant d’éclairer les raisonnements des étudiants, de dégager des problèmes féconds pour un usage didactique et de permettre de travailler l’image de la nature de la science. Cette discussion des relations entre ces deux champs de recherche, historique et didactique, nous conduit présentement à expliciter le cadre méthodologique qui structure nos travaux, la reconstruction didactique fondée sur l’histoire des sciences (de Hosson, 2011), et à expliquer les raisons de son adaptation.

5.1. Présentation du cadre méthodologique

5. Le cadre méthodologique de la reconstruction didactique