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Une âme toujours portée vers la justice

Dans le document Les dieux dans l’œuvre de Platon (Page 65-68)

L’âme des dieux se caractérise aussi par le fait qu’elle est toujours orientée vers la justice et la vertu. Le dieu ne peut pas mal agir car son âme est entièrement consacrée au bien, aucun principe ne peut le pousser vers l’injustice. Pour mieux comprendre cela nous devons observer pourquoi les humains peuvent faire preuve d’injustice. Selon la philosophie platonicienne, il existe trois espèces d’âme dans les êtres humains, l’âme raisonnable, le noûs, l’âme irascible, le thumos, et l’âme désirante, l’epithumia « Ne devons-nous pas, dis-je, reconnaître nécessairement

que ces trois mêmes espèces et ces habitus qui se trouve dans la cité existe en chacun de nous. »2. La première, le noûs, est dite immortelle car elle est l’âme composée à partir du Même, de l’Autre et de l’Etre, et c’est le Démiurge qui l’a façonnée. Cette âme est ensuite donnée à tous les êtres vivants du cosmos. Les deux autres âmes sont appelées des âmes animales ou mortelles car elles sont propres aux mortels. Elles sont fabriquées par les dieux astraux et données aux

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Platon, Phèdre, 247d

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mortels car elles sont nécessaires aux êtres pourvus d’un corps doté de besoins « ils donnèrent pour véhicule le corps tout entier cependant qu’ils établissaient

dans ce dernier une autre espèce d’âme, celle qui est mortelle et qui comporte en elle-même des passions terribles et inévitables… »1. Ce sont ces âmes qui nous permettent de préserver notre existence matérielle, en nous poussant à rechercher ce qui peut soigner et renforcer notre corps, à fuir ce qui peut le détruire et à nous défendre contre les menaces envers notre vie terrestre.

Ces différentes âmes nous poussent à agir dans des directions différentes. En effet, l’âme raisonnable, parce qu’elle peut saisir les intelligibles, connaît la forme du juste et cherche à conduire ses actions selon le modèle de la justice ; à l’inverse, l’âme désirante est guidée par la recherche du plaisir et la fuite de la peine qui peuvent conduire les hommes à des actions nuisibles pour autrui et eux- mêmes. Ce fait est rendu explicite dans le premier livre des Lois, où l’étranger d’Athènes décrit les hommes comme des marionnettes façonnées par les dieux et mues par différents fils, qui correspondent chacun à des motivations d’agir. La raison est considérée comme un fil d’or qui conduit toujours la marionnette sur le chemin de la justice, cependant il doit lutter contre la traction des autres fils qui entraînent l’âme vers le plaisir, sans distinction de la vertu et du vice « ces

affections dont je viens de parler et qui sont en nous comme des tendons ou des ficelles, nous tirent et, comme elles sont antagonistes, elles nous conduisent à des actions opposées au long de la frontière qui sépare la vertu du vice. »2.

La coexistence de ces différentes espèces d’âme est caractérisée par un conflit dans lequel toutes essaient de prévaloir sur les autres pour diriger les actions de l’être tout entier. C’est ce conflit qui est la cause, chez les hommes, de l’injustice, pour deux raisons. D’abord car l’âme désirante perturbe la réflexion de l’âme raisonnable et l’empêche de comprendre parfaitement ce qui est juste, en superposant les catégories de plaisir et de peine sur celles de juste et d’injuste. L’homme éprouve alors des difficultés à comprendre ce qu’est la vertu car il est distrait par ces désirs du sensible et peut finir par confondre le juste et le plaisir, sans voir que le bien se situe dans une recherche modérée des plaisirs, car certains sont justes et d’autres injustes. D’autre part, même chez ceux qui parviennent à saisir avec clarté la justice, l’âme désirante les pousse à ignorer l’action vertueuse

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Platon, Timée, 69c-69d

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quand elle est trop pénible, et mine la volonté de ceux qui veulent faire le bien. Nous constatons donc que les âmes mortelles constituent aussi une forme de tentation qui détourne les esprits de la justice.

