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Recueil et autonomie : des nouvelles en liberté

Les « nouvelles », comme le montre Lope de Vega (2002, p. 104), se différencient des « contes » parce qu’elles appartiennent au monde de l’écrit328. Leur présence au monde est

fortement marquée par leur ancrage dans la « galaxie Gutenberg ». Dans le recueil de 1613, plus spécifiquement, on sera attentif à l’absence de directives auctoriales à finalité herméneutique « autour » des récits. Point de cadre à l’horizon des lecteurs pour entamer ou clore les histoires. Seuls des espaces et des frises typographiques encadrent le remplissage textuel dans l’édition de Juan de la Cuesta.

LES NOUVELLES ENCERCLEES DU DON QUICHOTTE DE 1605

Pour trouver une cornice à certaines nouvelles, il nous faut revenir au roman de 1605. Dans la Première partie de Don Quichotte, le récit bref est inséré dans la continuité de la narration, plaçant apparemment le liseur dans la même situation que les auditeurs fictionnels. Pourtant, les deux lectures sont bien différentes : quand le lecteur va lire le Curioso impertinente, il a lu d’autres aventures, alors que les auditeurs diégétiques trouvent, par leur écoute, une activité de rupture. En somme, le lecteur est englué au sein d’une narration extradiégétique collante329 ; l’histoire

d’Anselmo est fictionnellement liée à celle de Dorotea et Cardenio ainsi qu’à celle de don Quichotte et Sancho. Les lecteurs de l’époque ont certainement été sensibles à cette contrainte diégétique qui fait entrer de force la nouvelle dans un continuum lectoral et dans une relation de dépendance autoritaire :

Una de las tachas que ponen a tal historia –dijo el bachiller– es que su autor puso en ella una novela intitulada El curioso impertinente, no por mala ni mal razonada, sino por no ser de aquel lugar, ni tiene que ver con la historia de su merced del señor don Quijote. - Yo apostaré –replicó Sancho– que ha mezclado el hideperro berzas con capachos (DQ

II, 3, p. 652).

De fait, les chapitres 32 à 35 du Don Quichotte de 1605 manifestent une profonde contradiction entre l’imprimé fictionnel (la nouvelle est « obra de ocho pliegos escritos de mano », DQ I, 32, p. 374) et l’imprimé –réel– du roman qui introduit typographiquement la

328 Voir également CHEVALIER (1989), p. 164 : « La novela corta se escribe para lectura, y para lectura

individual. En una palabra, la novela corta pertenece a la edad del libro. »

329 Avec lucidité, Cervantès revient sur ce problème lorsqu’il écrit l’histoire de Sancho sur son ínsula : « en

esta segunda parte no quiso ingerir novelas sueltas ni pegadizas, sino algunos episodios que lo pareciesen » (DQ II, 44, p. 980).

nouvelle. Dans la diégèse, la nouvelle est un texte totalement indépendant. L’histoire s’impose par sa parfaite autonomie romanesque et le récit se veut autosuffisant, nécessitant seulement son support papier.

Pour le lecteur réel, il y a là une flagrante contradiction, puisque lui se voit offrir un récit parfaitement encadré. Il est donc menotté par les préalables diégétiques, et scandaleusement interrompu par l’irruption, avant la fin de l’histoire, d’une aventure périphérique (celle d’un don Quichotte somnambule). En intercalant la nouvelle, Cervantès va à l’encontre du fonctionnement libre de la nouvelle et restreint, d’une certaine manière, sa lecture à la progression narrative qu’impose la narration principale, étant donné que le récit-cadre marque, de fait, un droit de préséance sur la nouvelle satellite330.

Dans un tel contexte, la mise en recueil particulière des Nouvelles exemplaires offre une réponse à la frustration des lecteurs331. Le prologue ne souligne pas sans raison l’absence de cornice : les nouvelles cervantines, à la différence de leurs aïeules boccaciennes332, « no tienen pies,

ni cabeza, ni entrañas, ni cosa que les parezca » (NE, p. 18).

LIRE APRES L’EFFORT : LE TEMPS D’INTEGRATION DE LA NOUVELLE

L’effacement du cadre redonne au récit bref sa liberté première, il fournit au lecteur l’occasion de manier librement les histoires dans sa propre histoire personnelle.

