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PRESCRIPTION DE LA MEDIATION

1. Les principes communs

Avant d’entrer dans la description de ces expériences, nous proposons de souligner des éléments qu’ils possèdent en commun. Ils correspondent généralement aux principales questions que se sont posés leurs promoteurs avant et pendant leur mise en œuvre. Synthétiquement, il s’agit de délimiter le champ d’application de l’opération par rapport aux dossiers traités par la juridiction (sélection ou non des dossiers et sous quelle forme ?), de formaliser la manière dont les justiciables et leurs conseils vont être informé de la démarche et de sa mise œuvre possible dans le cas qui les concerne (comment présenter le dispositif ?) et enfin faire en sorte que le processus soit assez alimenté en affaires pour qu’il puisse démontrer, à d’autres collègues ou aux autorités judiciaires, que cette forme de prescription de la médiation est efficace.

1.1. Sélectionner des dossiers

La sélection des dossiers est sans doute le problème qui émerge en premier pour le promoteur d’une expérience de médiation judiciaire. Etant donné que le cadre légal n’indique pas précisément quelle marche à suivre, le magistrat possède une grande latitude en la matière.

Il peut très bien considérer qu’il est opportun de ne pas choisir, c’est-à-dire de ne pas faire de sélection, considérant alors que les catégories juridiques ne sont pas des canevas assez pertinents pour discriminer les litiges « médiables » de ceux qui ne le seraient pas. Dès lors toutes les affaires qui viennent sur le bureau du juge sont susceptibles de se voir proposé cette solution. À certains égards, opter pour cette non-sélection, revient à laisser la majeure partie de la décision

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de saisir ou non cette voie aux justiciables (accompagnés de leur conseil). Ainsi ce sont les parties qui décident pleinement d’en user ou non, à la suite d’une proposition systématique émise par le magistrat. On arrive à une situation de médiation obligatoire, ou plus précisément, de proposition de médiation obligatoire.

Il ne faut pas négliger le poids que peut avoir la parole du magistrat, tant sur ses décisions que sur les orientations qu’il peut donner à un dossier (Deguergue, 2009). Dans ce cas de figure, cette proposition systématique prend probablement du poids parce qu’elle émane d’une autorité que les justiciables reconnaissent, même si c’est à des degrés divers. Autrement dit, si le magistrat formule une proposition systématique de médiation il se donne la possibilité d’être plus convainquant dans son orientation, en usant de son imperium.

Toutefois, la plupart des expérimentations observées optent pour une sélection des dossiers en amont. Le magistrat peut parfois lui seul déterminer les dossiers éligibles selon des critères qui lui sont propres. Béatrice Blohorn-Brenneur a objectivé sa pratique et l’a même rendue publique dans un de ses ouvrages (Blohorn-Brenneur, 2013). Toutefois, nous remarquons que chacun des magistrats tient à garder la main sur ces critères, même si un regard extérieur peut en identifier quelques-uns récurrents comme :

- la nature de la relation entre les parties, indépendamment du litige, qui a pour caractéristique qu’elles devront maintenir des liens entre elles après la résolution du litige. Les dossiers intégrant une dimension familiale en sont un exemple, mais également les relations commerciales ou d’affaires entre entreprises.

- lorsque la solution juridique envisagée par le magistrat ne répondra probablement pas au cœur du litige que celui-ci a pu identifier au travers sa lecture du dossier, et que par conséquent le jugement rendu sera juridiquement convainquant tout en ne clôturant pas le conflit. Le magistrat se pose ainsi la question de la permanence du conflit à la suite de la décision de justice entrevue.

- lorsque des éléments du dossier permettent de penser qu’un dialogue peut s’installer entre les protagonistes, que ce soit des tentatives antérieures de résolution amiable ou la capacité identifiée des parties à échanger et à dialoguer.

- lorsqu’un aléa judiciaire assez évident se profile. Le magistrat peut au contraire percevoir que la solution qui émergera du traitement du dossier risque d’être très ou trop variable.

Cette sélection peut être l’œuvre d’une seule personne, d’un binôme ou même d’une commission ad hoc. Cette dernière solution est sans doute plus confortable pour les magistrats mais elle a pour inconvénient d’être assez chronophage et demande un soutien institutionnel important.

