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PRESCRIPTION DE LA MEDIATION

2. illustrations d’expérimentations

2.5. La Chambre sociale de la Cour d’appel de Paris

Comme à la Cour d’appel de Lyon, la chambre sociale semble être le principal terrain d’expérimentation de médiation judiciaire dans ce ressort67.

Sans revenir aux balbutiements qui laissaient une grande confusion entre conciliation et médiation68, dans cette chambre deux expériences ont eu cours à partir de 2011, l’une d’entre elle fonctionnant encore de nos jours. La première s’est construite autour de la technique dite de la « double convocation ». Cette initiative, a largement profité des travaux de la commission Magendie qui prônaient « des recommandations dont celle d’une offre de médiation avant l’audience et au cours de celle-ci » (Holleaux, 2016). Ces orientations ont visiblement été entendu puisque fin 2009, des permanences de médiateurs présents lors des audiences de fond sont organisées, tandis que moins deux ans plus tard c’est en amont de l’audience que des propositions de médiation sont transmises aux parties de dossiers sélectionnés.

67 Il faut signaler que cette expérience bénéficie de l’activité de promotion des modes amiables réalisée par Fabrice

Vert (2011) depuis de nombreuses années, en qualité de chargé de mission du premier président de la Cour d’appel de Paris. C’est dans ce sillage que l’expérimentation que nous décrivons se situe.

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- la double convocation.

Ce dispositif consiste à convoquer des parties des affaires dont les dossiers sont jugés susceptibles de trouver une issue via la médiation. Il est assez complexe et mobilise tant les magistrats que les greffes. À la Cour d’appel de Paris, la présence d’un assistant de justice qui est la cheville ouvrière de la « cellule de médiation » semble avoir été décisive pour la réalisation de l’opération. La sélection est opérée par ce dernier sous le contrôle du magistrat. Le service des greffes contacte ensuite les parties qui répondent favorablement ou non à cette sollicitation. En cas d’adhésion au processus, le magistrat désigne un médiateur par voie d’ordonnance. Sinon, l’affaire est jugée.

Cette expérimentation a été suspendue en juin 2015, pour des raisons de réorganisation des services et l’application d’un nouveau contrat d’objectifs. Mais elle l’a été également en raison de résultats décevants69, l’explication résidant dans « un manque d’enthousiasme de la part de certains avocats peu réceptifs aux changements… » (Holleaux, 2016, p. 177). Le faible volume des médiations ordonnées comparativement à la mobilisation des moyens mis en œuvre a conduit les autorités judiciaires à remettre en cause ce dispositif et à le suspendre.

Reste que ce modèle, très structuré, a sans doute essaimé dans d’autres juridictions, puisque nous en avons retrouvé des traces dans celles lyonnaises. Il n’est donc pas totalement abandonné même si cette expérience a démontré l’importance de bénéficier de moyens spécifiquement alloué, comme un assistant de justice.

- les permanences des médiateurs aux audiences de fond

Le second dispositif, toujours d’actualité, consiste à proposer une médiation pour des dossiers encore une fois sélectionnés en amont par le magistrat, celui-ci profitant de la présence sur place de médiateurs pour inviter les parties (et leur conseil) à s’informer sur la médiation et comprendre pourquoi cette voie leur est proposée. Il a donc fallu organiser la présence continue de médiateur dans ces audiences, travailler en collaboration avec les principales associations de médiateurs qui intervenaient également dans le premier dispositif70. Le conseiller à la chambre sociale de la CA de Paris qui coordonne ce dispositif, note que celui-ci est plus efficace que le précédent. Pour la seule année 2014, lorsque la médiation a été proposée (après sélection) et que les parties ont rencontré le médiateur, cela s’est soldé par une adhésion au processus dans près de 40% des cas. À l’évidence la prescription que l’on pourrait qualifier de « directe » a des vertus que ne possède pas celle « indirecte », à savoir d’un courrier de convocation.