Les nouvelles ne s’adressent pas, comme les romans de chevalerie ou les nouvelles de J. Boccace, à ce lecteur désœuvré mis en évidence par le prologue du premier Don Quichotte333 ou par le personnage d’Alonso Quijano (« los ratos que [el hidalgo] estaba ocioso […] eran los más del año », DQ I, 1, p. 37). L’« amantísimo lector » des Nouvelles exemplaires peut faire songer à ce

330 « También pensó [Cide Hamete Benengeli…] que muchos, llevados de la atención que piden las

hazañas de don Quijote, no la darían a las novelas » (DQ II, 44, p. 980).

331 Fr. Márquez Villanueva vient d’ailleurs d’exprimer, très récemment, la même idée : « De un modo

opuesto al Quijote, escrito en realidad para el efecto acumulativo de una frecuentación episódica (aventura por aventura) a lo largo de un dilatado lapso de tiempo, cada una de las Novelas ejemplares pide el intenso compromiso de la lectura de una sentada. Aguarda tras la misma el deslumbramiento de una experiencia única, pero que muy pronto invita a una segunda pasada bajo el estímulo, gozosamente polémico, de una puesta en tela de juicio de todo lo leído » (2005, p. 95).

332 La « crisi della cornice » est en fait un trait caractéristique des auteurs du Quattrocento -voir notamment

l’emblématique panaretto d’insalatella de Gentile Sermini (BRIOSCHI, GIROLAMO, 1993, p. 647)-, mais surtout les désormais célèbres en Europe Nouvelles tragiques de Matteo Bandello.

333 « Indirectamente, Cervantes documenta, claro está, la afición por los libros de aventuras en un

individuo perteneciente a la clase media ociosa en la España de comienzos del siglo XVII » (JAURALDE POU, 1983, p. 23).

- « Desocupado lector » (DQ I, p. 9);

- « así como se consiente en las repúblicas bienconcertadas que haya juegos de ajedrez, de pelota y de trucos, para entretener a algunos que ni tienen, ni deben, ni pueden trabjar, así se consiente imprimir y que haya tales libros » (DQ I, 32, p. 373-374).

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« travailleur » interpellé par Joan Timoneda dans son Patrañuelo . Désormais, ce n’est pas le livre et son extension qui commandent la lecture, dans une vie d’oisif, mais la vie laborieuse et ses rares répits qui rendent nécessaire la lecture de la nouvelle. Cervantès, comme beaucoup (Caro, 1978, p. 146), souscrivait à la critique de l’oisiveté335. À quoi donc pourrait servir un cadre qui, à

l’instar de la brigata boccacienne, mimait le délassement permanent, si ce n’est à faire sortir l’homme du raisonnable ? L’auteur de Don Quichotte ne pouvait que s’interroger.

Il est certain, en revanche, que la brevitas, en tant que « modèle formalisant », requiert cohésion et, donc, une « structure qui se manifeste généralement en ceci que l’aboutissement de l’action constitue une pointe » (Zumthor, 1983b, p. 3, 8). Il découle de cette « morphologie » plus ou moins naturelle que la fin est l’instant clé de la narration. Dans un « roman », le lecteur ne sait pas forcément à l’avance à quel moment il devra abandonner sa lecture pour retrouver une activité normale. Le fonctionnement de la nouvelle est inverse à celui des récits de chevalerie qui engloutissait le temps des lecteurs dans des nuits interminables (voir supra). Le temps d’intégration (ibid., 1987) de la nouvelle est celui de la vie quotidienne, faite de travail mais aussi d’autres loisirs, notamment physiques336. D’une part, sa brièveté (son temps intégré de courte durée) l’oblige à ne

recevoir comme véritable « cadre » que la vie réelle des lecteurs ; d’autre part, cette vie non fictionnelle constitue l’horizon obligé de la lecture, du fait de la courte durée de la narration et donc de la relative proximité de son dénouement337.

