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Recours à l’emprunt dans les chroniques journalistiques

Langues et médias en Algérie

I- Dispositions générales

11- Recours à l’emprunt dans les chroniques journalistiques

Écrire une chronique journalistique est un exercice qui ne peut être réalisé à partir d’une simple théorisation sur l’écriture journalistique. La chronique journalistique étant, justement, cette production si particulière de la presse écrite dont j’expliquerai plus loin les spécificités, elle requiert en plus de la cohérence avec la ligne éditoriale du journal, l’actualité et l’évènementiel, une réelle maîtrise de la langue et, surtout, un style.

Ce même style qui fait la différence entre ceux qui se prêtent à son jeu et qui, souvent, oublient que le lecteur est exigent, désireux parfois d’être confortés dans leurs convictions. Car, contrairement aux comptes rendus qui demeurent des productions       

109 idem 

110 André Lanly, « le Français d’Afrique du Nord. Etude linguistique » PUF, Paris, 1970, p 367 

111 Roman Jackobson établit 6  facteurs dans une situation de communication réussie. Chacun de ces facteurs 

purement informatives et factuelles, respectant les conditions des cinq W : What ? Who ? Whère ? Why ? When ? La chronique, est un autre forme d’expression où l’auteur met plus l’accent sur l’exercice de style pour atteindre son lecteur. Pour ce faire, les stratégies sont multiples (je décrirai les stratégies rhétoriques dans la suite de ce chapitre) et, le recours au contact de langues par l’emprunt pourrait, comme je tente de le montrer dans mon analyse, en être une.

Le contact de langues qui se concrétise dans le discours médiatique construit, selon Charaudeau «un miroir social »112. Les études qui ont été menées, Morsly 1993, Chachou

2011, 2013 et Djaballah-Belkacem 2011 convergent vers un même constat : l’espace médiatique est le reflet des pratiques linguistiques à l’œuvre dans la communauté et le croisement de patrimoines linguistiques et culturels hérités et d’autres fantasmés.

Le recours à l’emprunt (une forme d’alternance codique) dans un discours écrit aussi « naturellement » que dans un discours oral ou une conversation où l’interlocuteur est censé avoir et partager les mêmes connaissances et compétences linguistiques que le locuteur, laisse supposer que les énonciateurs ont une motivation, une volonté de produire de l’empathie, de la connivence, de l’accommodation et, surtout il s’agit d’une stratégie de la part du locuteur par laquelle il se construit un éthos, une identité qui véhicule toute la composante socio-pragmatique partagée avec le lecteur, à même de la reconnaître et de s’identifier à elle.

12-Manifestation de l’emprunt dans les chroniques: 12.1- Pourquoi ?

Dans un article paru dans « Réflexions et perspectives » en 2012 à l’occasion du cinquantenaire de l’Algérie indépendante, Dalila Morsly a dressé un état des lieux de la recherche sociolinguistique113 où elle a passé en revue les pratiques linguistiques des

Algériens : pratiques plurilingues et hétérogènes. Cette hétérogénéité serait d’autant plus apparente dans le marché linguistique algérien car les Algériens eux-mêmes sont encore dans une quête identitaire, en mal de repères idéologiques, culturels et donc linguistiques à mêmes de véhiculer leurs représentations linguistiques respectives. Ainsi, il est également devenu très courant dans certaines émissions culinaires d’employer des tournures empruntées au Moyen-Orient dans la description des recettes, exp : « salsa pour désigner la sauce ». En employant le mot « salsa », la présentatrice pense avoir employé un mot en arabe institutionnel et avoir évité d’employer le mot français « sauce » et le mot en arabe algérien « merqa » qu’elle estime sans doute « vulgaire ». Ce petit exemple est éloquent et dénote de l’insécurité linguistique dans les canaux médiatiques.

Louis Deroy, explique que « les emprunts exigent un certain bilinguisme (…) Inversement, il est impossible à un locuteur bilingue de ne pas faire d’emprunts et même impossible de ne pas les répandre (…) mais, si le bilinguisme n’est pas nécessaire pour       

