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L’O BSERVATOIRE DES M EDIATIONS : UN OUTIL RENFORCE

1. La prescription chez les magistrats

1.2. Reconnaître cette activité à part entière ou la considérer comme « annexe » ?

Une des difficultés pour les magistrats est de trouver une place à consacrer à la médiation au sein de leur activité qu’ils décrivent comme très chargée. De ce fait, on peut penser que la volonté ou l’intérêt pour la médiation, s’ils sont des éléments essentiels, ne sont pas suffisants : il faut que la médiation puisse ne pas être trop chronophage ou bien que cet obstacle soit compensé par une dynamique forte comme l’explique ce magistrat qui se consacre depuis peu aux dossiers de médiation :

« Demain si cette dynamique elle est plus là, pour quelqu’un qui arrive, ça sera à mon avis vu comme la charge de travail et le travail que demande la médiation, ça va pas être le premier truc qui sera fait, à mon avis hein. Mais quand la dynamique est là, parce qu’elle a

été impulsée par le responsable de la chambre ou du service et que vous êtes – je parle d’expérience – et que vous y êtes plutôt favorable, vous vous glissez dedans j’allais dire. Et

puis du coup vous faites aussi l’effort de prendre du temps sur des dossiers parce que ça bouge, ça avance etc. Mais c’est vrai que c’est une question de... Ca prend du temps. C’est

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Car, si la médiation peut apparaître comme porteuse d’une fluidification de l’activité judiciaire, reste que les magistrats n’ont pas toujours le temps suffisant à lui consacrer. De sorte que la médiation judiciaire peut être même perçue comme concurrente avec l’activité judiciaire traditionnelle.

L’autre dimension qui transparait brièvement dans l’extrait précédent est celle du soutien institutionnel. Au cours de notre étude, la situation a considérablement évoluée dans le sens où nous avons pu observer que les dirigeants de juridictions faisaient de la médiation un processus à développer. Il faut voir là les déclinaisons locales de la loi J21 et de son orientation forte vers les modes amiables de règlement des litiges. Il semble donc important pour les magistrats prescripteurs d’être soutenu dans leur initiative. Ces soutiens sont bien évidemment institutionnels mais peuvent avoir des conséquences concrètes comme l’affectation d’un assistant de justice au TGI de Lyon auprès d’un des principaux magistrats prescripteurs.

Toutefois, il ne faudrait pas faire endosser à la médiation des missions auxquelles elle ne pourrait pas répondre comme celle de fluidification de l’activité judiciaire ou de désengorgement des tribunaux. Nos interlocuteurs ont été unanimes pour préciser qu’il ne fallait pas compter sur ce processus pour répondre à ces exigences bureaucratiques :

« Si c’est la conséquence [la fluidification] c’est très bien, si c’est la conséquence ! Mais il ne faut pas que ça soit le but initial, de dire “tient, on va désengorger en faisant comme ça”. Il ne faut pas que ça soit l’objectif de départ, il faut que ça soit finalement la conséquence de

ce qu’on fait. Mais on peut pas… on peut pas aller nous dans le même sens quoi, parce qu’il faut qu’on rende quelque chose de qualité quand même aussi. On nous parle beaucoup de masse, on nous parle beaucoup de chiffres, on nous parle énormément de ça. Vous pouvez pas savoir comment on est envahi par ça. Donc on essaye un peu de combattre cette histoire

de quantité par une histoire de qualité, de conserver une qualité. On a beaucoup de mal parce que y a une telle grosse masse qu’on nous demande de gérer dans un temps limité, qu’on a de plus en plus de mal à faire ce travail là. Donc on lutte un peu pour dire “voilà, c’est pour désengorger, c’est pour ci, c’est pour ça”. On essaye de pas parler chiffre quoi. Ca nous hérisse un peu en ce moment les histoires de chiffres. » Magistrat – TGI de Lyon.

Prescrire la médiation conduit souvent à ajouter de l’activité à celle plus classique du magistrat, d’autant que le coût d’entrée n’est pas négligeable, dans le sens où les magistrats prescripteurs ne peuvent suivre une procédure déjà en place et qui aurait fait ses preuves. C’est pourquoi ils se lancent dans des expérimentations qui exigent du temps et de la réflexion pour les mettre en place et les faire exister. Mais cette activité ne peut être que périphérique.