Par voie de conséquence, la forme lâche du recueil cervantin, qui sépare les nouvelles les unes des autres, sert les visées de l’eutrapélie, c’est-à-dire celles du divertissement idéal, caractérisé par sa dimension ponctuelle, momentanée338. En effet, pour Aristote, autant que pour Thomas

d’Aquin, le jeu délassant trouve sa finalité dans un futur qui le justifie (Wardrooper, 1982, p. 154- 156). Pour le premier, notamment, la détente sert l’activité qui la suit, elle prépare le retour au sérieux :

Il serait en effet étrange que la fin de l’homme fût le jeu, et qu’on dût se donner du tracas et du mal pendant toute sa vie afin de pouvoir s’amuser ! Car pour le dire en un mot, tout ce que nous choisissons est choisi en vue d’autre chose, à l’exception du bonheur, qui est une fin en soi. Mais se dépenser avec tant d’ardeur et de peine en vue de s’amuser ensuite est, de toute évidence, quelque chose d’insensé et de puéril à l’excès ; au contraire, s’amuser en vue d’exercer une activité sérieuse […], voilà, semble- t-il la règle à suivre. Le jeu est, en effet, une sorte de délassement, du fait que nous

334 « Epístola al amantísimo lector […]. Tú, trabajador, pues no velas, yo te desvelaré con algunos graciosos y

asesados cuentos » (TIMONEDA, 1986, p. 97).

335 Le lien entre l’oisiveté et la littérature fallacieuse apparaît dans la bouche de Berganza, démystifiant les

romans pastoraux : « vine a entender lo que pienso que deben de creer todos: que todos aquellos libros son cosas soñadas y bien escritas para entretenimiento de los ociosos, y no verdad alguna » (CP, p. 555).

336 P. Zumthor (1987, p. 283-284) distingue avec raison le temps d’intégration (moment où il se produit) du

temps intégré de la fiction (durée).

337 OSWALD (1996, p. 35) définit la nouvelle comme la « chronique patiente et attentive d’une crise

annoncée ».

338 Sur l’importance des moments de loisir : HALE (1998), p. 505, qui rappelle l’importance du De officiis

sommes incapables de travailler d’une façon ininterrompue et que nous avons besoin de relâche. Le délassement n’est donc pas une fin, car elle n’a lieu qu’en vue de l’activité. Et la vie heureuse semble être celle qui est conforme à la vertu ; or une vie vertueuse ne va pas sans un effort sérieux et ne consiste pas dans un simple jeu (Aristote, 1990, p. 507).

Mais il ne faudrait pas croire que Cervantès situe sa réflexion sur la lecture autour de la dichotomie du travail et des loisirs. Sa préoccupation tend plutôt à opposer l’immobilité lectorale à l’activité physique ; elle adopte en outre une perspective philosophique. L’allusion aux moments de délassement (« Horas hay de recreación, donde el afligido espíritu descanse », NE, p. 18) rappelle l’importance qu’a eu Aristote dans la formation de l’humanisme et des théories du savoir-vivre339. Depuis les débuts de la Renaissance, la question du jeu inclut une portée

physiologique, mais aussi civique. De même que la musique, le jeu prend sa place dans le cadre de la réflexion sur un idéal d’humanité, redevable, depuis le philosophe grec aux notions de mesure. La conduite vertueuse, nous dit Alain Pons, consiste alors « dans une certaine "médiété" entre deux excès [… et nos] auteurs, en particulier Della Casa et Guasso […,] ont fait leur miel de ce qu’Aristote dit […] sur le bon goût dans l’activité de jeu »340.

Dans ce cadre, l’absence de cornice prend place dans une idéologie humaniste : les indications prologales deviennent un art du « savoir-lire » et la lecture du récit bref un mode pertinent de « vertu ».

Et l’on en vient à se demander si les derniers mots du Coloquio de los perros n’ont pas la même valeur éducative que le prologue. Cervantès achève la nouvelle comme nombre de romans, sur l’expectative d’une suite à venir. On pourrait croire qu’il s’agit là d’une incitation à une lecture sans fin. Pour autant, dans ce cas précis, notre auteur ne reprend qu’indirectement le topos des récits anciens dont La Galatée est un exemple parfait ; la situation lectorale –diégétique et réelle– est ici plus complexe. Pour le lecteur réel, de toute évidence, cette nouvelle existe par sa clôture : la fin même du recueil –et du papier– n’est là que pour mieux souligner le caractère indépassable du récit. Pour Peralta, dont la condition de lecteur nous est décrite minutieusement, l’histoire de Cipión peut bien attendre ; le temps est à la rupture et au délassement, physique cette fois-ci : « Señor Alférez, no volvamos más a esa disputa […]. Vámonos al Espolón a recrear los ojos del

cuerpo, pues ya he recreado los del entendimiento » (CP, p. 623).

