• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3. Autorité, démocratie et droits de la personne : l’Église catholique

3.1 L’Église catholique et la démocratie : histoire d’un long rapprochement

3.1.2 La reconnaissance des droits de la personne à l’ère du concile

C’est par l’encyclique Pacem in terris, publiée par le pape Jean XXIII en 1963, que l’Église catholique apporta officiellement son soutien aux droits de la personne. Comme nous l’avons vu, même si ses déclarations laissaient penser qu’il était en faveur de la reconnaissance de tels droits, Pie XII, son prédécesseur, ne s’était jamais officiellement exprimé sur la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le pontificat de Jean XXIII a donc représenté un virage important : à partir de ce moment, l’Église catholique non seulement reconnut les droits de la personne, mais elle en fit aussi une partie intégrante de sa doctrine sociale14. Dans Pacem in terris, qu’il adressa « à tous les

hommes de bonne volonté », Jean XXIII établit, à la manière de la Déclaration de 1948, un véritable catalogue de droits : droit à la vie, à l’intégrité physique et à un niveau de vie décent ; droit au respect et à la liberté de conscience ; droit de travailler et de choisir sa profession ; droit de réunion et d’association ; droit de migration ; droit de participer à la vie politique. Ainsi, ce ne sont pas que des droits abstraits que Jean XXIII énuméra dans Pacem in terris, mais aussi des droits bien concrets. Pour ce pape, c’était en raison de sa nature même que la personne humaine posséde des droits inaliénables :

Le fondement de toute société bien ordonnée et féconde, c'est le principe que tout être humain est une personne, c'est-à-dire une nature douée d'intelligence et de volonté libre. Par là même il est sujet de droits et de devoirs, découlant les uns et les autres, ensemble et immédiatement, de sa nature : aussi sont-ils universels, inviolables, inaliénables15.

L’encyclique Pacem in terris attribuait ainsi à l’être humain non seulement des droits, mais également des devoirs, ce que ne faisait pas la Déclaration universelle des droits de

13 Bolté, p. 39-40.

14 Otfried Höffe, « Le pape Jean Paul II et les Droits de l’homme », dans Otfried Höffe et al., Jean Paul II

et les Droits de l’homme. Une année de pontificat, Fribourg (Suisse), Éditions Saint-Paul, 1980, p. 17.

l’homme16. Parmi ces devoirs, l’encyclique recensait entre autres ceux de réciprocité et

de collaboration.

Dans Pacem in terris, Jean XXIII n’indiquait toutefois pas explicitement si l’Église

catholique soutenait un type particulier de régime politique17 ; comme Pie XII l’avait fait

avant lui, Jean XXIII affirmait qu’il revient aux différents peuples de choisir eux-mêmes le régime politique qui correspond le mieux à leur propre personnalité :

Il est impossible de définir une fois pour toutes quelle est la structure la meilleure pour l'organisation des pouvoirs publics, et selon quelles formules s'exerceront le mieux les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. En effet, pour déterminer la forme du gouvernement et les modalités de son fonctionnement, la situation particulière et les circonstances historiques de chaque peuple sont d'un très grand poids ; or, elles varient selon les temps et les lieux. […]18

Malgré la neutralité officielle de Jean XXIII en matière de régime politique, de nombreux passages de Pacem in terris laissaient clairement entendre que ce pape accordait désormais sa préférence aux régimes démocratiques et à l’État de droit19. Par

exemple, Jean XXIII prenait la peine de souligner que la conception de l’autorité mise de l’avant par l’Église catholique n’excluait d’aucune manière son incarnation dans les régimes démocratiques :

L’origine divine de l’autorité n’enlève aucunement aux hommes le pouvoir d’élire leurs gouvernants, de définir la forme de l’État ou d’imposer des règles et des bornes à l’exercice de l’autorité. Ainsi, la doctrine que Nous venons d’exposer convient à toute espèce de régime vraiment démocratique20.

Dans le chapitre IV de la constitution pastorale Gaudium et spes, intitulé « La vie de la communauté politique », le concile Vatican II21 se pencha lui aussi sur les rapports de

l’État avec ses citoyens. Selon Roberto Tucci, le n° 74 de ce chapitre représentait un

16 Pierre de Charentenay, « Pacem in terris », Doctrine sociale de l’Église catholique (CERAS), [En ligne],

http://www.doctrine-sociale-catholique.fr/index.php?id=1759 (Page consultée le 7 juillet 2013).

17 Herbert Schambeck, La dignité de l’homme dans l’enseignement de l’Église catholique, Strasbourg,

Éditions du Signe, 2010, p. 41-42.

18 Pacem in terris, § 67-68.

19 Kurt Remele, Ziviler Ungehorsam: Eine Untersuchung aus der Sicht christlicher Sozialethik, Münster,

Aschendorff, 1992, p. 46-47.