Nous avons constaté que pour répondre à ces exigences, sans doute faut-il que le magistrat puisse être libéré (ou se sentir libre) des contingences de carrière, qui lui demandent de répondre à des critères de plus ne plus basés sur des évaluations quantitatives et bureaucratiques. Ainsi, les magistrats prescripteurs ont souvent dépassés leur mi-carrière, voire sont proches se sa fin. L’enquête quantitative confirme cela car la moyenne d’ancienneté qui est de 22 ans et la médiane de 26 années d’exercice. Ceci explique également que nous trouvons paradoxalement plus d’activité de médiation en cour d’appel qu’en TGI et très peu en TI, où elle connait aussi la concurrence de la conciliation. Tout se passe comme si deux nécessités se croisent : avoir fait un parcours conséquent dans la magistrature et se dégager du temps pour développer des actions de médiation.

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Il s’agit également de magistrats ayant un regard réflexif sur leur parcours où le passage par les petits conflits et les TI apparait à leurs yeux comme l’essence même de l’activité du magistrat. Cette posture lointaine est assez souvent reliée avec l’investissement actuel dans les activités de médiation.

Reste la question posée : celle de faire de l’activité de prescription de la médiation une activité pleine et entière ou bien une activité « annexe », une mission pour tous les magistrats ou pour certains plus spécialisés ?

Sur le premier point, l’évolution institutionnelle tend à sortir la médiation et les modes amiables d’une certaine marginalité. Les magistrats semblent enclins à en faire de même : ceux ayant répondu à l’enquête statistique sont à près des ¾ (71%) favorables à la comptabilisation du temps de prescription dans l’activité du juge45. Le terrain est donc propice pour une reconnaissance de cette activité comme une mission du juge.

Quant au second, les magistrats et les autres acteurs interrogés sont plus mitigés. Lorsqu’on propose de créer un magistrat dédié, spécialisé pour tout ce qui touche à la médiation, l’adhésion est absente chez les avocats, mitigés chez les magistrats et significative uniquement chez les médiateurs, ces derniers souhaitant plus fortement un interlocuteur reconnu.

Opinion des magistrats, médiateurs et avocats à l’instauration d’un un magistrat dédié à la médiation

Etes-vous Pour développer

la médiation, faudrait-il un magistrat dédié ?

Magistrat Médiateur Avocat Total Eff. % Rep. Eff. % Rep. Eff. % Rep. Eff. % Rep.

oui 10 58,8% 23 74,2% 12 24% 45 45,9%

non 7 41,2% 8 25,8% 38 76% 53 54,1%

Total 17 100% 31 100% 50 100% 98 100,0%

Mais les résultats statistiques ne permettent pas d’affirmer qu’il s’agit là d’une attente particulière des magistrats ; nombreux sont ceux qui tiennent à ce que la médiation ne deviennent pas en quelque sorte une spécialité.

S’ils ne souhaitent pas ou peu interférer dans le choix du médiateur, il demeure que les magistrats identifient la nécessité de bénéficier d’un stock de médiateurs assez important pour que cela ne devienne pas un obstacle à la prescription. C’est ce à quoi tente de répondre les initiatives qui visent à établir une liste de médiateurs comme c’est le cas à Toulouse46, Pau ou Paris, en préparation au TGI de Lyon et sans doute ailleurs. Pour l’heure il n’est pas prévu dans les textes que ces listes soient systématiquement à disposition des magistrats. En outre, le décret les concernant n’a pas encore paru. On peut le regretter au regard des témoignages des magistrats car il semble que cette absence puisse être un frein à la prescription. Ce que résume assez clairement ce magistrat lyonnais :

45 Ils sont 63% sur l’ensemble des répondants à l’enquête.

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« Ca, à mon avis c’est un problème de base. Si on ne met pas d’outils faciles à la disposition du juge, qu’il soit favorable ou réticent, ça va pas le pousser à. Donc effectivement,

s’il y a des listes qui sont établies, du genre de la liste des experts, pour faire un parallèle, où on sait qu’on va aller puiser sur cette liste quelqu’un qui est susceptible de répondre à ce qu’on veut, je pense que ça va faciliter une certaine prise de décision. Si vous êtes en train de vous dire peut-être on pourrait envisager une médiation, on va voir le collège : “tu connais un médiateur ?” “Ah ben non, j’en connais pas…”, “Bon je vais peut-être pas le faire…”

[rires] » Magistrat – CA de Lyon.