Cette précision sur le devenir du lecteur Peralta oppose le personnage à don Quichotte, pour qui les frontières entre le jour et la nuit étaient substituées par celles qui rythmaient les différents romans de chevalerie. Peralta est un « lecteur modèle » ; il ne se contente pas d’un délassement livresque, il le complète par un délassement physique, la promenade, comparable au

339 PONS (1993), p. 174 : les « analyses historico-sociologiques [N. Elias] ou littéraires n’accordent pas

assez d’importance aux sources classiques, grecques et latines, dans lesquelles toutes ces œuvres ont puisé. »

sommeil que Dorotea souhaitait trouver après avoir écouté El curioso impertinente341. Le jeu

fictionnel n’est que la porte d’entrée du repos réel du corps et, donc, de l’esprit (ce dernier étant considéré également dans sa dimension physiologique et humorale). Depuis la fin du Moyen Âge, il peut difficilement en être autrement342. Comme en témoignent les textes rabelaisiens, l’exercice

physique et le contact direct avec la réalité du monde sont le pendant indispensable de l’étude des humanités ; ils constituent même une nécessité au maintien d’une vie saine (Garin, 1968, p. 71- 77).

LE RECUEIL EN LIBERTE (LE PETIT FORMAT DU SUPPORT NOUVELLIER)

Au-delà des limites temporelles que Cervantès accorde au récit de fiction, la démarche auctoriale, visant à éviter aux Ejemplares tout encadrement narratif, ressemble malgré tout à s’y méprendre à celle d’un Alonso Quijano : ce fou de lecture a construit sa bibliothèque en toute liberté, laissant libre cours à sa subjectivité. En ce sens, le recueil composé par don Miguel réalise concrètement ce qu’il avait annoncé de façon romanesque : il se donne telle une bibliothèque de récits. Notre auteur redonne ainsi au monde réel, au cadre de lecture, sa pleine fonction médiatrice, sans l’assujettir à un double déjà jugé trompeur par nombre de novellieri italiens. Le vrai cadre, celui de la réalité, sera par conséquent choisi par le maître du livre.

En matière de lecture, s’offrent à lui de vastes possibilités, comme nous le montre le choix des lieux de lecture effectué par Nicolas Machiavel. Voici son emploi du temps de lecteur tel qu’il l’exprime dans une lettre à un certain Venturi :

En quittant mon bois, je m’en vais à une fontaine et de là à ma volière. J’emporte un livre sous le bras, tantôt Dante ou Pétrarque, tantôt l’un de ces poètes mineurs comme Tibulle, Ovide et d’autres : je me plonge dans la lecture de leurs amours et leurs amours me rappellent les miennes ; pensées dont je me récrée un bon moment […]. Le soir tombe, je retourne au logis, je pénètre dans mon cabinet, et dès le seuil, je me dépouille de la défroque de tous les jours, couverte de fange et de boue pour revêtir des habits de cour royale et pontificale ; ainsi honorablement accoutré j’entre dans les cours antiques des hommes de l’Antiquité. 343

Machiavel écrit qu’il lisait deux sortes de livres, comme le remarque Antony Grafton :

Ce qu’il dit à propos des premiers ne laisse aucun doute sur leur caractère physique et textuel. C’étaient les petites éditions in-octavo des classiques en latin ou en italien, qu’Alde Manuce avait commencé à publier l’année précédente […]. Il est clair que Machiavel les utilisait de la manière la plus simple, comme nous le faisons aujourd’hui pour des livres moins classiques mais au format tout aussi commode, l’été : un moyen transportable de se vider la tête de toutes sortes de problèmes. Ces lectures stimulaient non pas sa pensée mais sa rêverie, elles étaient un passe-temps où se perdre.

341 Nous renvoyons à la réflexion de Dorotea (DQ I, 32, p. 375).

342 Sur l’écoute de la fiction lors d’un temps circonscrit pendant le Moyen Âge : ZUMTHOR (1987), p.

174-175. Sur le caractère « populaire » de cette conception : MOLHO (1976), p. 19-20.

