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La reconnaissance du rôle des communautés dans la protection du patrimoine

Section 2. Une reconnaissance avant-gardiste de la place de la biodiversité au sein du droit

B. La reconnaissance du rôle des communautés dans la protection du patrimoine

La Convention PM n’octroie un rôle dans la protection du patrimoine qu’à ses Parties. La création de la catégorie des paysages culturels encourage la participation des communautés348. Le

nouveau Guide des orientations de 1992 dispose que « [l]a participation de la population locale au processus d’inscription est essentielle pour la sensibiliser à sa part de responsabilité entre celle-ci et l’État partie quant à l’entretien du site, mais elle ne doit pas porter préjudice à la prise de décision ultérieure du Comité » 349. De plus, le Guide ajoute aux critères relatifs à l’inscription d’un bien culturel sur la Liste que ce bien devrait350 : « bénéficier d’une protection juridique et/ou

traditionnelle adéquate et d’un mécanisme de gestion afin d’assurer la conservation du bien ou des paysages culturels comme il convient ». Cette nouvelle disposition encourage la reconnaissance et l’usage des systèmes de gestion traditionnels incluant le droit coutumier et les traditions orales telles que les chansons dans le cas du Parc national Tongariro en Nouvelle Zélande (inscrit en 1993 comme paysage culturel)351. La Convention PM devient, à cette occasion, (à travers son droit dérivé) le premier traité du droit international de la culture propice à l’usage du droit et de la gestion coutumiers352.

En 1994, le Document de Nara sur l’authenticité353 – l’authenticité étant l’un des critères permettant l’inscription d’un bien culturel sur la Liste du patrimoine mondial – annonce :

348 CAMERON, C., ROSSLER, M., Many Voices, One Vision: The Early Years of the World Heritage Convention,

op. cit., p. 122.

349 Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Orientations devant

guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, Paris, WHC/2/Révisé, février 1994, p. 8.

350 Ibid., p. 11.

351 CAMERON, C., ROSSLER, M., Many Voices, One Vision: The Early Years of the World Heritage Convention,

op. cit., p. 122-123.

352 Ibid., p. 123.

353 Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Document de Nara sur

l’authenticité – Réunion d’experts tenue du 1er au 6 novembre 1994, Phuket, WHC-94/CONF.003/INF.008, 1994,

« Il importe de rappeler que l’UNESCO considère comme principe fondamental le fait que le patrimoine culturel de chacun est le patrimoine culturel de tous. De la sorte, les responsabilités sur le patrimoine, et sur la manière de le gérer appartiennent en priorité à la communauté culturelle qui la génère ou à celle qui en a la charge ».

En ce sens, le Guide des orientations encourage les Parties à « préparer les propositions d’inscription en collaboration et en complet accord avec les communautés locales »354. Quatre

ans plus tard, les systèmes de gestion traditionnels sont promus pour les biens naturels355. Par exemple, « Rennell Est » aux Iles Salomon est « le premier bien naturel inscrit sur la Liste du patrimoine mondial dont la propriété et la gestion [sont] régies par la coutume. Quelque 1200 habitants d’origine polynésienne y vivent dans quatre villages, pratiquant des cultures de subsistance, la chasse et la pêche » 356. Dans ce cadre, les communautés autochtones ou locales deviennent les acteurs centraux de la protection du bien. Ils usent d’ailleurs de leurs connaissances et pratiques au profit de la préservation de leur milieu naturel. Il s’agit d’une approche holistique de gestion du patrimoine intégrant les éléments naturels, culturels et les êtres humains qui favorisent cette relation.

Faisant suite à une telle évolution de la mise en œuvre de la Convention, le Forum des peuples indigènes qui se tient en conjonction avec la 24ème session du Comité PM de 2000 à Cairns (Australie) propose l’institution d’un Conseil d’experts des peuples indigènes du patrimoine mondial (ci-après « WHIPCOE »)357. Le Forum se déclare358 :

« soucieux du manque de participation des peuples indigènes à la formulation et à la mise en œuvre de la réglementation, des politiques et de la planification visant à protéger leur savoir intégral ainsi que leurs traditions et valeurs culturelles qui se rapportent à leurs

354 Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Orientations devant

guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, Paris, WHC.97/2, février 1997, p. 11.

355 Id. ; Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Orientations

devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, Paris, WHC.99/2, mars 1999, p. 13 : « Les

sites décrits au paragraphe 44(a) devraient avoir une protection législative, réglementaire, institutionnelle ou traditionnelle adéquate à long terme.

