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Chapitre 3. Autorité, démocratie et droits de la personne : l’Église catholique

3.1 L’Église catholique et la démocratie : histoire d’un long rapprochement

3.2.1 Le débat sur l’Elternrecht lors de l’adoption de la Loi fondamentale

En décembre 1944, l’allocution de Pie XII sur la démocratie avait surpris les évêques catholiques allemands, car elle rompait avec la tradition d’indifférence de l’Église en matière de régime politique31. Malgré la prise de position du pape, certains évêques,

ayant encore à l’esprit la République de Weimar, continuèrent tout de même à exprimer des réserves vis-à-vis des régimes démocratiques32. Cependant, après l’expérience de la

dictature nazie, les catholiques allemands dans leur ensemble ne considérèrent désormais plus sérieusement aucune autre option politique que celle de la démocratie33.

Le souci de l’Église fut alors de s’assurer que le Conseil parlementaire mis sur pied pour rédiger la constitution de la future RFA y inscrive l’inviolabilité des droits de la personne, la protection du mariage et de la famille, ainsi que la confirmation de l’Elternrecht (« droit parental »)34. Ce dernier point fut d’ailleurs à l’origine des

premières frictions entre l’Église catholique et la démocratie ouest-allemande. Devant le refus d’une majorité des membres du Conseil parlementaire d’ancrer ce droit dans la Loi fondamentale, les évêques Keller de Münster et Stohr de Mayence, appuyé par le Zentrum et le secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur du Land de Rhénanie- Palatinat, Franz-Joseph Wuermeling, appelèrent à voter contre l’adoption de la nouvelle constitution. Wuermeling, qui allait devenir, en 1953, ministre fédéral de la Famille, soutenait que le modèle de la famille « bourgeoise » et patriarcale représentait le meilleur

30 Uertz, Vom Gottesrecht zum Menschenrecht, p. 481-482. 31 Gauly, p. 70.

32 Schewick, p. 19. 33 Spieker, p. 77. 34 Gauly, p. 107.

garant de la stabilité et le plus solide rempart à la fois contre le passé nazi et contre la menace communiste présente35.

En quoi consistait donc cet Elternrecht qui menaça de faire avorter la Loi fondamentale ? Dans la tradition catholique allemande, l’Elternrecht était à la fois un droit et un devoir des parents à l’égard de leurs enfants, qui leur était conféré en vertu de leur statut de géniteurs. L’une des composantes principales de l’Elternrecht était le droit des parents d’élever eux-mêmes leurs enfants. Bien qu’en milieu catholique, l’Église ait disposé d’une certaine primauté en matière d’éducation de la jeunesse, l’Elternrecht faisait en sorte que les parents gardaient malgré tout le dernier mot en la matière. Les dispositions de l’Elternrecht ne concernaient pas uniquement l’Église, mais également l’État ; ainsi, ce n’est que dans des cas d’abus de l’autorité parentale que l’État pouvait justifier le retrait aux parents de leurs prérogatives sur l’éducation de leurs enfants36.

Absent des énumérations de droits fondamentaux des constitutions libérales du XIXe siècle, l’Elternrecht n’est apparu en Allemagne qu’au XXe siècle. Auparavant, les

lois scolaires qui rendaient obligatoire la fréquentation de l’école primaire ne garantissaient aux parents aucun droit de regard sur l’éducation que recevaient leurs enfants. Ce n’est que lors de la rédaction de la constitution de la République de Weimar que l’Elternrecht fut introduit pour la première fois dans le catalogue des droits fondamentaux. L’Elternrecht portait sur deux points en particulier : le droit pour les parents d’élever leurs enfants à l’intérieur du cadre de la famille (article 120) et la création, à la demande éventuelle des parents, d’écoles primaires confessionnelles publiques (article 146, paragraphe 2). Cette dernière disposition demeura toutefois lettre morte, car la loi scolaire qui aurait été nécessaire pour la mettre en application ne put être promulguée pendant la République de Weimar37. Bafoué sous le Troisième Reich,

l’Elternrecht fit un retour en force après 1945 ; dans le deuxième paragraphe de son

35 Till van Rahden, « Demokratie und väterliche Autorität: Das Karlsruher „Stichentscheid“-Urteil von

1959 in der politischen Kultur der frühen Bundesrepublik », Zeithistorische Forschungen/Studies in

Contemporary History [En ligne], vol. 2, n° 2 (2005), passage n° 2, http://www.zeithistorische-

forschungen.de/16126041-Rahden-2-2005 (Page consulté le 5 juillet 2013).