343 Cité dans GRAFTON (2001), p. 221-222. Voir également l’exemple fictionnel de Birtelo dans La selva

[… Les ouvrages de l’autre catégorie, il] est clair que Machiavel ne les lisait pas dans les éditions portables de Manuce mais dans les gros in-folio et in-quarto qui remplissaient les rayonnages du cabinet de travail d’un lettré de la Renaissance.344

Le format a donc toute son importance dans le moment et l’expérience de lecture. Comme dans le cas de Machiavel, chez Cervantès, deux formats au moins sont à distinguer : celui des

Ejemplares, généralement éditées en in-8° ou en in-12°345, s’opposent radicalement aux « corps » imposants des in-folio chevaleresques. Rassemblées sous un même habillage, les différentes histoires du recueil exemplaire peuvent être lues en des lieux différents ; tout un chacun peut aisément transporter ce type de volume dans la faltriquera346.

Par ailleurs, le faible encombrement du volume des Novelas ejemplares le rend propre à accompagner les voyageurs dans leurs pérégrinations (leur pèlerinage également ?). Les étapes d’un périple peuvent être ponctuées, le soir à l’auberge, par la lecture d’une nouvelle dans son intégralité.

Trois moments sont probablement propices à la plongée fictionnelle : l’attente du souper, la digestion après le repas et, enfin, l’attente du coucher. Ces trois possibilités sont évoquées dans la prose médiévale et finissent par trouver une représentation dans Don Quichotte.

Alphonse X insistait ainsi pour que les chevaliers profitent du temps libre qui précédait le repas pour poursuivre leur éducation militaire :

[los antiguos] ordenaron que así como en tienpo de guerra [los cavalleros] aprendiesen fecho d’armas por vista e por prueva, que otrosí en tiempo de paz lo aprendiesen por oída e por entendimiento: e por eso acostunbravan los cavalleros cuando comíen que les leyesen las estorias de los grandes fechos de armas que los otros fezieran, e los sesos e los esfuerços que ovieron para saber vençer e acavar lo que queríen (Alfonso X,

Partida II. XXI, 188). 347

De même, on trouvera dans la Seconde partie de Don Quichotte deux personnages arrêtés dans une auberge près de Saragosse et exprimant le souhait de patienter jusqu’au repas grâce à la lecture d’un chapitre du Quichotte d’Avellaneda :

Llegóse, pues, la hora del cenar, recogióse a su estancia don Quijote, trujo el huésped la olla, así como estaba, y sentóse a cenar muy de propósito. Parece ser que en otro aposento que junto al de don Quijote estaba, que no le dividía más que un sutil tabique, oyó decir don Quijote:

- Por vida de vuestra merced, señor don Jerónimo, que en tanto que trae la cena leamos otro capítulo de la segunda parte de Don Quijote de la Mancha (DQ II, 59, p. 1110).

La période de digestion qui suit le repas est, elle aussi, souvent mise à profit pour la tranquillité qu’elle impose. En Espagne, comme nous avons eu l’occasion de le souligner, la

344 Ibid., p. 222-223.

345 « La majorité des recueils de nouvelles sont de petits volumes » (CAYUELA, 1996, p. 69).

346 On trouve un exemple de cette possibilité chez Malón de Chaide (Libro de la conversión de Magadalena) :

« ¿Qué ha de hacer la donzellita que apenas sabe andar y ya trae una Diana en la faldriquera », cité dans RUIZ GARCIA (1999), p. 301.

pratique fictionnelle ne doit pas différer radicalement de la lecture à haute voix exécutée par le curé (lettrés, personnes alphabétisées) devant un public parfois analphabète (moissonneurs) ou du contage évoqué, en France, par Noël Du Fail :

Volontiers après souper, le ventre tendu comme un tabourin, soul comme Pataut, jazoit le dos tourné au feu, teillant bien mignonnement du chanvre, ou raccoutrant, à la mode qui couroit, ses bottes […], chantant bien melodieusement, comme honnestement le savoit faire, quelque chanson nouvelle ; Jouanne sa femme de l’autre costé filoit, luy respondant de mesmes. Le reste de la famille ouvrant chacun en son office, les uns adoubans les courroies de leurs fleaux, les autres faisants dents à Rateaux, bruslans hars pour lier (possible) l’aixeul de la charrette rompu par trop grand faix et faisoient une verge de fouet de mesplier (ou meslier). Et ainsi occupés à diverses besongnes, le bon Robin (après avoir imposé silence) commençoit un beau conte du temps que les bestes parloient (1994, p. 72).

Rappelons enfin que la fiction romanesque est sans doute, au Siècle d’or comme