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La recherche de la connaissance

Dans le document Les dieux dans l’œuvre de Platon (Page 98-101)

Les dieux sont la mesure de tout ce qui est, par conséquent en ce qui concerne les humains, ils sont la norme qui permet de définir le juste, le bon et l’excellent. Cette norme, les dieux l’incarnent en représentant le modèle de ce qui est parfait et excellent. Par conséquent, les dieux constituent un exemple et un paradigme que les hommes doivent suivre pour trouver le bonheur, puisqu’il est évident qu’un être heureux est meilleur qu’un être malheureux, donc que le vrai bonheur coïncide avec l’excellence. Ainsi, Socrate affirme dans le Théétète que les mortels, pour fuir les maux, doivent s’efforcer d’imiter les dieux car la vie divine est exempte de mal, s’assimiler à elle permet alors d’atteindre le bonheur « Mais il n’est pas possible, Théodore, ni que les maux soient supprimés car il est

inévitable qu’il y ait toujours quelque chose qui fasse obstacle au bien, ni qu’ils aient leur place parmi les dieux […]C’est pourquoi il faut fuir d’ici là-bas le plus vite possible. Et la fuite, c’est de se rendre semblable à un dieu selon ce que l’on peut. »1. Jean-François Pradeau note que cette assimilation de l’homme aux dieux est effectivement ce qui permet à l’homme de réaliser son excellence et de trouver le bonheur, c’est pour cela qu’elle est estimable et souhaitable « Ici, le choix le

plus estimable est bien celui qui porte sur le modèle divin et qui attend de l’assimilation l’acquisition de l’excellence. »2

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Cependant, nous l’avons constaté au début de cette réflexion, la difficulté consiste pour l’homme à comprendre la nature du dieu. Or, il est à présent clair que la philosophie, pour Platon, constitue le moyen privilégié de saisir ce que sont les dieux et le divin. Le processus même de la dialectique platonicienne consiste, en partant des réalités sensibles, à s’élever vers l’intelligible, donc à percevoir la réalité divine derrière l’illusion sensible. Mais la philosophie est en même temps un moyen pour les hommes de s’assimiler aux dieux en acquérant une de leurs qualités distinctives, la connaissance et la science des réalités intelligibles. De plus, cette assimilation est possible grâce à la parenté qui unit ces deux espèces « Une telle médiation n’est envisageable selon Platon que si l’homme qui doit

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Platon, Théétète, 176a-176b

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l’imiter ressemble au dieu. »1. Aussi, nous devons penser que l’humanité est

capable d’élever son esprit vers les formes intelligibles et que l’assimilation aux dieux n’est possible qu’aux êtres pourvus d’un intellect entraîné à saisir les Idées.

Nous pouvons nous demander alors, en quoi la science des dieux est un modèle que l’homme doit suivre pour atteindre l’excellence, et comment cette connaissance peut permettre l’assimilation de l’homme au dieu. Pour le savoir, nous devons nous rappeler que les Idées sont la source de ce qui est divin, puisqu’elles sont éternelles, vraies et à l’origine de tout ce qui est juste ainsi que bon. Ce sont les formes intelligibles qui constituent la divinité des dieux, c’est-à- dire qui leur permettent de prétendre au titre de créatures les plus parfaites, donc les plus excellentes. La connaissance de l’intelligible a un effet analogue sur l’âme humaine puisqu’elle fait croître la partie divine de cette dernière « Or le divin est

beau, sage, bon et possède toutes les qualités de cet ordre : en tout cas rien ne contribue davantage que ces qualités à nourrir et à développer ce que l’âme a d’ailé… »2. Les ailes de l’âme représentent sa part divine qui lui permet de

s’élever vers le domaine des dieux et vers les réalités intelligibles. Elle lui permet aussi de s’affranchir des malheurs du monde sensible, en la mettant hors d’atteinte des maux. Ce qui la nourrit et la renforce sont les qualités qui ne peuvent avoir de véritable existence que par la contemplation des Idées. En effet, la beauté et la bonté ne sont accessibles en elles-mêmes que par celui qui connaît leur essence, les autres ne perçoivent que des exemples de ces qualités sans en comprendre la nature. Quant à la sagesse, elle n’est rien d’autre que la connaissance de l’intelligible, nous voyons donc que le travail philosophique élève l’âme humaine vers le divin et lui permet de ressembler aux dieux.

