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Matériels et méthodes

REPARTITION DES PATIENTS SELON LEUR PROXIMITÉ DE L'HÔPITAL

G. Recours jugé justifié ou non :

Ce qui a été mentionné auparavant pourrait expliquer le recours des parents aux urgences d’un centre hospitalier universitaire de niveau 3, mais est-ce que ce recours est pour autant justifié (vu la mission de ses services) ?

Dans notre étude, pour évaluer la pertinence du recours des consultants aux urgences du CHU, nous avons préféré adopter le critère : « besoin de l’expertise d’un médecin spécialiste », que ce soit un pédiatre ou un réanimateur, avec tout ce que cela implique de demande d’examens complémentaires poussés ou besoin d’hospitalisation ; et le différencier de ce qui est du ressort du médecin généraliste, et qui peut se faire généralement sans même avoir besoin de recourir aux examens complémentaires de premier niveau :

Seulement 21.4% des patients ont nécessité une consultation spécialisée.

113

A. Laaraje et al., « Les transferts pédiatriques au service des urgences médicales pédiatriques de l’hôpital d’enfants à Rabat ».

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Le reste des consultations étaient simples, dont l’issu était un traitement ambulatoire, des conseils de puériculture ou la contre référence au centre de santé pour le suivi des malades, comme c’est le cas pour les asthmatiques.

Selon l’étude de nos services d’urgence de 1991, il a été estimé que 20 % des enfants utilisaient le service de manière appropriée, en se basant, pour le déterminer, sur l’appréciation du niveau d’urgence par le praticien, la nécessité d'un plateau technique hospitalier, et l’arrivée à temps de l'enfant :

« La majorité des enfants admis aux urgences présentaient des problèmes

qui auraient pu être pris en charge au premier échelon »114

Dans son analyse des données de cette même recherche marocaine, le CIE a dit :

« qu’il semble bien qu'on puisse parler d'utilisation abusive des services

d'urgence » 115

L’étude du service de 2014116 menée sur la totalité de l’année, a trouvé que le pourcentage des cas d’urgences engageant le pronostic vital n’est que de 0.3% : 183 cas sur 55 580 consultations d’urgences médicales.

114

N. DARKAOUI et al., « L’utilisation d’un service hospitalier d’urgences pour les soins de première ligne (étude à l’Hôpital d’Enfants de Rabat, Maroc). »

115

Anne Tursz, « Utilisation et perception des systèmes de santé par les enfants et leur famille ».

116

Brahim El Gajoui et al., « ACUTE LIFE-THREATENING ILLNESSES

EPIDEMIOLOGY AT A PEDIATRIC UNIVERSITY HOSPITAL’S MEDICAL EMERGENCY DEPARTMENT IN MOROCCO ».

70

Durant la même année selon le rapport d’activité de l’hôpital117, le taux d’hospitalisation par le biais des urgences n’a été que de 4.33% du total des passages par les urgences.

L’auteur a conclu des résultats de l’étude, que ces pathologies médicales engageant le pronostic vital en pédiatrie, sont peu fréquentes mais qu’elles sont accompagnées d’un fort taux de mortalité : sur les 183 cas étudiés l’évolution était léthale pour 82 d’entre eux (soit 44.8%).

Les éléments tenus responsables de cette haute mortalité sont : les conditions d’arrivée de ces patients aux urgences, les délais d’arrivée, le temps d’attente causé par l’encombrement du service et surtout, le manque de lits en unité de soins intensifs118.

D’autres auteurs ont préféré adopter les critères : hospitalisation / traitement ambulatoire, ou encore traitement reçu en urgence.

Comme c’est le cas pour l’étude tunisienne au niveau des urgences du CHU de Tunis119, où 38.7 % des enfants sont rentrés chez eux avec des ordonnances médicales, 45.6 % ont reçu des nébulisations et 21.3 % d’entre eux ont été hospitalisés.

L’auteur défini l’encombrement comme premier dysfonctionnement des services d’urgences, et en relève secondairement d’autres plus internes, qui contribuent à l’accentuation du phénomène d’encombrement et à :

117

« Rapports d’Activité - Centre Hospitalier Universitaire Ibn Sina - CHUIS ».