36 Matthias Jestaedt, « Elternrecht. I. Im katholischen Verständnis », Lexikon für Theologie und Kirche,

3e éd., Fribourg-en-Brisgau, Herder, 1995, vol. 3, col. 613.

37 Ingo Richter, « Elternrecht », Religion in Geschichte und Gegenwart, 4e éd., Tübingen, Mohr Siebeck,

article 6, la Loi fondamentale intégra les garanties de l’article 120 de la constitution de Weimar. Néanmoins, il en alla tout autrement de l’article 146 sur les écoles confessionnelles38. Lors des travaux du Conseil parlementaire, nulle question ne suscita

en effet autant de controverses que celle de cette composante de l’Elternrecht39. Les

tenants de ce droit – au premier rang desquels figuraient les représentants de l’Église catholique – rejetaient un monopole de l’État dans le domaine de l’éducation40. Ils

souhaitaient plutôt que les enfants catholiques puissent fréquenter des écoles confessionnelles financées par l’État dans lesquelles ils recevraient un enseignement catholique intégral : tous les cours – et non seulement ceux d’enseignement religieux – seraient données par des enseignants catholiques41. La raison principale de ce désir

d’enseignement catholique intégral nous est donnée par le jésuite Hirschmann, qui écrivait que « le cours d’enseignement religieux ne suffit pas à éduquer dans l’esprit d’une religion : la religion doit supporter et traverser tout l’enseignement. Si elle ne le fait pas, la séparation de l’enseignement religieux d’avec les autres matières favorise la séparation de la religion d’avec la vie de l’élève42 ». Du côté protestant, bien que l’on ait

aussi cru important de rétablir une influence chrétienne dans le milieu de l’éducation, on ne considérait pas les écoles confessionnelles comme indispensables ; des écoles non- confessionnelles offrant un enseignement religieux étaient jugées suffisantes43.

Malgré tout, il ne faudrait pas croire que c’est une majorité de catholiques allemands qui s’opposaient à l’adoption de la Loi fondamentale parce qu’elle n’intégrait pas toutes les dispositions de l’Elternrecht ; en fait, ces opposants ne formaient qu’une faible minorité. Le cardinal Frings et la majorité des évêques allemands, avec l’appui de la CDU, se montraient quant à eux favorables au projet de constitution, même s’ils

38 Richter, col. 1235.

39 Spotts, p. 186. 40 Schewick, p. 20. 41 Spotts, p. 186.

42 « […] genügt der Religionsunterricht nicht für eine volle Erziehung im Geiste einer Religion: die

Religion muß den ganzen Unterricht tragen und durchdringen. Tut sie das nicht, so begünstigt die Trennung von Religionsunterricht und anderen Fächern nur die Trennung von Religion und Leben beim Schüler. » (Hans Hirschmann, Die Grundrechte des Menschen: Predigten über die zehn Gebote und das Bonner Grundgesetz, Paderborn, Bonifacius-Druckerei, 1949, p. 18).

43 Gerhard Kraiker, Politischer Katholizismus in der BRD. Eine ideologiekritische Analyse, Stuttgart,

désiraient certaines modifications44. Cependant, devant l’impossibilité des chrétiens-

démocrates de s’entendre avec les libéraux et les sociaux-démocrates sur la question de l’école confessionnelle45, le Conseil parlementaire décida de laisser aux Länder

l’initiative de légiférer en la matière46. En guise de compromis, on décida d’inscrire dans

l’article 7 de la Loi fondamentale que l’enseignement religieux représentait un élément fondamental du curriculum scolaire des écoles ouest-allemandes47.