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Section 1. Le rôle grandissant de la diversité culturelle au sein du droit international de

A. La naissance du droit international de l’environnement

La CNUEH se réunit en 1972 à Stockholm182. Des délégations de 113 pays, 21 agences de l’Organisation des Nations Unies (ci-après « ONU ») et 16 organisations intergouvernementales participent aux discussions183. 258 organisations non gouvernementales (ci-après « ONG ») dont la International Federation of Beekeepers, le Sierra Club et l’International Association of Art Critics sont présentes à titre d’observateurs184.

À cette occasion, les parties prenantes soulignent que la biodiversité (l’eau, l’air, les océans, etc.) n’existe qu’en quantité limitée et a donc une valeur économique et sociale, ce pourquoi il nous faut apprendre à la conserver et à l’utiliser durablement185. La conférence favorise également l’identification et l’exploration des conséquences néfastes du développement économique sur l’environnement186. On remarque d’ailleurs que la situation est d’autant plus critique pour les pays en voie de développement qui doivent à la fois lutter contre la pauvreté et chercher à se développer sans menacer l’environnement187. Dans ce contexte particulier, la nature

181 SULLIVAN, E. T., “The Stockholm Conference: A Step toward Global Environmental Cooperation and

Involvement”, Indiana Law Review, vol. 6, n°2, 1972, p. 279.

182 SANDS, P., PEEL, J., FABRA, A., MACKENZIE, R., Principles of International Environmental Law,

Cambridge University Press, Cambridge, 2012, p. 22.

183 NYS, J. (dir.), “The Stockholm Conference: a Synopsis and Analysis”, Stanford Journal of International Studies,

vol. 31, n°78, 1973 p. 31.

184 Id.

185 KISS, C.-A., SICAULT, J.-D., « La Conférence des Nations Unies sur l’environnement (Stockholm, 5/16 juin

1972) », op. cit., p. 627.

186 CAMPBELL, T. E. J., « The Political Meaning of Stockholm: Third World Participation in the Environment

Conference Process », op. cit., p. 138-139.

187 Ibid., p. 139 ; KISS, A., SHELTON, D., Guide to International Environmental Law, Martinus Nijhoff Publishers,

est entendue comme un outil au service des Hommes qu’ils doivent chercher à conserver et à utiliser durablement afin de pouvoir se développer économiquement. Les parties prenantes font ici application de l’approche conservationniste de protection de la nature188.

Durant la Conférence, le Plan d’Action pour l’environnement humain (ci-après « Plan

d’Action »), la Déclaration de Stockholm189, une résolution sur les essais d’armes nucléaires190 et

une résolution sur les dispositions institutionnelles et financières ayant mené à la création du Programme des Nations Unies pour l’environnement (ci-après « PNUE ») sont adoptés191. Le premier192 comporte 109 recommandations et ses grands axes sont le programme mondial d’évaluation environnemental nommé Earthwatch, des activités de gestion environnementale et des mesures internationales 193 pour soutenir les actions nationales et internationales

d’évaluation194 et de gestion195 de l’environnement. Plus précisément ses recommandations n°95

à n°101 envisagent les aspects éducatifs, informatifs, sociaux et culturels des questions environnementales. À travers ceux-ci, le texte prône le renforcement de la recherche concernant l’impact que peut avoir la culture sur la nature. A cet égard, le Secrétaire Général de l’ONU devrait prendre des dispositions pour que le système des Nations Unies établisse des mécanismes de contrôle des développements environnementaux d’un point de vue social et culturel196. Il

devrait également faciliter la création d’indicateurs sociaux et culturels afin de dresser une

188 MAHRANE, Y. et autres, « De la nature à la biosphère. L’invention politique de l’environnement global, 1945-

1972 », op. cit., p. 140.

189 NYS, J. (dir.), “The Stockholm Conference: a Synopsis and Analysis”, op. cit., p. 31.

190 KISS, C.-A., SICAULT, J.-D., « La Conférence des Nations Unies sur l’environnement (Stockholm, 5/16 juin

1972) », op. cit., p. 614.

