• Aucun résultat trouvé

Comme nous venons de le préciser, les végétaux, comme les animaux ou tout autre groupe biologique, désignent des concepts scientifiques. Ce sont des constructions humaines en dépôt dans la culture et qui n’ont de sens qu’au regard des problèmes auxquels ils répondent. Existe- t-il une unique acception du groupe des végétaux ou est-ce que les végétaux ont un contour variable selon les différents problèmes travaillés et/ou les différentes époques ? Examinons successivement la nature du groupe des végétaux selon les deux types de classification scientifique fonctionnelle et phylogénétique. Ensuite, nous dresserons un rapide panorama de l’évolution des idées concernant ce groupe.

2.1. Les végétaux dans les classifications fonctionnelles

Dès à présent, soulignons qu’en fonction des auteurs le terme de végétal est utilisé comme synonyme de plante16, désignant les végétaux « plantés », c’est-à-dire ancrés à leur substrat (algues fixées et plantes terrestres). D’autres encore limitent le terme aux seules plantes terrestres. En anglais, la différence n’existe pas, puisque le terme utilisé est « plants » pour désigner les végétaux. Nous n’utiliserons donc pas le terme de plantes pour éviter toute ambiguïté.

Dès l’Antiquité, les végétaux désignent les organismes immobiles et insensibles. Dans la classification linnéenne, ils forment l’un des trois règnes de la nature (Linné, 1735) : règne animal (regnum animale), règne végétal (regnum vegetabile) et règne minéral (regnum lapideum). Cette conception duale du vivant, opposant les végétaux aux animaux, continue d’alimenter largement le sens commun. Le développement des recherches biologiques, en particulier de la physiologie qui cherche à comprendre le fonctionnement des êtres vivants, a révélé que l’immobilité et l’insensibilité ne sont en fait qu’apparentes. En effet, les végétaux perçoivent les facteurs environnementaux, tels que la gravité, la photopériode, la température, le toucher, etc. Ils se déplacent par croissance et grâce à des structures spécialisées : e.g. spores, graines. D’autres végétaux sont unicellulaires et se déplacent grâce à des mouvements flagellaires. À l’inverse, des espèces animales sont fixées au stade adulte, comme les coraux ou les huîtres. Si la distinction fonctionnelle entre animaux et végétaux basée sur la vie de relation, qu’il s’agisse de la locomotion ou de la perception sensorielle, pose de nombreux problèmes, qu’en est-il d’une classification fondée sur la fonction de nutrition ? L’étude de la nutrition des êtres vivants permet de constituer un groupe réunissant les êtres vivants qui se

16 D’après CNRTL, plante : 1532 «exemplaire du règne végétal» (Grammaire de G. Du Wes, éd. F. Génin, Paris, 1852, p.1053 d'apr. Ch. Schmittds R. Ling. rom. t.43, p.29)

nourrissent par photosynthèse, qui sont capables de produire leur propre matière organique à partir de matière minérale et qui en convertissent l’énergie lumineuse. Cette définition fonctionnelle exclut les champignons des végétaux dont le champ d’étude, la mycologie, est pourtant étroitement liée à la botanique. Ce mode de nutrition autotrophe basée sur la photosynthèse leur confère un rôle essentiel dans les écosystèmes, celui de producteurs primaires à la base des réseaux trophiques. Il est pertinent de grouper les organismes photosynthétiques au sein des végétaux dans le cadre d’une classification fonctionnelle. C’est donc à des problèmes physiologique (de type nutritionnel) et écologique que vient répondre une telle classification.

Mais, en toute logique, utiliser une conception fonctionnelle des végétaux implique d’y inclure les cyanobactéries (également appelées « algues bleues ») qui réalisent le même type de photosynthèse oxygénique. Robert Harding Whittaker (1969, p. 151) ne s’y trompe pas quand il écrit : « the blue-green algae, which are functional plants ». Les cyanobactéries sont des acteurs majeurs de la production primaire par photosynthèse dans les milieux aquatiques. Par contre, les organismes holoparasites qui ont perdu la photosynthèse au cours de l’évolution ne sont plus des végétaux au sens fonctionnel. Marc-André Selosse (2008) explique que, sur un plan fonctionnel, certains organismes peuvent être à la fois animaux et végétaux17. Il souligne également l’importance de la mise en place de relations symbiotiques entre deux espèces dont l’une est photosynthétique. Des animaux comment les coraux hébergent dans leurs cellules des algues photosynthétiques, les zooxanthelles (Dinophytes), faisant de cette association symbiotique une entité mixte, à la fois autotrophe et hétérotrophe. Un exemple plus récent questionne la traditionnelle distinction entre animaux et végétaux. C’est le cas du gastéropode marin Elysia chlorotica (une « limace de mer ») qui acquiert les plastes de l’algue Vaucheria litorea (Straménopiles) en la consommant. Les plastes sont fonctionnels pendant plusieurs mois et la photosynthèse est permise grâce à l’expression d’un gène plastidial intégré dans le génome nucléaire de l’animal lors d’un transfert horizontal entre les partenaires (Rumpho et al., 2008). Cet animal n’est-il donc pas devenu végétal sur un plan fonctionnel ?