Toutefois la procédure a de quoi décontenancer les avocats. Nous avons recueillis indirectement un témoignage d’un avocat lyonnais – pourtant acquis à la médiation et à ses intérêts – qui faisait part de son étonnement face à ce dispositif :

« À la chambre sociale de Paris, les médiateurs sont présents aux audiences de jugement. Donc quand on arrive avec notre dossier de plaidoirie pour plaider un dossier, on nous dit au début “bon il y a un médiateur qui est là. Si vous voulez le rencontrer…” On vient plaider

le dossier. On va pas aller… faire une médiation à ce stade-là. Enfin, c’est 10 fois trop tard ! [rires] C’est complètement… C’est un non-sens pour moi ce qu’ils font à Paris… Le

jour où on vient plaider. Donc on a tout en tête sauf de se dire : “ben finalement je vais pas

69 En 2014, 980 affaires avaient été sélectionnées ; les deux parties étaient présentes à la convocation dans seulement

124 d’entre elles et 31 ont débouché sur une ordonnance de désignation du médiateur, soit 3%.

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plaider mon dossier, je vais plutôt rencontrer un médiateur…” Alors qu’on a attendu 3 ans pour être audiencer ! C’est absurde ! » Avocat – Lyon

À l’inverse, un de ses confères, dans la même situation, nous a fait part de son vif intérêt pour ce fonctionnement :

« On avait gagné devant les prud’hommes, on allait pour plaider et la magistrate nous dit “j’ai bien pris connaissances des dossiers. Simplement, je souhaite pas que vous plaidiez les dossiers aujourd’hui, je souhaite que vous soyez vu par le médiateur qui est à côté”. Donc

on s’est enfermé dans une pièce à côté avec le médiateur et le médiateur nous a convaincu… parce que c’était vraiment des grosses problématiques, il y avait des enjeux (…) Et puis finalement après trois rendez-vous on a trouvé un accord total. Et je pense que c’était bien joué de la présidente parce que l’entreprise X au départ ne voulait pas entendre parler de la

médiation mais sous la pression de la présidente : “Dans un dossier comme ça, j’pense que c’est intéressant parce que outre le problème financier il y a également le client, il a encore 10

ans à travailler au sein de l’entreprise X”. Et finalement l’entreprise X a indemnisé mon client et lui a trouvé un poste qui lui convenait à côté de son domicile. Mais là moi je l’ai vu

– pourtant moi je plaide pratiquement dans toutes les cours d’appel en France – je l’ai vu qu’à la Cour d’appel de Paris. C’est intéressant. (…) Avoir le médiateur avant l’audience

c’est quand même intéressant. » Avocat - Lyon

Il semble donc que les difficultés rencontrées dans le premier dispositif ne soient pas totalement levées dans le second, que l’association des avocats à ce processus soit encore à construire, même si on peut porter des espoirs raisonnables. Car si « avec l’expérience, on s’aperçoit que les résultats de ces permanences sont directement fonction du degré d’implication des juges et de la place qu’ils entendent donner aux médiateurs qui les assistent dans cette tâche » (Holleaux, 2016 p. 177), il ne faudrait peut-être pas négliger ou oublier de définir la place de l’avocat dans ce dispositif, surtout quand celui-ci est peu au fait de son existence.

Ces deux expériences nous semblent avoir ciblé un des enjeux primordiaux de la prescription de la médiation à savoir la présentation de la médiation. Comme le précise Benoit Holleaux dans un article synthétique sur ces expérimentations à la Cour d’appel de Paris (Holleaux, 2016), il convient de réfléchir à la « proposition sérieusement faite aux parties d’une entrée en médiation » et « au contenu de l’information transmise ». Car cette information est là pour donner des éléments tangibles et concrets pour que les parties puissent entreprendre un choix et non pour justifier le choix a priori que le magistrat a pu faire, ce qui confinerait à une sorte de médiation obligatoire.

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PARTIE E

DES OBSTACLES IDENTIFIEES AUX PROPOSITIONS