191 KISS, C.-A., SICAULT, J.-D., « La Conférence des Nations Unies sur l’environnement (Stockholm, 5/16 juin

1972) », op. cit., p. 624 : suite à la conférence sur le thème « développement et environnement », ayant lieu lors de la Conférence de Stockholm, 8 recommandations d’action sont adoptées sur « la coopération régionale, le commerce international, la concurrence entre les produits naturels et les produits de synthèse, le financement supplémentaire pour les dépenses « d’environnement » des pays en voie de développement, la diffusion des techniques industrielles dans les pays pauvres et la prise en considération de l’environnement lors de l’examen et de l’évaluation de la stratégie internationale pour la Deuxième Décennie des Nations Unies pour le développement ».

HARDY, M., “The United Nations Environment Program”, Natural Resources Journal, vol. 13, n°2, 1973, p. 235- 236: Le PNUE est responsable de la mise en œuvre du Plan d’Action ainsi que d’autres activités environnementales qui pourraient être entreprises par l’ONU dans le futur.

192 Plan d’Action pour l’environnement humain, adopté le 16 juin 1972.

193 Ibid., voir « A. Framework for environmental action ». Les mesures internationales sont : éducation et formation,

organisation, information du public, financement et coopération technique.

194 Id., les actions nationales et internationales d’évaluation sont : évaluation et révision, surveillance et échange

d’informations.

195 Id., les actions nationales et internationales de gestion sont : définition et planification des objectifs, recherche,

consultation et accord internationaux.

méthodologie commune d’évaluation des développements environnementaux197. L’objectif est

donc à cette étape d’évaluer les effets sur la nature de la culture face au peu d’information disponible afin de ne pas gaspiller les ressources limitées de l’écosystème terrestre.

En parallèle, le Plan d’Action encourage l’éducation des peuples à la gestion et au contrôle de l’environnement. Le Secrétaire Général et les organisations du système des Nations Unies dont l’UNESCO devraient établir un programme international d’éducation à l’environnement à l’attention du public et en particulier des citoyens ordinaires afin qu’ils apprennent à gérer et contrôler à leur niveau cette ressource précieuse198. Le Secrétaire Général est également invité à prendre des dispositions afin d’établir un programme d’information destiné à créer chez les individus une prise de conscience des problèmes environnementaux dans l’objectif de les associer à leur gestion et contrôle199. En somme le Plan d’Action souligne les effets néfastes des activités humaines de façon générale sur l’écosystème terrestre et omet les cultures utiles à la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité200.

La Déclaration de Stockholm crée de son côté 26 principes communs aux peuples du monde afin de les guider vers la préservation de l’environnement humain201. Elle dispose en son Préambule que :

« L’homme est à la fois créature et créateur de son environnement, qui assure sa subsistance physique et lui offre la possibilité d’un développement intellectuel, moral, social et spirituel. Dans la longue et laborieuse évolution de la race humaine sur la terre, le moment est venu où, grâce aux progrès toujours plus rapides de la science et de la technique, l’homme a acquis le pouvoir de transformer son environnement d’innombrables manières et à une échelle sans précédent. Les deux éléments de son environnement, l’élément naturel et celui qu’il a lui-même créé, sont indispensables à son bien-être et à la pleine jouissance de ses droits fondamentaux, y compris le droit à la vie même ».

197 Ibid., Recommandation 95, d. 198 Ibid., Recommandation 96, 1. 199 Ibid., Recommandation 97, 1, a.

200 DESCOLA, P., « Diversité biologique et diversité culturelle », op. cit., p. 27.

201 SOHN, L. B., “The Stockholm Declaration on the Human Environment”, Harvard International Law Journal,

Si la Déclaration souligne l’interdépendance entre l’Homme et la nature202, c’est en raison