118

Brahim El Gajoui et al., « ACUTE LIFE-THREATENING ILLNESSES

EPIDEMIOLOGY AT A PEDIATRIC UNIVERSITY HOSPITAL’S MEDICAL EMERGENCY DEPARTMENT IN MOROCCO ».

119

Nadia Matoussi et al., « Epidemiologic profile and management pediatric medical emergencie’s consultants of Tunisian child’s hospital ».

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« L’utilisation inappropriée des services d’urgences, qui fonctionnent

comme une structure de première ligne »

Dans le même thème, selon l’étude algérienne faite en association avec le CIE120, il a été estimé que le recours direct au CHU par les familles se fait dans 86 % des cas, et de façon injustifiée dans 29 % des cas. En revanche cette étude reconnait que les usagers savaient choisir leur lieu de recours aux soins de façon rationnelle, par adéquation entre la maladie de l'enfant et le lieu de recours dans 91 % des cas, en prenant en compte l’ensemble du système de santé.

Du côté sub-saharien l’appréciation est tout autre, puisqu’on parle plutôt de « sous-utilisation » des services d’urgences des CHU, malgré le flux important, notamment soulevé par le CIE dans son étude anthropologique121. Et expliqué par la plus grande sévérité de la pathologie tropicale (neuropaludisme, paludisme, drépanocytose) présentée par les enfants, et aggravée par la malnutrition.

Une étude menée dans les CHU et CHR de trois régions du Togo a montré de forts taux d'hospitalisation (83% le jour, 67% pendant la garde) et une létalité de 3.4%. Il a été estimé que le recours aux urgences de garde était justifié dans 75% des cas.122 123

120

A. Tursz et al., « Étude épidémiologique du recours aux soins curatifs des enfants de moins de 5 ans en Algérie ».

121

Anne Tursz, « Utilisation et perception des systèmes de santé par les enfants et leur famille ».

122

D.Y. Atakouma et al., « Étude épidémiologique du recours aux consultations hospitalières d’urgence chez les enfants de moins de 5 ans au Togo ».

123

D. K. Azoumah et al., « Les Urgences Medicales Pediatriques Au Chu-Campus de Lome ».

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L’étude menée au Congo, au niveau du CHU de Brazzaville, avait mentionné d’autres atteintes comme le sepsis sévère et la pathologie accidentelle représentée par l’inhalation du pétrole, dû à l’utilisation accrue de ce combustible, à partir de la tombée de la nuit, dans les ménages dépourvus d’électricité ; le taux d’hospitalisation était de 56.7% pour le groupe de nuit versus 52.8 % pour le groupe de jour, avec un taux de létalité de 23% (groupe 1) et 13% (groupe 2) parmi les hospitalisés.124

L’étude réalisée au Mali a révélé que la pathologie tropicale constitue à elle seule 28% des consultations d’urgences, elle est responsable aussi de 51% des hospitalisations parmi les cas considérés comme urgents, de 52% des hospitalisations secondaires des patients mis initialement sous observation et de 8% des décès.125

H. Symptomatologie prédominante :

Le Maroc grâce à ses efforts en termes de promotion de la santé publique, est parvenu à contrôler ces pathologies endémiques126 127 et d’autres environnementales comme la dénutrition sévère128 [quoi que la malnutrition

124

J. R. Mabiala-Babela et P. Senga, « Consultations de nuit aux urgences pédiatriques du CHU de Brazzaville, Congo ».

125

Traoré Ibrahim’’Y’’, « LES URGENCES PEDIATRIQUES AU CENTRE DE SANTE DE REFERENCE DE LA COMMUNE V ».

126

Rajae EL AOUAD, HISTOIRE DES EPIDEMIES AU MAROC : PROGRAMMES ET

STRATÉGIES DE CONTRÔLE.

127

Organisation mondiale de la santé (OMS) et Health, « Le paludisme au Maroc: une lutte sans relâche, une perspective d’elimination ».

128

Observatoire National du Développement Humain (ONDH), Ministère de la Famille, de la Solidarité, de l’Egalité et du Développement Social (MFSEDS), et UNICEF, « ETUDE SUR LE PROFIL DE LA PAUVRETÉ DES ENFANTS AU MAROC, ONDH, MFSEDS et UNICEF, Rabat 2017. »

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persiste]129, et qu’on ne retrouve plus qu’en qualité de pathologie d’importation130, ou de rareté littéraire à publier.