Au-delà de la question factuelle de facilitation de l’accès à un médiateur ou une association de médiation pour n’importe quel magistrat, cette absence de référencement participe à l’affaiblissement du dispositif si l’on poursuit le raisonnement de ce magistrat. En effet, ne pas rendre l’offre de médiation aisément disponible peut être entendu comme le signe d’une moindre importance et une forme de dépréciation de son statut.

Ce manque de reconnaissance n’est pourtant pas tant le fait des magistrats semble-t-il. Un indice, celui de la rémunération du médiateur, illustre parfaitement la présence d’une sorte de statut du médiateur dans l’esprit des magistrats que nous avons rencontrés. Ils sont assez hostiles à considérer que la prestation du médiateur doit être « gratuite », en premier lieu parce que c’est une pratique qui a cours dans la conciliation, ce qui joue en sa défaveur voire entretient la confusion entre l’une et l’autre.

Mais ils le sont également parce que la justice n’est pas gratuite, qu’elle comporte souvent des coûts invisibles plus élevés dans le cas d’une procédure traditionnelle que dans un processus amiable. Dès lors, il est logique que la prestation du médiateur soit rémunérée, et ce, par les médiés eux-mêmes. S’il s’agit là de dispositions prévues dans les textes, dans la réalité des aménagements sont possibles et constatée. Cela n’invalide pas au contraire que la médiation est un processus rémunérée :

« Alors le coût… En matière sociale il est très modeste puisqu’il était de 600, chaque partie avançant la moitié. Après c’est au niveau de la médiation de déterminer qui va au

final prendre en charge les 600 euros en question. Ca parait quand même pas échevelé. Faudrait-il le faire gratuitement ? Ca ne me parait non plus une bonne solution. Parce que tout travail mérite salaire. C’est une démarche. Il est normal que, si on parvient à un accord,

il est normal que l’apport du médiateur dans cet accord soit rémunéré. En matière commercial, on peut se demander si nos tarifs, qui sont de 1000€, ne sont pas complètement

dérisoires. Et si ça ne nuit pas à l’intérêt que peut présenter cette démarche. Il faudrait y réfléchir. » Magistrat – CA de Lyon

Ce magistrat semble tâtonner non pas sur le principe de rémunération mais plutôt sur son montant et sa détermination, sachant que les usages de la médiation conçoivent que ce sont aux médiés à s’entendre sur ce montant. Or, en médiation judiciaire, des tarifs sont prévus et ce de manière récurrente. Nous avons pu constater, comme précisé dans l’entretien ci-dessus, que la pratique était de 600 € pour la chambre sociale de la CA de Lyon. En matière commerciale, ils sont légèrement plus élevés. Cependant, des fluctuations sont très probables, tant sur la répartition entre les médiés que sur le montant réel et définitif versé au médiateur.

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Sur cette question, on constate que les positions entre les prescripteurs sont assez variables. Si la moyenne minimale se situe en-dessous des sommes généralement observés (autour de 600 €), dans le tableau suivant on constate surtout que le niveau de rémunération attendue est nettement supérieur chez les avocats, sans doute parce qu’ils s’appuient sur les normes professionnelles qui leurs sont communes. Quant aux médiateurs, ils sont dans une position médiane qui marque sans doute une difficulté à fixer des marges stables concernant le coût de leur prestation. Autrement dit, il semble bien que les normes de rémunération du médiateur soient encore à déterminer. Mais si l’on tient compte de ces évaluations, la rémunération attendue ou estimée du médiateur pour sa prestation est supérieure à celle qui a cours généralement.

Opinion des magistrats, médiateurs et avocats à propos de la rémunération maximum/minimum pour une médiation judiciaire

Magistrat Médiateur Avocat Total Moyenne Mini 554 € 1065 € 1226 € 1026 €

Moyenne Max 3170 € 3390 € 5979 € 4395 €

Toutefois, se poser cette question et y répondre ouvertement, c’est avancer dans le sens d’une professionnalisation de la médiation, position qui n’est pas soutenue par l’ensemble des magistrats. Car, pour l’heure ils ne leur semblent pas y avoir assez d’activité pour faire vivre des médiateurs, même s’ils constatent dans le même temps que celle-ci se développe. Sans doute faut-il y voir la crainte d’engager une professionnalisation alors que les dispositifs de médiation judicaire sont encore balbutiants et fragiles. Ce n’est donc pas une position de principe, mais plus une position pragmatique et de prudence.