D’autre part, l’acquisition de la connaissance permet à l’homme de voir le monde depuis le point de vue exemplaire des dieux. Si le dieu est la mesure de toute chose, cela signifie qu’il voit ce qui est réellement. Donc le mortel qui accède à la sagesse des dieux, en devenant divin, ne peut plus être trompé par les illusions et agit au mieux car il sait ce qui est réellement bon, aussi bien pour lui que pour les autres. La connaissance de l’intelligible permet de comprendre que le sensible est le règne de l’illusion, qu’il change sans cesse et n’est jamais ce qu’il paraît être puisqu’il n’est jamais le même, seul l’intelligible est une vérité car il

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Jean-François Pradeau, « L’assimilation au dieu » in Les dieux de Platon

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est éternel, et le bonheur qu’il apporte est inaltérable. Le mythe de la Caverne est particulièrement utile pour comprendre cette idée1. L’homme qui ignore les formes intelligibles, passe son existence à espérer ou craindre des ombres qui ne lui apportent que des satisfactions vaines et évanescentes. Celui qui, en suivant la véritable nature des dieux, contemple la vérité, perçoit ce qui est réel. Il pousse donc ses facultés de perception à leur excellence, puisqu’elles réalisent ce pourquoi elles existent, c’est-à-dire percevoir la vérité. De plus, cet homme sait désormais parfaitement ce qui lui est utile ou nuisible, et la satisfaction qu’il en retire est véritable et immuable, au point qu’il préférerait tout, plutôt que de perdre cette connaissance « Ne crois-tu pas que, se remémorant sa première habitation,

et la sagesse de là-bas, et ceux qui étaient alors ses compagnons de prison, il se réjouirait du changement , tandis qu’eux il les plaindrait ? »2.

En outre, il semble logique de penser que la sagesse des dieux est un modèle de l’excellence humaine, si nous constatons que l’intellect est, pour Platon, la qualité principale de l’homme, dont la pleine maîtrise lui permet de prétendre à sa perfection. En effet, le mythe de Protagoras nous informe que la qualité qui distingue l’humanité des autres êtres vivants, est la capacité d’apprendre et d’utiliser la science3. C’est en partie grâce à elle que les humains peuvent survivre

et se développer face aux forces hostiles de la nature. Etant donné que le dieu est l’exemple d’un intellect parfaitement accompli, il peut être légitimement considéré comme le modèle que l’homme doit suivre, pour exprimer tout son potentiel et devenir pleinement ce qu’il doit être.

De plus, l’intellect est considéré par Platon comme la faculté la plus excellente, car elle est l’accès aux réalités elles-mêmes les plus excellentes, les Idées. Les intelligibles par définition sont précisément ce qui ne peut être saisi que par l’intellect et, comme ils sont toujours identiques à eux-mêmes ainsi qu’inaltérables, nous pouvons penser qu’ils sont parfaitement ce qu’ils doivent être, c’est-à-dire qu’ils sont excellents. Donc l’intellect est nécessairement une faculté excellente, car celle-ci permet d’atteindre ce qui est excellent et parce que le semblable produit toujours le semblable et non l’inverse. Enfin, l’intellect semble aussi être une faculté excellente car la vertu qui lui est associée, la science ou la sagesse, est présentée comme la première des vertus, qui donne sa valeur à

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Platon, République, livre VII, 514a-516b

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Platon, République, livre VII 516c

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toutes les autres. Dans le Ménon, Platon fait remarquer qu’une action est utile et bonne si elle est accomplie comme il faut, au moment qui convient, dans le lieu qui convient et avec les bonnes personnes. Le problème c’est que l’ensemble des autres vertus, le courage, la tempérance, la justice ou la piété, peuvent devenir nuisibles si elles ne sont pas appliquées comme il convient. Ainsi, une personne qui ne fuirait pas face à un péril trop dangereux et dont le sacrifice n’apporterait rien de bon à personne, agirait avec courage mais ne ferait pas ce qui est utile et bon « Prenons l’exemple du courage, lorsque le courage n’est pas raison, mais

semble être une simple audace : quand un homme fait voir une audace dépourvue d’intelligence, n’est-ce pas à son détriment ? Tandis que s’il a de l’intelligence, cela lui sera utile ? »1. A l’inverse, la sagesse est la vertu qui permet de

reconnaître l’utile et le nuisible, ce qu’il convient et ce qu’il ne convient pas de faire. Cette vertu ne peut donc être prise en défaut et c’est son application qui permet aux autres vertus d’être véritablement bonnes, en trouvant leur juste usage « Si donc la vertu est une des choses qui sont dans l’âme, et s’il est nécessaire que

cette chose soit utile, elle ne peut être que raison. »2.

Ainsi, un intellect parfaitement développé est bien une des conditions de l’excellence humaine. Puisque le dieu est l’être le plus sage, il est donc un modèle que l’homme doit suivre pour être excellent lui-même.

Dans le document Les dieux dans l’œuvre de Platon (Page 98-101)