La pathologie rencontrée aux urgences, et dans notre série, revêt plutôt un caractère saisonnier, avec la pathologie respiratoire comme chef de file, qui est la cause la plus fréquente des hospitalisations131, suivie de près par la pathologie digestive et puis la pathologie ORL (en période hivernale). En dernier viennent les pathologies : cutanée, neurologique, rhumatismale … à l’instar de ce qui est retrouvé dans la littérature occidentale.

Dans leur étude Alfaro et al. ont trouvé en période printanière, que les pathologies les plus rencontrées sont : la pathologie respiratoire, la pathologie infectieuse et la pathologie gastro-intestinale. 132

Veyre avait trouvé en période hivernale, que la symptomatologie prédominante était la fièvre, associée le plus souvent à des plaintes digestives, respiratoires ou cutanées. 133

Dans la série de Richier et al. portant sur les nouveau-nés ayant consulté aux urgences pédiatriques, et intéressant toute une année, les premiers motifs de consultations avaient été : les pleurs, les vomissements, la gêne respiratoire, la fièvre et la diarrhée.

Or, les premiers diagnostics retenus avaient été la rhino-pharyngite aiguë, le reflux gastro-œsophagien, les coliques et l’inquiétude parentale exagérée. 134

129

Hassan Aguenaou, « La malnutrition invisible ou la « faim cachée » au Maroc et les stratégies de lutte ».

130

Ministère de la Santé, Maroc, « Santé en chiffres 2015 édition 2016 », p12.

131

Ilham Benchekroun et al., « Profil épidémiologique des pathologies respiratoires chez l’enfant à l’Hôpital d’Enfants de Rabat, Maroc ».

132

C. Alfaro et al., « Motifs et modalités de recours ambulatoire pédiatrique dans dix hôpitaux de la région Ile-de-France ».

133

Aurélia-Virginie-Cécile VEYRE, « Les motifs de recours aux urgences pédiatriques : étude prospective menée pendant l’hiver 2006 au CHU du Kremlin Bicêtre. »

134

P. Richier et al., « Étude épidémiologique des consultations précoces de nouveau-nés aux services d’accueil des urgences pédiatriques ».

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III. EN RÉSUMÉ :

Sur la base de l’analyse qui a précédé, nous pouvons dire que le vécu des hôpitaux occidentaux est différent du nôtre, les considérations ne sont pas les mêmes : Même problème de flux mais motifs de recours différents.

Ces motifs sont inhérents au niveau de vie de leur citoyens couplé à la sécurité sociale et les moyens investis pour assurer à ces derniers des soins de qualité et accessibles à tous, tout en veillant à optimiser les conditions de travail du personnel de santé avec un environnement adéquat. Ceci a créé d’autres formes de problèmes. Puisque les études récentes commencent à dénoncer une forme de consumérisme des services de soins public, notamment les urgences : des patients exigeants et demandeurs de soins modulés à leurs besoins ; un système de soin se pliant à leur mode de vie actif et à leur consumérisme. Un système qui ne voit plus seulement le patient comme une personne à soigner mais aussi un consommateur, c’est à dire un client susceptible d’accepter des offres de soins présentées dans différentes formules ; et suivant la doctrine commerciale : le client est roi, alors chercher sa satisfaction est un commandement, ou plus subtilement : c’est une culture.

« Le "patient" est progressivement devenu "client" du système de soins et

"consommateur de santé". Cette transformation sociologique est allée de pair avec une augmentation considérable de la demande de soins de la population, demande orientée fortement vers une activité non programmable et hospitalière. »135

L’usager lui-même reconnait que son recours aux services d’urgences n’est pas justifié par la gravité de l’état de son enfant, mais qu’il a besoin de consulter

135

Emmanuel Grimprel et Pierre Bégué, « Les urgences en pédiatrie dans les hôpitaux d’enfants ».

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plus pour conseil que pour prise en charge.136 Ou comme dans l’exemple de l’étude de M.J. TOBIE où des avis d’usagers proposaient la création d’une « filière bobologie » pour gérer des problèmes mineurs qui ne devraient pas attendre au côté de problèmes plus sérieux, privilégiés par le système de tri, les obligeant par cela à subir de longues heures d’attente.137

Et inconsciemment ces usagers se retrouvent à comparer la consultation aux urgences à une consultation à froid, notamment en libéral, avec tout ce que a un cabinet médical de confort à offrir, soit en terme matériel (espace, jouets, lecture, télévision, place de parking… personnel) ou moral (accueil, temps d’écoute, attention, contact humain, confidentialité… ).138139

« Les parents ont parfois des attitudes inadaptées dans l’utilisation du

système de soins. Le recours de façon non programmée ne se justifie pas toujours, il pourrait être différé.

