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P OLE II : L ECTEURS ET L ECTURES

Le relativisme maîtrisé (II) : l’anticipation des destinataires

2. P OLE II : L ECTEURS ET L ECTURES

-A-

Lecteurs

hay diferentes opiniones, como hay diferentes gustos

Cervantès, DQ II

Eres tan vario que por poco no te llamo camaleón

Marcos García, La flema de Pedro Hernández259

Après avoir cerné les lecteurs envisagés du point de vue auctorial (pôle I), il est à présent nécessaire de s’attarder sur l’autre versant du fait littéraire : celui de l’appropriation du texte (pôle II), c’est-à-dire non plus sur les lecteurs visés mais sur les lecteurs et les lectures du concret de la réception.

Nous ne rentrerons pas ici dans les subtilités de la lecture orale communautaire ou solitaire et silencieuse, qui occuperont des développements ultérieurs. La question qui se pose ici est de connaître quelles personnes lisent des récits brefs et surtout de savoir ce que ces individus lisent parallèlement. Cette dernière interrogation est importante, car l’étude de la nouvelle pourrait laisser entendre qu’il existe un lectorat spécifique pour le récit bref, distinct du public des textes en prose plus volumineux, or il n’en est rien.

L’HETEROGENEITE DES LECTEURS DE RECITS BREFS

Lorsque l’on s’intéresse au pôle lectoral, l’élément le plus flagrant concerne la multiplicité des lecteurs de nouvelles, leur grande hétérogénéité.

Les témoignages qui apparaissent notamment dans l’édition de 1605 de Don Quichotte intéressent notre point de vue car ils manifestent, sinon une réalité260, du moins une volonté

259 Cité par BOUZA (1999), p. 94.

260 Sur ce débat, nous renvoyons à Margit Frenk qui, répondant à Maxime Chevalier (1976, p. 95-96) et à

Daniel Eisenberg (1982, p. 110), ne croit pas que le gros des lecteurs des romans de chevalerie appartînt essentiellement à la noblesse (1997, p. 25). Fernando Bouza a récemment apporté de nouveaux éléments qui corroborent les affirmations de M. Frenk : « La novedad consistía no sólo en que surgieran multitud de potenciales lectores, lo que tenía que ver con la capacidad difusora de la tipografía, sino también en que los lectores que se inclinasen por esta o aquella obras podrían no tener nada que ver entre sí, confundiéndose en condición, género o edad, frente a épocas anteriores en las que existiría una mayor

cervantine d’accéder à un public extrêmement large. Le lieu même de l’auberge est significatif. Véritable carrefour de vies, il offre les récits brefs à une large audience, où se mêlent la plèbe et la noblesse, le sacré et le profane. Le fait est assez important pour qu’on puisse le signaler : l’ample lectorat dessiné en creux est sans lien avec celui permis par les progrès de l’imprimerie et l’ouverture du marché du livre. La nouvelle du Curioso impertinente se présente en effet sous la forme d’une copie manuscrite, comme le souligne par deux fois le texte (« papeles de muy buena letra, escritos a mano », DQ I, 32, p. 371 ; « qué papeles son esos que de tan buena letra están escritos », p. 374). Par son format et son support, le récit bref jouit d’une formidable capacité d’expansion (voir infra : II. 3). De plus, le prêt d’ouvrage entre amis et l’achat d’œuvres de seconde main sont des pratiques courantes à l’époque261.

Un autre élément de réponse qui explique la pleine ouverture de l’auditoire des récits brefs n’est pas étranger à l’émergence d’un nouveau groupe de lecteurs, révélé par le Décaméron en Toscane, puis en Castille par la « miscellanée » du Guzmán de Alfarache. Les deux types de littérature que ces œuvres ont initiés modifièrent certainement l’écart qui pouvait séparer les lecteurs aristocrates des auditeurs analphabètes. Ainsi que le signale V. Branca, le succès éditorial du Décaméron marque l’« explosion d’un enthousiasme bourgeois » (Boccace, 1992, p. LXIV)262.