112 Guilbert Louis « la créativité lexicale » éd Larousse, Paris 1975. 

113 Morsly Dalila « la sociolinguistique en Algérie : Etat des lieux et perspectives », revue scientifique et

justifier la plupart des emprunts lexicaux »114 Cheriguen Foudil partage complètement cette approche « L’emprunt tel que pratiqué en Algérie est plus une transplantation de la langue qui va au-delà du simple emprunt (…) C’est une sorte de bilinguisme…(…) L’emprunt serait plutôt un phénomène se situant à mi chemin entre le changement linguistique (quand un fait linguistique impliquant d’anciennes habitudes de pensée ou de vies, entre en contradiction avec de nouvelles habitudes de pensée ou de vie) et le bilinguisme…».115De toute évidence, on comprend déjà que l’emprunt ne pourrait exister chez un locuteur monolingue et que seule cette compétence « bilingue » le permet. Mais, on comprend aussi que ce qui est sous-entendu est qu’il existe un usage « particulier » de l’emprunt en Algérie. Cette notion de « particularisme lexical », Yacine Derraji l’a abordé pour dire « les particularités lexicales d’une variété linguistique propre à une communauté linguistique perçues par la majorité des membres de cette communauté comme la manifestation d’une identité culturelle et sociale bien particulière »116 

Yacine Derraji, de son côté, explique que le français tel qu’il est pratiqué en Algérie, reflète le mode d’expression d’une communauté et obéit à des normes consenties par la communauté dans son ensemble. Combien même un « prétendu »117 écart peut être décelé

par rapport à la norme référentielle (le français de France), c’est le sentiment collectif partagé qui semble conférer à cette pratique sa « normalité ». Le particularisme en question se révèle, selon, Yacine Derraji dans le contexte sociolinguistique algérien par des « algérianismes » : des productions linguistiques typiques des locuteurs algériens bi/plurilingues qui englobent à la fois emprunts et néologismes.

Il devient donc indéniable que l’explication du phénomène de l’emprunt ne peut se contenter du seul prétexte linguistique. L’explication est également extralinguistique : un besoin que seul le locuteur peut justifier pour des raisons de sens « complet » et parfois même affectif car, représentant l’éthos du locuteur et, atteignant le pathos de l’interlocuteur.

Louis Deroy affirme que «Certains cas d’emprunts très près de l’utilité matérielle et d’autres qui en sont aussi éloignés.»118

12.2- Comment ?

Il ne faut jamais perdre de vue que la chronique journalistique s’inscrit dans le cadre d’un discours médiatique. Chaque titre possède son lectorat, plus ou moins large, selon la ligne éditoriale du journal et selon le style du chroniqueur. Parmi les lecteurs, certains ne       

114 Louis Deroy, « l’emprunt linguistique » éd les Belles Lettres, 1956, p211. 115 idem 

116 Derraji Yacine « la langue française en Algérie : particularisme lexical ou norme endogène ? » article paru 

aux  Cahiers  du  SLADD  revue  du  laboratoire  de  Recherche  Sciences  du  Langage,  Analyse  du  discours  et  Didactique n°2, janvier 2004, p 15. 

117 « Prétendu » revêt  ici une importance majeure dans le sens où l’écart n’est perçu que par rapport à une 

norme  et  que  par  un  Autre,  étranger  à  ladite  communauté,  ce  que  Derraji  appelle  l’observateur  attentif  « étranger ». 

comprendront pas les emprunts (surtout s’ils sont facultatifs) et encore moins les xénismes et ne pourront pas identifier leur langue source, « d’où l’importance que revêtent les différents procès de repérage du terme étranger » estime Foudil Cheriguen119

Dans les chroniques journalistiques que j’ai dépouillées, les emprunts ne se manifestent pas toujours de la même manière. Ils peuvent, en effet, être identifiables par leur forme (leur mise entre guillemets, entre parenthèses) ou par leur écriture en italique, ou par l’apposition d’une explication en français, voire d’une traduction comme ils peuvent ne pas l’être.

Exemples de mots étrangers mis entre guillemets (ou en italique):

KD -« A Mostaganem, une militante a été récemment arrêtée et harcelée continuellement, s’est vu traiter de « f’haymiya » par une policière dans le fourgon de ramassage. Traduire : intello ou « poseuse » de questions dans un pays sans réponses ».

HL-(…Et plus j’y pense, plus l'odeur du chaudron dans lequel se mitonne «ettakh’lat» m’envahit le nez et me fait suffoquer…)

HL- (…Al Hamdoulillah, la «izza et la karama» se lisent sur les visages de tous les travailleurs algériens.

Exemples de mots étrangers avec leurs synonymes :

KD- (…elle chante déjà en boucle l'éloge d'El Aziz. Ses Injazates, réalisations, travaux d'Hercule, triomphes…)

(Injazates=réalisations)

KD- (…Fêter noël c'est haram, interdit, signe de colonisé et d'assimilé quand c'est fêté chez nous. ..)

(haram=interdit)

HL- (…Ah ! Sahbi ! Ça fait trop ! Bezzef !... (bezzef=ça en fait trop)

HL- LA GIFLE, LA BAFFE, EL KEFF, ESSAKLA !