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Langues et médias en Algérie

CHAPITRE 3 Choix et orientations théoriques

3- Alternance codique : essais définitoires

La dénomination de ce phénomène linguistique change en fonction du changement des points de vue et des approches par le biais desquelles il est étudié. Ainsi, Bernard Zongo, dans un inventaire terminologique, fait part d’une liste dans laquelle il sera respectivement appelé « interférence bilingue» (Mackey, 1976), « code-switching » (Meyer-Scotton 1977 ; Valdès- Fallis, 1978 ), « métissage linguistique » (Sesep, 1979), «interlecte » (Prudent, 1981), « alternance de codes» ou bien « code alterné du bilingue » (Hamers et Blanc 1983),

      

2 Marie Louise Moreau « Sociolinguistiques, concepts de base » éd MARDAGA, Liège, 1997, p 207. 

3 Myres  Scotton  Carol  &  Ury  William  « Bilingual  strategies  of  code  switching »  International  Journal  of  the 

Sociolingy of Language,  n°13, 1977, pp 5‐20 

4 Josiane Hamers & Michel Blanc « Bilingualité et Bilinguisme » éd Mardaga, Bruxelles, 1983, p 455. 

5 Ceux-ci sont « des langues secondes créées pour les besoins de la communication par deux communautés linguistiques parlant des langues différentes (…) mais si les pidgins sont la résultante d’un mélange de langues, tous les mélanges codiques ne sont pas des pidgins » selon la définition de Moreau ML dans « Sociolinguistiques, concepts de base » éd MARDAGA, Liège, 1997, p 207.

« alternance des langues » (Gardner-Cloros, 1985, « discours alternatif » (Boucherit 1987), « vernaculaire bilingue » (Garafanga, 1987), « alternance codique », (J.J. Gumperz 1989), « metissage vernaculaire (Wald, 1990), « « entrelangue » (Baggioni, et Robillard, 1990 ; Lüdi et Py, 1986).

Une des variantes du code mixing est le code switching. Le premier décrit un mélange de langues dans une même phrase et le deuxième une alternance dans laquelle les deux langues restent séparées dans une même phrase.

L’alternance codique (code switching) impose des opérations structurelles au locuteur qui dénote sa maîtrise du fonctionnement des systèmes des deux langues, alors que le code mixing n’exige aucune compétence structurelle de la part du locuteur.

Dans le respect d’une évolution chronologique, je vais tenter de présenter quelques définitions de l’alternance codique :

D’abord, Gumperz John, initiateur des études sur ce phénomène, définit l'alternance codique comme : « la juxtaposition à l'intérieur d'un même échange verbal de passages où le discours appartient à deux systèmes ou sous-systèmes grammaticaux différents »6

Les premières études de John Gumperz visaient uniquement la langue orale et, spécifiquement, l’échange : l’interaction.

En 1977, Carol Scotton et William Ury veulent synthétiser le concept du code switching et apportent la définition suivante :

« L’utilisation de deux variétés linguistiques ou plus dans la même conversation ou la même interaction [...] l’alternance peut porter sur un mot ou sur plusieurs minutes de discours [...] les variétés peuvent désigner n’importe quelles langues génétiquement différentes ou deux registres d’une même langue. L’emploi de mots isolés, d’emprunts établis ou de phrase n’est pas considéré comme code switching » 7

Cette définition porte sur « le mot » sans préciser sa nature grammaticale ou lexicale. On comprend qu’un mot ou « plus » peut appartenir à une langue L2 lors d’un discours entamé en L1. La quantité de mots est ici décrite en terme « de temps » de discours ce qu’on pourrait interpréter comme « la fréquence » des mots d’une langue L2. Deux points importants sont posés dans cette définition : la première est notion de registre de langues : on parle aussi d’alternance codique lorsqu’on passe d’un registre à l’autre dans une même langue exemple : arabe institutionnel/arabe algérien. La deuxième notion est la différenciation entre alternance codique et emprunt spontané. Cette définition exclut les emprunts isolés de la définition de l’alternance codique.

      

6 idem

7  La définition originale a été faite en anglais : « the use of two or more linguistic varieties in the same conversation or interaction. The switch may be only for one word or for several minutes of speach. The varieties may be anything from genetically unrelated languages to two styles of the same language. The use of solitary, established loan words or phrases is not considered code-switching”

Plus brièvement, Guadalupe Valdes-Fallis dit que « L’alternance codique est le fait d’alterner deux langues au niveau du mot, de la locution, de la proposition ou de la phrase »8Cette autre définition est plus globale, elle ne se limite pas à l’alternance des « mots » mais,

inclut d’autres types d’alternances qu’elle identifie de par leur nature telles que les locutions, les propositions et des phrases entières.