De même, en Espagne, la fable alémanienne, par son énorme succès éditorial (le prologuiste de la seconde partie, Juan de Valdès, évoque « cincuenta mil cuerpos de libros » et « veinte y seis impresiones »), visait non seulement à pénétrer les foyers de la jeune bourgeoisie, mais aussi à séduire l’ensemble de la population lectrice par ses ambitions humanistes et universalistes263. Le

récit bref cervantin, si l’on en croit l’ample environnement fictionnel que lui prête Cervantès (DQ

I, 32), retrouve cette large audience qu’avait, selon le mot de Fr. Márquez Villanueva, « créée »

Mateo Alemán. Il est fort probable que la nouvelle situe sa réception sur ce terrain nouveau qu’avait défriché l’édition de Guzmán de Alfarache et qui fit affleurer, simultanément au

diferenciación entre las presumibles audiencias de un texto o de un autor. Todos los que imprimen sus obras saben que podrán llegar a manos de cualquiera, incluso de quienes no quieren que los lean, doctos e indoctos, los "bue[nos] o los "boquirru[bios]" de las coplas de cabo roto que Urganda la Desconocida dirige "Al libro de Don Quijote de la Mancha" » (1999, p. 93-94).

261 Sur la circulation de l’imprimé par le prêt et la vente d’œuvres de seconde main au Siècle d’or à Madrid :

PRIETO BERNABÉ (2004), p. 343-366. N’oublions pas, une fois de plus, cette référence cervantine : « Acaeció, pues, que, habiéndome pedido Luscinda un libro de caballerías en que leer, de quien era ella muy aficionada, que era el de Amadís de Gaula...» (Cardenio, DQ I, 24, p. 267).

262 Voir également Victoria Kirkham, pour qui, avant le XVe siècle, plus des 2/3 des manuscrits circulaient

au sein du milieu marchand (1993, p. 118). Sur la croissance du secteur marchand et urbain de l’Italie du nord entre le XIe et le XIV siècle : PINOL (2003), p. 397-398. e

263 Michel Cavillac formule ainsi l’« hypothèse d’un succès bourgeois du Guzmán » : « En ancrant une

fiction résolument réaliste (sur le triple plan social, économique et géographique) dans le territoire universel de la loi morale, Alemán visait donc moins le public aristocratique du traditionnel récit d’évasion, que celui, potentiel, d’une bourgeoisie urbaine en quête de ses propres valeurs » (1983, p. 21). Pour Francisco Rico, la « poética historia » n’était en rien conçue « para simple educación de príncipes, al viejo estilo, sino dirigida al mayor número posible de lectores » (1967, p. CXLVII). Sur l’essor du secteur primaire urbain et des grandes villes dans l’Espagne du XVI siècle : PINOL (2003), p. 603-607. e

développement de l’imprimerie, « el gran ciclo moderno de la novela como arte de masas » (Márquez Villanueva, 1990, p. 550)264.

Proche par ses divers lecteurs de la veine « réaliste », la nouvelle ne s’éloigne pourtant pas du public des romans de chevalerie ; c’est même là son public « premier », diégétique, si l’on en croit les narrataires diégétiques du Curioso impertinente. À l’exception d’Alonso Quijano, l’auditoire du curé est identique à celui des récits d’Amadís et de ses épigones. Or, dans un article fondamental signé de Sara Nalle, les interrogatoires inquisitoriaux révèlent que les habitants de Cuenca qui possèdent au XVIIe siècle des romans de chevalerie n’étaient pas des hidalgos mais

plutôt des fermiers, des commerçants d’origine judaïque ou des marchands (1989, p. 88). L’historienne confirme les affirmations données dans la Première partie de Don Quichotte : « [Los libros de caballerías] con gusto general son leídos y celebrados […] de todo género de personas de cualquier estado y condición que sean » (DQ I, 50, p. 568).

Aussi faut-il croire que la nouvelle cervantine marche délibérément sur les traces laissées par les romans chevaleresques et picaresques. L’ensemble des Ejemplares, dans la droite ligne universaliste d’Aristote (Poétique), envisage la réception artistique en décloisonnant les barrières sociales ou culturelles. En cela, peut-être, les nouvelles se distinguent du premier Guzmán, en s’adressant « al descuidado o al cuidadoso », tel un jeu « donde cada uno pueda llegar a entretenerse » (NE, « Prólogo al lector », p. 18). Les prétentions de l’auteur révèlent une parfaite lucidité que viendra corroborer l’immense succès de son recueil, puisque le nombre d’éditions des

Nouvelles exemplaires approche, à lui seul, celui de l’ensemble des éditions réunies de la Première et la Seconde Partie de Don Quichotte.

HETEROGENEITE DES LECTURES

Le lectorat du récit bref n’est pas seulement pluriel dans sa composition, il l’est aussi, pourrait-on dire, dans ses goûts narratifs.