356 UNESCO, « Rennell EST », (consulté en ligne le 23 août 2017) :

http://whc.unesco.org/fr/list/854

357 Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Rapport sur la

proposition relative au Conseil d’experts des peuples indigènes du Patrimoine mondial (WHIPCOE), Paris, WHC-

2001/CONF.205/WEB.3, juin 2001, p. 1.

terres ancestrales comprises ou comprenant des sites aujourd’hui désignés comme sites du patrimoine mondial ».

On constate ainsi que malgré ces évolutions positives du Guide des orientations, toutes les Parties n’assurent pas la participation la plus large possible des communautés autochtones présentes au sein de ces espaces de valeur universelle exceptionnelle. Le WHIPCOE qui n’existe pas encore à l’époque est censé remédier à cette situation. Un atelier du WHIPCOE se tient à Winnipeg (Canada) en novembre 2001 réunissant le Chef suprême du Parc national de Tongariro (Nouvelle Zélande), M. Tumu Te Heu Heu, le Directeur général des Affaires maories (Nouvelle Zélande), M. Eru Manuear et la Directrice d’Unité de gestion de Parcs Canada, Mme Josie Weninger359. Cette dernière présente au Comité PM les objectifs du WHIPCOE en coopération avec les Parties, les organes consultatifs et les peuples autochtones360 :

(i.) « de servir de réseau,

(ii.) de permettre aux voix des autochtones de se faire entendre pour assurer la protection et la promotion du patrimoine mondial culturel et naturel,

(iii.) d’amener les compétences et l’expertise complémentaires des autochtones et (iv.) de développer les meilleures pratiques de gestion et, sur demande, faire des

recommandations pour améliorer le système ».

Le WHIPCOE ne verra jamais le jour étant donné la remise « en question de la définition des peuples autochtones et la pertinence d’une telle distinction dans différentes régions du globe »361. Pour ces raisons, le Comité PM désapprouve sa création.

Toujours en 2001, une réunion d’experts se tient au Zimbabwe sur « L’authenticité et l’intégrité dans un contexte africain »362. Les experts y soulignent que certaines communautés

participent grâce à leurs connaissances et pratiques culturelles traditionnelles à garantir l’authenticité et l’intégrité des biens. Par exemple, certaines sociétés en Afrique et en Australie

359 Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Rapport, Paris, WHC-

01/CONF.208/24, février 2002, p. 62.

360 Ibid., p. 63. 361 Id.

362 L’intégrité est l’un critère requis pour l’inscription d’un bien naturel et/ou culturel sur la Liste du patrimoine

s’appuient sur les écosystèmes naturels dans une relation d’égal à égal363. Chez ces sociétés, les

humains n’ont pas le « monopole de l’âme »364, « il y a toujours une sorte de pacte qui préserve à

la fois les humains et les espèces naturelles dans un même environnement ». C’est le cas des Kunwinjku d’Australie365. Grâce à leurs traditions, techniques et systèmes de gestion, langages et

autres formes de patrimoine immatériel, ces communautés participent à assurer l’authenticité du bien366. Elles ont à leur disposition des « systèmes culturels, religieux ou coutumiers qui sous-

tendent la structure complète, la diversité et le caractère distinctif des biens naturels et des paysages culturels »367. Forts de ces connaissances, les experts recommandent la participation des communautés locales dans le processus de gestion du patrimoine, c’est-à-dire l’établissement des listes indicatives, le processus d’inscription, l’élaboration d’un plan de gestion et sa mise en œuvre à travers la gestion, le suivi et la conservation du patrimoine368.

Conscients du rôle fondamental que les communautés jouent pour la protection de ces biens exceptionnels, les membres du Comité PM déclarent vouloir veiller « à assurer, à tous les niveaux, la participation active de [leurs] communautés locales à l’identification, la protection et la gestion des biens du patrimoine mondial »369. Le Guide des orientations de 2005 encourage alors les Parties à assurer la participation des communautés locales intéressées par l’identification, la proposition d’inscription et la protection des biens du patrimoine mondial370.

Dans cette perspective, le Comité ajoute un « 5e C » pour « Communautés » aux objectifs

stratégiques de la Convention371.

363 MUNJERI, D., « Les notions d’intégrité et d’authenticité : les modèles émergents en Afrique », SAOUMA-

FORERO, G. (ed.), L’authenticité et l’intégrité dans un contexte africain. Réunion d’experts – Grand Zimbabwe,

Zimbabwe, 26-29 mai 2000, UNESCO, Paris, 2001, p. 15-16.

364 Ibid., p. 16. 365 Id.

366 SAOUMA-FORERO, G. (ed.), L’authenticité et l’intégrité dans un contexte africain. Réunion d’experts – Grand

Zimbabwe, Zimbabwe, 26-29 mai 2000, UNESCO, Paris, 2001, p. 165-166.