Les dieux se distinguent des mortels sur ce point car ils ne possèdent qu’une âme raisonnable. En effet dans le Timée, nous avons vu que le Démiurge est l’auteur du noûs, alors que les âmes animales sont le fruit des dieux astraux, il est donc évident que les dieux ne peuvent avoir d’âme animale puisqu’ils en sont les auteurs. De plus, leur âme raisonnable est qualifiée de plus pure que celle des mortels car le mélange utilisé par le Démiurge pour construire l’âme du dieu cosmique et des dieux astraux, est de meilleure qualité, tandis que celle des mortels est de moindre qualité « Ainsi parla-t-il (le Démiurge) ; puis revenu au

cratère dans lequel il avait auparavant composé par un mélange l’âme de l’univers, il s’employa à fondre le reste des ingrédients utilisés antérieurement, en réalisant le même mélange, un mélange dont les ingrédients n’étaient plus aussi purs qu’avant, mais qui était de second et de troisième ordre. »1

. Le fait que le mélange soit plus pur entraîne que la raison des dieux est plus excellente que celle des mortels, par conséquent elle peut mieux saisir les intelligibles et comprendre le juste.

En outre, nous devons constater que la justice, pour Platon, signifie que chaque être doit occuper la fonction qui lui revient, donc que chacun doit recevoir ce qui lui est dû, selon sa nature et ses besoins « L’homme juste n’autorise aucune

partie de lui-même à réaliser des tâches qui lui sont étrangères… »2. La justice dans une âme, consiste en ce que la raison gouverne l’être entier, l’injustice pour les humains consiste en ce que les âmes animales disputent ou usurpent à l’âme raisonnable sa place. Etant donné que les dieux n’ont que l’âme raisonnable, aucun conflit ne peut exister dans leur esprit, la raison occupe alors toujours la place qui lui revient, celle de gouvernante, car aucune âme ne vient lui disputer ce rôle. L’âme des dieux est donc toujours juste. De plus, l’absence de conflit entraîne une perception parfaitement claire de la justice, car les catégories de plaisir et de peine ne peuvent perturber l’appréciation de la forme du juste, puisqu’en l’absence d’âme désirante les dieux n’ont aucun intérêt pour les plaisirs autres qu’intellectuels.

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Platon, Timée, 41d

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Nous constatons aussi dans le Phèdre, que l’absence de partie désirante ou irascible dans l’âme des dieux, leur permet de se consacrer pleinement à l’intelligible et à la justice sans risque de chuter, car leur âme entière agit d’un même mouvement, sans être victime de conflits qui briseraient ses ailes « Cela

étant chez les dieux, les chevaux et les cochers sont tous bons et de bonne race, alors que chez le reste des vivants, il y a mélange. »1.

Cependant si les dieux sont dépourvus de désirs, nous pouvons nous demander ce qui peut les pousser à entreprendre n’importe quelle action, puisqu’il n’ont pas non plus de besoins. Nous devons comprendre qu’en vérité, chaque partie de l’âme désire, mais elle désire chacune un objet différent. L’âme désirante recherche, en vérité, de nombreux objets, mais tous sont des objets de plaisirs physiques qui peuvent être acquis par le biais de l’argent, aussi pouvons-nous considérer qu’elle désire la fortune et ce qu’elle permet d’obtenir. L’âme irascible recherche l’honneur et la gloire, elle tire son plaisir de la victoire, tandis que l’âme raisonnable désire la connaissance et la contemplation des intelligibles2. Les dieux n’ayant qu’une âme raisonnable, ils ne désirent que la connaissance et dédaignent l’honneur et les plaisirs terrestres. Par conséquent, ils n’ont aucun motif de ne pas suivre la justice car aucune tentation n’a de prise sur eux. Au contraire, leur seul désir est de s’assimiler autant que possible aux Idées et de conserver pour toujours cette assimilation, aussi ils agissent toujours de manière juste, pour ressembler le plus possible aux intelligibles, en particulier à l’Idée du Bien et du Juste.

Enfin, l’intellect nous révèle que la justice seule peut mener au véritable bien. Etant donné que tous les êtres désirent le bonheur, c’est-à-dire le bien ou être le meilleur possible, les dieux qui ont une perception claire du rapport entre la justice et le bien, ne peuvent qu’agir selon la justice pour demeurer excellents et conserver le plus grand des biens.

Dans le document Les dieux dans l’œuvre de Platon (Page 65-68)