Déjà, les évocations cervantines placées au cœur du Don Quichotte de 1605 témoignaient d’une diversité, non plus des « types » de lecteurs, mais des différents genres en prose que chacun d’eux lisait. L’inventaire des livres de l’hidalgo avait tracé, dès le sixième chapitre, un panorama lectoral hors du commun, foisonnant. Moins exceptionnelles, mais peut-être tout aussi pertinentes sinon plus, les lectures accomplies par Dorotea et par don Diego de Miranda offraient un témoignage de cette hétérogénéité, appliquée aux livres. Dorotea, à la fois, « (se) acogía al entretenimiento de leer algún libro devoto » (DQ I, 28, p. 322) et « había leído muchos libros de

264 « El éxito del Guzmán de Alfarache provocó al mismo tiempo una movilización o estampida de ingenios

lanzados a colmar aquella insospechada avidez del público por el libro de entretenimiento » (MARQUEZ VILLANUEVA, 1990, p. 564).

caballerías » (DQ I, 29, p. 335). De son côté, la bibliothèque du gentilhomme au manteau vert est autant pourvue de chroniques que d’œuvres dévotes265.

C’est la mallette laissée dans l’auberge de Juan Palomeque (DQ I, 32) qui s’avère l’élément le plus éclairant sur la variété des goûts chez un même lecteur et, notamment, chez l’amateur de récits brefs. La nouvelle de type italien (Novela del curioso impertinente) se trouve accompagnée d’un court récit à thématique picaresque (Rinconete y Cortadillo), de deux œuvres historiques (Historia del

Gran Capitán et la vida de Diego García de Paredes) et de deux œuvres de fiction chevaleresque (Don Cirongilio de Tracia et Felixmarte de Hircania).

Ce croisement peut paraître surprenant ; néanmoins, le lecteur de nouvelles, à l’aube du XVIIe siècle, ne saurait être enclin à l’exclusivité narrative. L’histoire de l’Abencerraje et de Jarifa

peut être lue au sein d’un écheveau pastoral et celle d’Ozmín et de Daraja à l’intérieur d’un parcours picaresque. C’est cette même variété dans les lectures que l’on retrouve dans les recensements d’Anne Cayuela sur la prose romanesque puisque tous les possesseurs de nouvelles ont également dans leur bibliothèque des exemplaires de textes plus volumineux comme La

Dorotea (4), Guzmán de Alfarache (4), Juguetes de la niñez (3), Los trabajos de Persiles y Sigismunda (3), Don Quijote (2), Vida del buscón (2), El Diablo cojuelo (2), La Arcadia (2), etc. (1996, p. 88-97).

Extrêmement succinct, cet inventaire insiste malgré tout sur le fait que le lecteur de récits brefs ne réduit pas ses activités à la seule production nouvellière. À l’instar d’un Alonso Quijano friand de longs romans, les amateurs de la brièveté n’hésitent pas à voyager à l’intérieur d’un espace lectoral beaucoup plus vaste, profondément transfictionnel.

265 DQ II, 16, p. 754 : « Tengo hasta seis docenas de libros, cuáles de romance y cuáles de latín, de historia

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Lectures

(l’effet de pertinence narrative)

Ten aquí, Sancho, hijo, ayúdame a desnudar, que quiero ver si soy el caballero que aquel sabio rey dejó profetizado.

Miguel de Cervantès, DQ I

Le miroir fictionnel ne reflète pas uniquement le monde romanesque ; il réveille également le cœur et l’imaginaire du lecteur : « c’est moi qui suis en jeu, […] le texte me lit autant que je lis » (Picard, 1989, p. 119). L’essai de Michel Picard sur le temps lectoral considère la lecture comme une « anamnèse ». Don Quichotte confirme le fait lorsque, confronté à une « étrange vision » des « encamisados » (DQ I, 19), il complète sa perception par celle d’un vieux souvenir (de lecteur) : « en aquel punto se le representó en su imaginación al vivo que aquélla era una de las aventuras de sus libros » (ibid., p. 201).

Mais, si nous ne mettons pas en doute les fondements de cette théorie, le point de vue cervantin apparaît moins mémoriel qu’hédoniste.

Le déplacement observable dans le processus onirique (Freud, 2001, p. 205-207) travaille la lecture comme le jeu, car il est « le fondement même de la possibilité d’une fonction ludique » (Picard, 1989, p. 120). Pour Michel Picard, on « ne comprend rien à la vie psychique si l’on ignore ou sous-estime, en particulier, ce dernier. C’est lui, évidemment, qui explique le choix du souvenir et son association à telle donnée textuelle » (ibid.).

Au-delà de cette lecture engagée du côté du Je/Jeu, Cervantès semble attentif à une constante du lire qui veut que l’imaginative soumette à la conscience des images enracinées dans le plaisir du lecteur.