367 Ibid., p. 166-167. 368 Ibid., p. 167.

369 Déclaration de Budapest sur le patrimoine mondial, adoptée le 28 juin 2002.

370 Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Orientations devant

guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, Paris, WHC.05/2, février 2005, p. 3. Le Comité

ajoute « qu’aucune zone n’est totalement intacte et que toutes les aires naturelles sont dans un état dynamique et, dans une certaine mesure, entrainent des contacts avec des personnes. Il y a souvent des activités humaines, dont celles de sociétés traditionnelles et de communautés locales, dans des aires naturelles. Ces activités peuvent être en harmonie avec la valeur universelle exceptionnelle de l’aire là où elles sont écologiquement durables » (ibid., p. 24- 25).

371 Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Proposition d’ajout

Ces évolutions372 bonifient la mise en œuvre du traité. L’absence de participation des

communautés au sein du texte de la Convention était « une invitation à l’échec » pour reprendre les termes de la Nouvelle Zélande373. Désormais, les Parties sont encouragées pour le succès de leurs projets à intégrer les communautés autochtones et locales ainsi que leurs savoirs et pratiques aux activités de protection. Ces révisions du Guide des orientations sont remarquables et prouvent que la mise en œuvre d’un traité peut être améliorée au bénéfice de la réalisation de son objectif principal.

nombre de quatre et ont pour but de promouvoir la mise en œuvre de la Convention PM. Il s’agit des objectifs suivants : Crédibilité, Conservation, renforcement de Capacité et Communication. Cinq ans plus tard, la Nouvelle Zélande estime que :

 « Protéger le patrimoine sans impliquer les communautés et obtenir leur engagement est une invitation à l’échec ;

 Associer les communautés à la conservation du patrimoine est cohérent avec les meilleures pratiques internationales, comme le prouvent des dispositions internationales comparables ;

 Conservation, renforcement de capacité, crédibilité et communication sont des éléments inséparables de l’idée d’une communauté ;

 La protection du patrimoine doit, autant que faire se peut, concilier les besoins des communautés humaines, car l’humanité doit rester au cœur de la conservation ».

C’est pourquoi, le Comité PM décide sur recommandation de la Nouvelle Zélande d’ajouter un « 5e C » pour

« Communautés » ayant pour rôle de « valoriser le rôle des communautés dans le mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial ». Voir Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel,

Le « 5e C » pour « Communautés », Paris, 31 COM 13B, 2007 ; UNESCO, « Le “5e C” pour “Communautés” »

(consulté en ligne le 24 aout 2017) :

http://whc.unesco.org/fr/decisions/5197/

372 Parmi ces évolutions, on compte également l’adoption en 2005 de la Stratégie de réduction des risques liés aux

catastrophes sur les biens du patrimoine mondial. Elle contient 5 objectifs dont l’utilisation des connaissances et de

l’innovation. Ces connaissances peuvent être traditionnelles. Voir Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Problèmes relatifs à l’état de conservation des biens du patrimoine mondial :

Stratégie de réduction des risques liés aux catastrophes sur les biens du patrimoine mondial, Paris, WHC-

07/31.COM/7.2, 2007, p. 5 ; UNESCO, « Réduire les risques de catastrophes sur les sites du Patrimoine mondial » (consulté en ligne le 28 aout 2017) :

http://whc.unesco.org/fr/disaster-risk-reduction

373 Comité intergouvernemental pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Proposition d’ajout

Conclusion du Chapitre 1

Les branches environnementales et culturelles du droit international public reconnaissent l’interdépendance des rapports culture-nature. Cependant, alors que cette prise de conscience met du temps à germer au sein des instruments du droit international de l’environnement, elle est présente très tôt au sein des travaux de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Ce qui ressort de l’analyse de ces textes est qu’ils se dirigent tous vers une seule et même approche. Cette dernière se veut holistique voire écosystémique. Les êtres humains et leur diversité culturelle sont un élément de l’écosystème. C’est pourquoi, il apparaît fondamental qu’ils aient un rôle à jouer dans l’objectif de conserver et d’utiliser durablement la biodiversité. D’ailleurs, en contre partie, la sauvegarde de leurs connaissances et pratiques et le respect de leurs droits dépendent des écosystèmes et de leur gestion durable. Cependant, aucun des textes étudiés n’offre les outils nécessaires à la sauvegarde des éléments immatériels du patrimoine. Ils se focalisent sur la protection de la nature (techniques de gestion) et sur le rôle des acteurs (pour le succès de la protection) bien qu’ils reconnaissent l’utilité des connaissances et pratiques des communautés. S’il paraît essentiel d’user de ces outils culturels pour la gestion des écosystèmes et inversement, on ne sait comment les sauvegarder selon une approche adéquate. En effet, il n’existe pas de droit qui soit dédié à leurs spécificités. C’est pourquoi, la formation d’un tel droit est nécessaire374.