Si le concept fonctionnel de végétal peut désigner une stratégie trophique (2008), quelle est la nature du groupe des végétaux dans la classification phylogénétique actuelle ?

17 « Certaines algues, comme des dinophytes, capturent et digèrent des proies unicellulaires qui leur fournissent de l’azote, du phosphate et un peu de carbone, une hétérotrophie qui s’ajoute à leur photosynthèse. La plupart des eucaryotes étant microscopiques (l’essentiel de la diversité du vivant est invisible), la division du monde entre animaux et végétaux peut paraître pertinente à l’œil nu, mais s’effondre sous le microscope. L’évolution des eucaryotes est jalonnée de transitions entre l’état hétérotrophe et l’état photosynthétique » (Selosse, 2008, p. 232), c’est nous qui soulignons.

2.2. Les végétaux dans la classification phylogénétique actuelle

2.2. Les végétaux dans la classification phylogénétique actuelle Sur un plan phylogénétique, les végétaux définis fonctionnellement par le partage de la photosynthèse ne constituent pas un groupe de nature monophylétique, mais polyphylétique, à savoir plusieurs lignées non étroitement apparentées, ne partageant pas un ancêtre commun exclusif et ayant acquis la photosynthèse par des histoires évolutives indépendantes. L’arbre phylogénétique présenté en figure 2 montre que les groupes photosynthétiques (en vert) appartiennent à différentes branches de l’arbre du vivant.

Figure 2 : arbre phylogénétique du vivant, modifié à partir de Adl et al. (2012) et Burki (2014)

Les analyses phylogénétiques révéleront que la photosynthèse, réalisée par les plastes chez les Eucaryotes, est convergente et est apparue plusieurs fois au cours de l’évolution (Keeling,

Photosynthèse oxygénique Glauc oph yt es R hodoph yt es Embr yoph yt es For am in ifè re s Chlorarachnioph yt es Hapt oph yt es Kinet oplastidés Euglénides Archæplastida (Plantae) SAR Chlor oph yt es Excavata P1

* Perte secondaire du plaste

P1 Origine du plaste primaire à deux membranes

(à partir d’un ancêtre cyanobactérien)

P2

Origine du plaste secondaire à partir d’ancêtres variés : algue rouge ou algue verte

P2 P2 P2 Cr ypt oph yt es P2 Rhizaria Par ab as al id es Eucaryotes Eubacteria

incl. Cyanobacteria Archaea

?

Position de la racine des Eucaryotes discutée

? Fung i M etaz oair es Opistokonta Dic ty ost elia Amoebozoa Tubulinea P2 Straménopiles Phéoph yt es O om yc èt es Diat omées Ci lia tes Apic omplexa Dinoph yt es Alvéolates * * *

Rhodophytes : appelées communément « algues rouges » Chlorophytes : appelées communément « algues vertes » Embryophytes : appelées communément « plantes terrestres » Phéophytes : appelées communément « algues brunes »

2013; Palmer, Soltis, & Chase, 2004; 2008). Les plastes des Eucaryotes photosynthétiques sont des organites issus de plusieurs événements d’endosymbiose primaire ou secondaire (cf. figure 3).

Figure 3 : origine des plastes par endosymbiose primaire ou secondaire

Les végétaux (au sens fonctionnel) n’existent pas d’un point de vue phylogénétique. Mais nous pouvons convenir de nommer végétaux une seule lignée monophylétique de l’arbre du vivant. Il peut s’agir des Archaeplastida, nommés par certains auteurs « lignée verte » (Lecointre & Leguyader, 2006), ayant acquis un plaste à deux membranes par endosymbiose primaire. Il peut également s’agir d’un groupe plus restreint, tels que les Chlorobiontes également nommés Viridiplantae et formés des Chlorophytes et des Embryophytes, sur la base du partage de la chlorophylle a et b. Il est enfin possible de définir au plan phylogénétique les végétaux comme les seuls Embryophytes, qui possèdent un embryon se nourrissant à partir de l’organisme maternel, et qui désignent les plantes terrestres : mousses, fougères, conifères, plantes à fleur. Il semble donc nécessaire de s’entendre sur ce que l’on appelle « végétaux » comme l’explique G. Lecointre (2010)18.

18 « Le terme commun de « végétal » n’a jamais reçu d’assignation officielle sur un arbre phylogénétique18 [au

sens hennigien]. Il faut donc s’entendre sur ce qu’on appelle « les végétaux ». Si l’on entend par « végétal »

tout ce qui fait photosynthèse, alors les végétaux ne sont pas un groupe naturel [au sens de groupe

monophylétique]. En effet, de multiples endosymbioses passées entre des micro-organismes

N N

Cyanobactérie (avec ADN bactérien)