Lisant le monde qui l’entoure, Alonso Quijano refigure ses éléments suivant la logique de son bon plaisir. Lors de sa première sortie, la narration évoque ce processus mental et en fait un trait spontané du lecteur : « al instante, se le representó a don Quijote lo que deseaba » (DQ I, 2, p. 49). L’auberge qu’il voit au loin, comme les caractères d’imprimerie sur les folios, est substituée, dans l’imaginaire, par une vision plaisante. L’idée que le chevalier se fait du personnage d’Aldonza Lorenzo signale, plus que nul autre élément diégétique, cette tendance de

l’imaginative issue de l’idéalisme stilnoviste et dantesque (Bundy, 1927, p. 230)266 : « píntola en mi

imaginación como la deseo » (DQ I, 25, p. 285).

Vincent Jouve donne une explication à cette polarisation hédoniste de la création imageante :

L’image onirique est […] principalement engagée du côté du principe de plaisir […]. La vision optique, en revanche, appartient à l’ordre du réel. L’image « littéraire », représentation mentale construite à partir d’un support extérieur, paraît osciller entre les deux orientations. On peut cependant inférer du caractère très peu directif des stimuli textuels que l’image-personnage penche davantage du côté du rêve, donc du côté du plaisir (1998, p. 42).267

Pour Cervantès, par conséquent, les images proposées à la contemplation imaginaire des lecteurs ne sont pas pure « réception », pur produit fini qu’il faudrait « re-figurer », selon la terminologie de P. Ricœur : elles travaillent l’imaginaire des lecteurs, suscitent et entretiennent leur plaisir, dépendent de lui.

Un problème se pose alors si l’on pense à la contraignante abondance des stimuli engagés par l’écriture évidente. Mais, à bien y regarder, le traité sur la « formation de l’orateur » de Quintilien suppose en fait deux rhétoriques qui peuvent s’opposer :

- ¿Hay alguien tan alejado en poder representarse plásticamente las cosas, que al leer aquel conocido pasaje contra Verres -Allí estuvo, en pantuflas, el pretor del Pueblo Romano

con su capa griega de púrpura y su larga camisa interior (que a los tobillos le llegaba-, recostado sobre una mujerzuela en la playa), no solamente parezca estar contemplando sus personas, el

lugar y la postura de ellos, sino hasta suplir por sí mismo detalles de cosas, que no dijeron ? (VIII, III, 64)

- Algunos asignan también la descripción clara y característica de lugares a esta misma figura artística (a la hypotiposis), mientras otros autores la llaman topografía (IX, II, 44).

Quintilien fait état de deux techniques : une rhétorique de l’évocation et une rhétorique de l’abondance (hypotypose). En fait, loin d’être contraires, les deux écritures mobilisent des relations de complémentarité. Si, dans le premier cas, l’effet d’évidence s’applique à un lieu (d’où la

topographie), dans le second, il concerne la description de personne (prosopographie). L’opération de

comblement imaginaire, parce qu’elle ressortit à la référentiation humaine, puise alors nécessairement sa sève dans l’encrier des affects.

266 Voir également, dans la tradition de la Renaissance, la description de l’amour courtois (celle du

« Courtisan d’âge mûr ») : « il portera toujours avec lui son précieux trésor enfermé dans son cœur, et même, par la vertu de l’imagination, il se façonnera au-dedans en lui-même une beauté beaucoup plus belle qu’elle ne sera en réalité » (CASTIGLIONE, 1991, p. 397).

267 Les positions de Christian Metz viennent à l’appui de l’optique cervantine : « [Comme] l’inconscient ne

pense pas, ne discourt pas, il se figure en image ; en retour, toute image reste vulnérable à l’attraction, très inégale selon les cas, du processus primaire [la figuration fondée sur le principe de plaisir] et de ses modalités caractéristiques d’enchaînement » (1993, p. 153). Voir également RICŒUR (1965), p. 283 : les « symptômes névrotiques, [les] rêves nocturnes et diurnes sont les témoins de cette suprématie du principe de plaisir et l’épreuve de son pouvoir ».

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¿Y quién es el hombre en cuyo grosero pecho en tanta manera está muerta cualquier centellita de pensamiento amoroso que no conozca cuán precioso y deleitable sea a los enamorados recitar alguna vez a sus amadas, que los escuchan, alguna de sus coplas y otra vez escuchar a ellas, que las leen? ¿O leyendo los antiguos acaecimientos amorosos en algún autor, encontrarse en los suyos, y hallar en ajenos libros escritos sus pensamientos, oyendo los tales en el papel cuales ellos los hicieron en el corazón, trayendo cada uno de ellos a la memoria muy afectuosamente los suyos y con dulce maravilla comparándolos y concordándolos con aquellos?