Par ailleurs, les services d’urgences et les gardes sont trop souvent utilisés

pour des problèmes ne justifiant pas ce type de recours. »140

136

S. Perret et al., « Familles fréquentant un service d’accueil des urgences pédiatriques : expérience, satisfaction et besoins »; Aurélia-Virginie-Cécile VEYRE, « Les motifs de recours aux urgences pédiatriques : étude prospective menée pendant l’hiver 2006 au CHU du Kremlin Bicêtre. »

137

Tobie-Gueguen, « Recours aux urgences pédiatriques du CHRU de Brest ».

138

I. Claudet et L. Joly-Pedespan, « Consultations de routine aux urgences : faut-il gérer ou lutter ? »

139

S. Perret et al., « Familles fréquentant un service d’accueil des urgences pédiatriques : expérience, satisfaction et besoins ».

140

J. Stagnara et al., « Urgences pédiatriques et consultations non programmées — enquête auprès de l’ensemble du système de soins de l’agglomération lyonnaise ».

76 De l’autre revers de la médaille,

« C’est souvent le plateau technique qui est présenté comme argument

pour attirer les patients directement vers l’hôpital, pour des motifs tant chirurgicaux que médicaux, ceux-ci espérant ainsi éviter d’être redirigés secondairement après consultation libérale pour un examen biologique, une radiographie ou une prise en charge spécialisée.

On assiste ainsi à une augmentation croissante, de la part de la population, de son exigence d’un niveau élevé de prestation aux urgences : ne pas attendre, avoir tout sur place, et sans erreur... »141

Au même titre, ces usagers commencent à représenter la majorité des consultants aux urgences. Mais en même temps, ils sont les plus à même d’accepter la réorientation proposée par l’infirmier d'accueil et d'orientation,142

143

perspective maintenant de plus en plus possible depuis l’ouverture de maisons médicales de garde144 un peu partout, annexées aux hôpitaux et travaillant en collaboration avec ces derniers ; ou encore les consultations

141

Emmanuel Grimprel et Pierre Bégué, « Les urgences en pédiatrie dans les hôpitaux d’enfants ».

142

Aurélia-Virginie-Cécile VEYRE, « Les motifs de recours aux urgences pédiatriques : étude prospective menée pendant l’hiver 2006 au CHU du Kremlin Bicêtre. »; P. Richier et al., « Étude épidémiologique des consultations précoces de nouveau-nés aux services d’accueil des urgences pédiatriques ».

143

Clémentine Cosaert, « Analyse des consultations justifiées et non justifiées aux urgences pédiatriques par rapport à la médecine libérale : première étape de la création d’un outil d’éducation pour la santé ayant pour objectif le désengorgement des urgences pédiatriques. »

144

Pierre Frankowski, « Évaluation du recours au service d’accueil des urgences au centre hospitalier de Trinité ».

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décentralisées assurées par un interne, dans le cadre du modèle du circuit court, prenant en charge les plaintes bénignes.145

Toutefois, il semblerait que le fait même de « juger » le recours aux urgences, soulève un problème éthique146. Les priorités de la population ont changé, la structuration et la configuration des urgences faite pour gérer les « urgences » selon la définition de la société médicale ne répond plus qu’en partie aux attentes de tout le monde, car la réalité s’impose.

Anne Tursz, l’auteur de l’analyse précitée du CIE avait dit :

« Si les services sont de qualité, il n'y a pas de raison pour que les gens ne

s'y rendent pas »147

145

D. Demonchy et al., « Un circuit court pour désengorger les services d’accueil des urgences pédiatriques ».

146

J. -M. Longneaux, « Les services d’urgence au carrefour des problèmes éthiques. Ethica clinica, n° 31, septembre 2003 ».

147

A. Tursz et al., « Étude épidémiologique du recours aux soins curatifs des enfants de moins de 5 ans en Algérie ».

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Analyse, Critique