Bien évidemment ces formes de sélection ne sont pas définitives. En tant d’expérimentation, ces dispositifs peuvent évoluer et le schéma de sélection des dossiers tout autant, notamment lorsque le ou les magistrats constatent que leurs options ne sont pas assez pourvoyeuses de médiations. Mais une fois établies les modalités, il reste à le présenter aux parties et à leurs conseils.

1.2. Présenter le processus

La présentation du processus est une étape que les magistrats ne sauraient négliger. Un bel édifice visant à prescrire la médiation peut devenir caduc s’il n’est pas soutenu par des actes de

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présentation convaincants. La question posée est celle de la manière dont on informe les parties (et leur conseil) de l’option pressentie pour le dossier. Comment convaincre les parties que leur dossier débouchera sur une solution solide via la médiation qu’il ne connaisse vraisemblablement pas ? Plusieurs solutions sont utilisées même s’il faut reconnaître que l’option de l’information directe semble être celle à privilégier.

- la convocation par courrier

La solution la plus simple et la plus économique est de contacter les parties par courrier, en copie ou non de leurs avocats, pour leur faire part de la proposition de médiation. Celles-ci peuvent répondre positivement ou négativement. La présentation est par conséquent écrite. Elle précise ce qu’est la médiation, donne des éléments de ce processus et suggère que le magistrat émet cette proposition parce que le dossier semble s’adapter à ce mode de résolution amiable.

- la proposition lors d’audience

La deuxième solution est de profiter d’une audience où les parties sont présentes physiquement dans le meilleur des cas, pour leur proposer, ainsi qu’à leurs conseils, d’opter pour une médiation dans le cadre de la résolution de leur litige. L’avantage conséquent est qu’un échange peut s’enclencher directement entre le magistrat et les parties, permettant de gommer des ambiguïtés ou des incompréhensions concernant le processus de médiation, notamment sur le fait que le magistrat ne se décharge pas du dossier, que cette solution n’empêche pas le retour éventuel du litige devant le juge, etc. Nous avons particulièrement observé cette forme de présentation dans des audiences de référés.

- la convocation à une audience dédiée aux propositions de médiation

Une dernière solution, qui est une déclinaison de la précédente, consiste à créer des audiences dédiées spécifiquement aux dossiers dont le magistrat juge qu’il est opportun de proposer une médiation. Les parties sont donc convoquées et ne peuvent se substituer à ces audiences. La plupart du temps, des médiateurs sont présents pour en effectuer une présentation succincte et parfois prendre rendez-vous si les parties intègrent le processus.

La distinction entre ces trois options tient au degré de coercition mise en œuvre par le magistrat. En effet, dans le premiers cas, les parties subissent moins de pression de sa part, la proposition étant indirecte. Dans le deuxième et surtout le troisième cas, l’impérium du magistrat peut s’appliquer plus aisément : une sélection a été opérée, il énonce ce choix personnellement, il met des médiateurs à disposition, rendant la proposition très concrète. Bien évidemment, selon la sensibilité du magistrat envers un des principes cardinaux de la médiation – à savoir la libre adhésion des parties au processus – le choix de présentation sera plus ou moins coercitif. Mais il reste à alimenter régulièrement le dispositif pour qu’il puisse être viable et reconnu.

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1.3. Alimenter le dispositif

Les dispositifs, quelles que soit leurs formes, demandent à durer dans le temps pour fournir des éléments de preuves de leur intérêt et que « cela fonctionne ». C’est pourquoi des retours sur expériences et des bilans sont parfois entrepris.

Mais l’action principale consiste à alimenter le dispositif en dossiers qui entrent effectivement dans un processus de médiation (quelle qu’en soit l’issue). Pour ce faire, les initiateurs doivent s’entourer de médiateurs mais également faire connaître le dispositif aux avocats. Ainsi, alimenter une expérimentation revient à convaincre d’autres prescripteurs potentiels du bien- fondé de l’opération. Des discussions, des échanges peuvent se produire, des évolutions en découler, l’important étant de créer une communauté d’intérêt qui assurera une permanence du dispositif.

La difficulté réside dans le fait que ces opérations sont assez fragiles notamment parce que les magistrats sont amenés, de par leurs évolutions de carrière, à changer de juridiction. Ainsi, c’est la question de la transmission des dispositifs qui émerge car, bien souvent, l’affaiblissement de l’activité de médiation dans une juridiction est en lien avec le départ du magistrat pivot de l’opération.