Shana Poplack, de son côté, définit l'alternance codique comme : « La juxtaposition de phrases ou de fragments de phrases, chacun d'eux est en accord avec les règles morphologiques et syntaxiques (et éventuellement phonologiques) de sa langue de provenance. L'alternance de codes peut se produire à différents niveaux de la structure linguistique (phrastique, intra-phrastique, interjective) » 9

Par cette définition, Shana Poplack est dans la continuité de la définition de Gumperz John Tous deux se focalisent sur l’aspect linguistique du phénomène.

Mais, jusque là, toutes les définitions sont orientées vers le bilinguisme individuel, facteur sine qua none du discours alternatif : c'est-à-dire qu’il n’y a alternance codique que lorsque deux codes sont utilisés dans un même discours « les éléments des deux langues font partie du même acte minimal de parole ».10Mais, Josiane Hamers et Michel Blanc vont élargir la définition puisqu’ils expliquent que le code switching n’est pas spécifique au bilinguisme, il l’est à toute sorte de plurilinguisme : « Dans l’alternance des codes, deux codes(ou plusieurs) sont présent dans le discours, des segments de discours alternent avec des segments de discours dans une ou plusieurs langues. Un segment(x) appartient uniquement à la langue (LY) il en va de même pour un segment(Y) qui fait partie uniquement de la langue (LY), un segment peut varier en ordre de grandeur allons d’un mot à un énoncé ou un ensemble d’énoncé, en passant par un groupe de mots, une proposition ou une phrase ».11

Un autre aspect de la production de cette « interlangue » est développé par Georges Lüdi et Bernard Py qui évoquent la connaissance préalable des acteurs ou participants à cet échange discursif de (s) langue (s) utilisées «L’alternance codique est un passage d’une langue à l’autre dans une situation de communication définie comme bilingue par les participants»12 Aussi, l’alternance des codes engloberait l’ensemble des phénomènes linguistiques (emprunts lexicaux, calques, xénismes, pidgin,…) : toutes formes de marques trans-codiques inhérentes au plurilinguisme

« Tout observable, à la surface d’un discours en une langue ou une variété donnée, qui représente, pour les interlocuteurs et/ou le linguiste, la trace de l’influence d’une autre langue ou variété ».13 Cette définition m’intéresse particulièrement dans la mesure où, dans ma recherche, je fais l’hypothèse que les énonciateurs ont une parfaite connaissance préalable de leur public cible et, de son patrimoine linguistique et culturel. Le recours à l’alternance codique par les journalistes dans leurs productions en est la preuve, mais aussi, le but : les

      

8   Guadalupe  Valdès‐Falis,  citée  par  Bernard  Zongo    «  le  parler  ordinaire  multilingue  à  Paris :  ville  et 

alternance codique, pour une approche modulaire » éd l’Harmattan, Paris,  2004, p22   9 S.Poplach citée par Zakaria Ali‐Bencherif, thèse de doctorat, 2009, p48  10 Marie‐ Louise Moreau « Sociolinguistique de base », Mardaga, Bruxelles, p 33.  11  J.Hamers et  M.Blanc  op‐cité p 176.  12 Georges LÜDI et Bernard PY,  « Etre bilingue » nouvelle édition BERN, Peter Lang,    2003, p146  13 idem, p142

chroniqueurs semblent vouloir dire aux lecteurs (interlocuteurs passifs) je vous connais, vous me connaissez, nous partageons la (les) même (s) langue (s) et donc la (les) même (s) culture (s).

3.1- Les différentes approches d’alternances codiques

Je rappelle que c’est par l’observation de changements linguistiques en fonction des changements sociaux évaluables que William Labov dans les années soixante, a eu l’idée de combiner des données sociologiques et anthropologiques à l’analyse structurale des discours. Son approche est purement descriptive et explicative des aspects variationnels observés : Descriptive en tentant de dire comment se réalisent ces variations linguistiques à l’intérieur du discours, et explicative pour dire pourquoi le locuteur fait tel ou tel choix de langues selon telle ou telle situation.

Il s’agit de l’approche linguistique ou structurale de William Labov celle qui répond à la question « comment parlent les gens quand on ne les observe pas ? ». Cette approche consiste à dégager les variations subies par une langue (partie sociale du langage) à l’intérieur d’un contexte social formé par une communauté linguistique. William Labov s’oppose à l’approche saussurienne de la linguistique dans sa dimension « asociale » et « arbitraire », selon lui, seule la sociolinguistique, par des faits extralinguistiques (sociologiques, géographiques, culturels…) peut répondre à des questions liées à l’évolution synchronique et/ou diachronique des langues.