20 Pacem in terris, § 52.

21 Pour des informations générales sur le déroulement du concile Vatican II, voir le sous-chapitre 2.3.1 de

véritable renversement de perspective : alors que par le passé, la doctrine catholique s’était surtout préoccupée du problème de l’autorité (son origine, sa justification),

Gaudium et spes mettait plutôt l’accent sur la communauté politique et son objectif

ultime, l’atteinte du bien commun22. La définition du bien commun retenue par la

constitution pastorale était celle que Jean XXIII avait formulée en 1961 dans son encyclique Mater et magistra : « […] l'ensemble des conditions sociales permettant à la personne d’atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement23. »

En matière politique, la constitution pastorale Gaudium et spes reprenait en bien des points les idées exposées par Jean XXIII dans Pacem in terris, dont celle du choix du régime politique :

De toute évidence, la communauté politique et l’autorité publique trouvent donc leur fondement dans la nature humaine et relèvent par là d’un ordre fixé par Dieu, encore que la détermination des régimes politiques, comme la désignation des dirigeants, soient laissées à la libre volonté des citoyens. […] Quant aux modalités concrètes par lesquelles une communauté politique se donne sa structure et organise le bon équilibre des pouvoirs publics, elles peuvent être diverses, selon le génie propre de chaque peuple et la marche de l’histoire. Mais elles doivent toujours servir à la formation d’un homme cultivé, pacifique, bienveillant à l’égard de tous, pour l’avantage de toute la famille humaine24.

Comme l’encyclique Pacem in terris, la constitution pastorale Gaudium et spes ne parlait pas explicitement de « démocratie » ; malgré tout, le soutien que l’Église catholique accordait désormais à cette option politique y était apparente, puisque la constitution rejetait les gouvernements despotiques et soutenait ouvertement les droits de la personne. De plus, Gaudium et spes exprimait le souhait que les États offrent à leurs citoyens la possibilité de prendre part activement à la vie publique et à l’élection de leurs gouvernants25 :

22 Roberto Tucci, « La vie de la communauté politique », dans Philippe Delhaye, Yves Marie-Joseph

Congar et Michel Peuchmaurd, dir., L’Église dans le monde de ce temps. Constitution pastorale

"Gaudium et spes", tome II : Commentaires, Paris, Cerf, 1967, p. 549.

23 Jean XXIII, Encyclique Mater et magistra, 1961, § 65. 24 Gaudium et spes, n° 74, § 3 et 6.

25 Paolo G. Carozza et Daniel Philpott, « The Catholic Church, Human Rights, and Democracy:

Convergence and Conflict with the Modern State », Logos: A Journal of Catholic Thought and Culture, vol. 15, n° 3 (été 2012), p. 23.

Il est pleinement conforme à la nature de l’homme que l’on trouve des structures politico-juridiques qui offrent sans cesse davantage à tous les citoyens, sans aucune discrimination, la possibilité effective de prendre librement et activement part tant à l’établissement des fondements juridiques de la communauté politique qu’à la gestion des affaires publiques, à la détermination du champ d’action et des buts des différents organes, et à l’élection des gouvernants. Que tous les citoyens se souviennent donc à la fois du droit et du devoir qu’ils ont d’user de leur libre suffrage, en vue du bien commun. L’Église tient en grande considération et estime l’activité de ceux qui se consacrent au bien de la chose publique et en assurent les charges pour le service de tous26.

Quant à la Déclaration universelle des droits de l’homme, la constitution pastorale

Gaudium et spes n’en faisait pas explicitement mention. Néanmoins, elle semblait

l’approuver implicitement, car elle dressait une liste des droits humains essentiels – bien que moins développée que celle contenue dans Pacem in terris – et elle rendait hommage aux institutions internationales27. Mais plus encore que Pacem in terris et

Gaudium et spes, c’est la déclaration Dignitatis humanae28 du 7 décembre 1965 qui

constitua la preuve la plus tangible du ralliement de l’Église catholique à la démocratie et aux droits de la personne ; par ce document, le concile n’appelait pas seulement à la tolérance envers les autres religions que le catholicisme, elle soutenait également que la liberté de conscience et de croyance constitue un droit inaliénable de la personne :

Ce Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être exempts de toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même. Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil29.

Lorsque l’on se remémore le Syllabus de Pie IX, cette prise de position représentait un changement radical dans la doctrine catholique. Par cette reconnaissance de la primauté

26 Gaudium et spes, n° 75, § 1. 27 Bolté, p. 53.

28 Sur l’histoire de la déclaration Dignitatis humanae – et en particulier sur le rôle prépondérant du jésuite

John Courtney Murray dans son élaboration – voir Dominique Gonnet, La liberté religieuse à Vatican II.

La contribution de John Courtney Murray, s.j., Paris, Cerf, 1994.

de la conscience, l’Église passa ainsi de la défense des droits de la « Vérité » à celui des droits de la personne30.

3.2 « La démocratie commence à la maison » : la démocratisation graduelle de la famille ouest-allemande au cours des années 1950 et 1960