de cette relation203 que la Déclaration souhaite protéger la nature et non pour sa valeur intrinsèque par exemple. Ses rédacteurs font application de l’approche anthropocentrique de protection de la nature qui considère que les humains sont au centre des préoccupations. Dans cette perspective, les Hommes considèrent être au sommet d’une pyramide de valeur qui n’est pas représentative d’autres conceptions de la place des êtres humains au sein d’un écosystème issues de diverses communautés culturelles204. C’est d’ailleurs l’idée que l’Homme est supérieur aux autres êtres vivants qui favorise la crise écologique que nous connaissons aujourd’hui. Le principe 4 de la Déclaration va dans le sens de cette interprétation205. La flore, la faune sauvages et leur habitat sont qualifiés de « patrimoine », notion qui est issue du droit privé et qui fait référence à « l’ensemble des biens aux mains du père de famille, du pater familias »206. Le dernier doit gérer ses biens en « bon père de famille » afin d’assurer leur transmission à ses descendants. C’est en intégrant la scène du droit international que le patrimoine devient celui de la communauté internationale207 qu’elle a le devoir de gérer aux bénéfices des générations futures208. Selon ce

202 Ibid., p. 438.

203 MAHRANE, Y. et autres, « De la nature à la biosphère. L’invention politique de l’environnement global, 1945-

1972 », op. cit., p. 130 : l’interdépendance entre l’homme et son environnement est mise en exergue en 1948 par William Vogt et Fairfield Osborn qui « prophétisent une catastrophe environnementale mondiale à venir ». William Vogt considère la planète comme « un système indissociablement naturel et humain fondé sur la loi de l’interdépendance ». Fairfield Osborn observe que « l’interdépendance économique et l’interdépendance dans le monde naturel […] sont pensées ensemble comme une “loi fondamentale de la nature” ».

204 Par exemple, Philippe Descola établit la distinction entre l’animisme, le naturalisme, le totémisme et

l’analogisme : « [l]’un est caractérisé par de grands écarts dichotomiques, par la prééminence du continu sur le discontinu et par l’inversion des pôles d’inclusion hiérarchique : la continuité des intériorités entre humains et non- humains partageant une même « culture » prend dans l’animisme la valeur de l’universel (par contraste avec le particulier et le relatif qu’introduisent les différences de formes et d’équipements biologiques), tandis que c’est la continuité des physicalités dans le champ unifié de la « nature » qui joue ce rôle dans le naturalisme (par contraste avec le particulier et le relatif qu’introduisent les différences culturelles). L’autre axe privilégie les contiguïtés chromatiques et juxtapose en une symétrie couplée un système de ressemblances tendant vers l’identité, le totémisme, et un système de différences graduelles tendant vers la continuité, l’analogisme » dans DESCOLA, P.

Par-delà nature et culture, Editions Gallimard, Paris, 2005, p. 321-322.

205 « L’homme a une responsabilité particulière dans la sauvegarde et la sage gestion du patrimoine constitué par la

flore et la faune sauvages et leur habitat, qui sont aujourd’hui gravement menacés par un concours de facteurs défavorables. La conservation de la nature, et notamment de la flore et de la faune sauvages, doit donc tenir une place importante dans la planification pour le développement économique ».

206 BOUVERESSE, J., LEMONNIER-LESAGE, V., « Avant-propos : de la propriété au patrimoine », DIONISI-

PEYREUSSE, A., BENOIT, J.-A. (dir.), Droit et patrimoine, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, Mont- Saint-Aignan, 2015, p. 7.

207 MULET-WADY, F., « Quel patrimoine pour l’humanité ? », MUKA TSHIBENDE, L.-D., (dir.), Personne et

patrimoine en droit : variations sur une connexion, Bruyant, Bruxelles, 2012, §2. selon l’auteur, suite à la seconde

guerre mondiale, la prise de conscience des États de la nécessité d’élever au niveau international la protection des droits de l’Homme et de l’humanité engendre l’internationalisation de la notion et protection du patrimoine.

208 ABDULQAWI, A. Y., “Article 1. Definition of Cultural Heritage”, FRANCIONI, F., The 1972 World Heritage

schéma, la communauté internationale est propriétaire de la flore, de la faune sauvages et de leur habitat au même titre qu’un héritage. Or cette approche « paternaliste » est questionnable puisqu’elle contribue à créer la crise écologique que l’on connaît.

Le Plan d’action et la Déclaration de Stockholm ne font pas la lumière sur les modes de gestion « traditionnels » de certaines communautés culturelles propices à la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité. Ce faisant, ils n’encouragent pas leur promotion et protection. Il en est de même pour les textes adoptés après la CNUEH jusqu’en 1992 environ.