Un peu plus tard, dans le début des années soixante dix, John Gumperz introduit à cette dernière approche Labovienne un élément lié aux acteurs de cette variation : il se base sur l’intercompréhension des acteurs de la conversation et leur capacité de décoder respectivement le message de l’autre. Il est question alors de prendre en ligne de compte le facteur socio-ethnographique de la communication définissant l’alternance codique14 (code

switching dans sa terminologie anglophone) comme résultante du bilinguisme, « Si tu peux décoder ce que je veux dire, tu dois partager mes traditions dans ce cas, tu comprendras pourquoi je me comporte de cette façon ».15

Cette approche situationnelle, va donc partir de l’observation d’une situation d’interaction consciente dont les motivations sont inconscientes « Trouver consciemment ce à quoi ils sont soumis inconsciemment »16 c’est à dire mettre en relation les facteurs socioculturels des locuteurs et leurs discours, en passant par le processus d’interprétation de chacun des interlocuteurs ( ici chroniqueurs-lecteurs) du discours de l’autre : la fonction interprétative de la sociolinguistique est ici privilégiée. John Gumperz insiste également sur

       14 Je serai amenée à employer souvent les termes alternance codique, code switching ou code mixing. Pour  cela, il faudrait que j’explique que « code » ne signifie en rien d’une mise en relation de symboles particuliers  , mais, d’un système linguistique, résultat d’une procédure d’en codage et de décodage.  15 J.Gumperz « Sociolinguistique interactionnelle : une approche interprétative » L’Harmattan, Université de  la Réunion, 1989, p 34.  16 Gumperz op‐cité,  p 35 

l’aspect inconscient, naturel et spontané de cette variation « Les participants plongés dans l'interaction elle-même, sont souvent tout à fait inconscients du code utilisé à tel ou tel moment. Ce qui les intéresse avant tout, c'est l'effet obtenu lorsqu’ils communiquent ce qu'ils ont à dire ».17

Par ailleurs, le recours à tel ou tel code ne se fait pas de manière aléatoire : le code switching est un choix du locuteur pour mettre en exergue, donner du poids ou rapporter un discours. C’est donc révélateur d’une maîtrise des systèmes des deux codes : Toujours selon Gumperz : « Il ne fait aucun doute que le recours efficace à des stratégies de communication présuppose une compétence grammaticale et une connaissance de la culture" .

Il me faut préciser que, longtemps, ce phénomène linguistique qu’est l’alternance codique a été considéré comme un handicap linguistique, se réduisant à une incapacité du locuteur à parler « convenablement » une des deux langues et non pas une compétence du locuteur à passer alternativement d’un code à l’autre, selon des conditions à définir.

Plusieurs approches se suivront dans le temps, se complèteront parfois et s’opposeront d’autres fois. C’est tout l’intérêt de la science qui est en perpétuelle dynamique et qui suscite parfois des ruptures épistémiques.

 

 Ainsi,  les études variationnistes ne se sont pas figées après les théories structurales de William Labov, ni celles fonctionnelles ou situationnelle de John Gumperz et Dell Hymes bien au contraire, Josiane Hamers et Michel Blanc vont apporter une nouvelle approche abordée en termes de « compétences » et basée sur la stratégie de la communication, « Une stratégie de communication utilisée par des locuteurs bilingues entre eux; cette stratégie consiste à faire alterner des unités de longueur variable de deux ou plusieurs codes à l’intérieur d’une même interaction verbale».18

D’autres points de vue, plus récents, de ce phénomène ont amené à des relectures et des interprétations en adéquation avec des données nouvelles adaptées à chaque situation de bilinguisme comme le précise Bernard Zongo « son réexamen permet des réajustements et des reformulations indispensables au regard des données nouvelles émergentes »19 : c’est

l’approche modulaire qui est proposée.

Pour ma recherche, Je retiendrai de ces différentes approches celles qui mettent en exergue la situation (contexte) dans lequel se réalise cette variation linguistique ainsi le facteur motivationnel, décrit en termes de « stratégie de la communication » qui correspond à ma conception des deux phénomènes de l’alternance codique et/ou de l’emprunt dans les énoncés que j’ai étudiés. Aussi, devrais-je m’atteler à bien distinguer ces deux types de contacts de langues dans mon corpus.

       17 idem 

18 J.Hamers &M. Blanc « Bilingualité et Bilinguisme »Mardaga, Bruxelles, 1983, p 445  19 B. Zongo  op‐cité p17 

3.2-Formes (types) d’alternances codiques

Zakaria Ali-Bencherif fait une synthèse des ces approches. Il aborde celle variationniste linguistique de Shana Poplack, celle, fonctionnelle, de John Gumperz , l’approche interactionniste, conversationnelle de L. Dabène et psycholinguistique de Lüdi & Py. Je retiendrai pour mon analyse la perspective variationniste linguistique de Shana Poplack qui établit trois formes d’alternances codiques :

a)-L’alternance intraphrastique

Selon Shana Poplack 20, c’est la forme la plus intéressante à observer : deux structures

syntaxiques appartenant à deux langues différentes coexistent à l’intérieur d’une même phrase. Cette forme montre comment une l’alternance peut se réaliser entre deux éléments d’une phrase pourvu qu’ils soient ordonnés de la même façon selon les règles grammaticales de leurs langues respectives

Exemples :