Pietro Bembo, Los Asolanos

D’un point de vue psychologique, l’hétérogénéité du lectorat n’est pas sans conséquence. Indépendamment des prévisions auctoriales sur la réception des nouvelles par des hommes ou des femmes, par des jeunes ou des moins jeunes, les fictions sont automatiquement actualisées de diverses façons ; Cervantès en était bien conscient.

Le récit de la princesse Micomicona n’était pas neutre pour A. Quijano, son auditeur. Comme les mots dans l’épisode du chevalier du lac, la narration de Dorotea présente l’intérêt de viser explicitement un destinataire –en l’occurrence l’hidalgo– ; et, cela, à tel point que le récit finit par se transformer en un discours flatteur n’ayant d’autre but que de solliciter un plaisir égoïste268 :

el rey mi padre, que se llama Tinacrio el Sabidor, fue muy docto en esto que llaman el arte mágica […]. Dijo también mi padre […] que luego, con algunos de los míos, me pusiese en camino de las Españas, donde hallaría el remedio de mis males hallando a un caballero andante, cuya fama en este tiempo se estendería por todo este reino, el cual se había de llamar, si mal no me acuerdo, don Azote o don Gigote (DQ I, 30, p. 347-348).

Au-delà de la stratégie ponctuelle ourdie par le curé, le personnage de Dorotea met en exergue la dimension narcissique de la « réception » fictionnelle. De fait, comme le souligne Sancho (« Don Quijote diría, señora »), la narration fonctionne, ni plus ni moins, pour l’auditeur comme un appel personnel. Convié à écouter le récit, A. Quijano l’est aussi à se situer en lieu et place de l’aventurier tout puissant évoqué par la narratrice. Avec la réponse onirique de don

268 Voir QUINTILIANO de CALAHORRA (1999b, p. 21) : « Al juez nos lo ganaremos no solamente

alabándole […] sino si establecemos relación entre su alabanza y la utilidad de nuestra causa » (IV, I, 16). La présence de cette stratégie de la flatterie dans la prose du Siècle d’or est soulignée ouvertement par Lope dans sa nouvelle La más prudente venganza : « [Lisardo] ocupó lo más escondido de la güerta. Llegó con sus padres Laura, y pensando que de solos los árboles era vista, en sólo el faldellín, cubierto de oro, y la pretinilla, comenzó a correr por ellos, a la manera que suelen las doncellas el día que el recogimiento de su casa les permite la licencia del campo. Caerá vuestra merced fácilmente en este traje, que, si no me engaño, la vi en

él un día tan descuidada como Laura, pero no menos hermosa. Ya con esto voy seguro que no le desagrade a vuestra merced la novela, porque, como a los letrados llaman ingenios, a los valientes Césares, a los liberales Alejandros y a los señores heroicos, no hay lisonja para las mujeres como llamarlas hermosas » (VEGA, 1988, p. 146).

Quichotte au chapitre 35, le secours ainsi demandé donnera lieu au plein investissement actantiel de don Quichotte, à savoir la mise en pièces des outres de vin de son hôte. Notre narrataire diégétique construit une solution personnelle à la narration « sollicitante » de Dorotea. Par cette illustration des plaisirs romanesques de don Quichotte, Cervantès pose l’importance de l’engagement identitaire et affectif dans l’activité lectorale269.

Lors du bilan que l’auteur tire des relations entre lecteurs et êtres fictionnels, en introduction à la lecture du Curioso impertinente, il évoque le cas de l’aubergiste Juan Palomeque. Le plaisir qu’il y trouve tient, souvenons-nous, à ces quelques mots : « A lo menos, de mí sé decir que cuando oyo decir aquellos furibundos y terribles golpes que los caballeros pegan, que me toma gana de hacer otro tanto » (p. 369). Si nous retrouvons l’effet de simultanéité événementielle (« oyo »/ « pegan »), il apparaît clairement que, chez tous ces sujets, un processus d’« identification » joue à plein dans la focalisation de l’intérêt (« pegan » / « oyo »), mais surtout, chacun des personnages ne « lit » pas la même chose, et chacun s’arrête sur des séquences distinctes270.

Si la lecture conserve quelques traits de la communication, c’est bien parce que le récit est assimilé par l’esprit selon le principe de pertinence (Sperber, Wilson, 1989, p. 82) : en règle générale,