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L’athéisme comme règne du relativisme

Dans le document Les dieux dans l’œuvre de Platon (Page 30-34)

Dans le livre X des Lois, l’étranger d’Athènes expose une troisième conception par rapport aux dieux, qui relève selon lui de l’impiété, l’affirmation de l’inexistence des dieux. Selon lui l’origine de l’athéisme se trouve dans les thèses des physiciens présocratiques qui, après avoir étudié la nature, ont considéré les éléments, c’est-à-dire les unités de bases de toutes réalités physiques, comme le principe fondamental de l’univers. Or les éléments sont des réalités purement matérielles, dépourvues d’âme et donc d’intellect, ils ne peuvent

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donc être régis que par le hasard et non par une volonté intelligente, puisqu’ils sont à l’origine de tout et qu’ils sont eux-mêmes dépourvus de volonté. L’auteur qui représente le mieux cette pensée, est certainement Héraclite qui pose le feu comme le principe à l’origine de toute réalité physique et donc de l’univers entier. De plus, il insiste en considérant que l’action du feu n’est due qu’au hasard, cela est explicite lorsqu’il décrit le feu comme « un enfant jouant aux dès ».

Si les éléments, qui constituent tout ce qui est, ne sont dirigés que par le hasard, alors il est possible de penser que les œuvres du hasard sont supérieures à celle de l’intellect, car elles sont plus anciennes et parce que les réalisations de l’intellect prennent les premières pour modèle « Ils semblent, disent-ils, que les

choses les plus importantes et les plus belles sont l’œuvre de la nature et du hasard, alors que les moins importantes sont l’œuvre de la technique, laquelle, recevant les œuvres importantes et primordiales produites par la nature, façonne et fabrique l’ensemble des choses qui sont moins importantes et que nous qualifions d’objets techniques. »1

. Pour les présocratiques, la nature est le nom que nous donnons à l’action des éléments sans intervention humaine. Aucune volonté n’étant pour eux discernable derrière cette action, elle ne peut être que le fruit du hasard. D’autre part, la seule action produite par une volonté, est la technique dont il est évident que le pouvoir est inférieur à celui de la nature et dont elle est totalement dépendante, en effet il ne peut exister de technique sans nature, tandis que la nature peut exister sans la technique. Pour renforcer leur affirmation, ces penseurs montrent que parmi les arts, seuls ceux qui ce rapprochent des créations de la nature et intègrent donc une part de hasard, sont ceux qui, paradoxalement, produisent assurément des objets sérieux. Ainsi la médecine et l’agriculture, qui sont liées à des circonstances contingentes, produisent les biens que tous apprécient et qui sont la santé et la nourriture. A l’inverse la peinture ou la législation, qui sont avant tout le fruit de la technique, produisent, soit des œuvres d’une qualité inférieure à la nature, comme la peinture qui ne peut faire qu’une image de ce qui est, soit des œuvres dont la valeur est incertaine et qui sont parfois nocives, comme la politique qui peut aboutir à de mauvaises lois2.

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Platon, Lois, livre X, 889a

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Cette vision de la nature qui prône la supériorité du hasard sur l’intellect, suppose que les dieux eux-mêmes sont inférieurs aux éléments car étant donné qu’ils sont dotés d’une volonté, leurs réalisations doivent être de moindre valeur que celles de ces éléments. Etant donné qu’il est impossible de concevoir les dieux comme inférieurs à la nature, les physiciens supposent qu’ils n’existent pas et ne sont que des noms donnés à des forces naturelles sans intellect.

Platon ne peut pas admettre que les dieux n’existent pas car cela fait basculer l’ensemble de la réalité dans le relativisme. En effet, si nous arrivons à la conclusion que les dieux n’existent pas, nous devons tout de même constater que les cités ont des dieux et des cultes de ces divinités. Il faut alors expliquer d’où viennent ces cultes et ces récits sur les dieux, si en vérité il n’y a pas de dieux. La seule réponse possible consiste alors à dire que les dieux ne sont qu’une invention de chaque cité qui les représente selon ce qu’elle juge être bon ou profitable « ces

gens-là prétendent que les dieux existent en vertu de la technique, non point par nature mais sous l’effet de certaines lois […] et qu’ils sont tels que chaque groupe humain a décrété qu’ils doivent être dans leur lois, par un consentement commun. »1. Si les dieux n’existent pas et ne sont que le fruit d’une convention,

alors les lois qu’ils établissent pour les mortels, ne sont en vérité que des lois humaines, elles-mêmes aussi le fruit d’une convention. Par conséquent, il n’y a pas de différence entre les lois divines et celles produites par l’art politique. Or nous avons vu que selon les physiciens l’art politique, parce qu’il se fonde plus sur la technique que sur la nature, n’a que très peu de rapport avec la vérité. Il ne peut donc y avoir aucune certitude que les commandements attribués aux dieux, soient nécessairement justes et bons pour les cités qui les suivent. Ceci est d’autant plus improbable qu’ils ne sont pas les mêmes d’une cité à l’autre.

Ce relativisme finit même part nous faire douter de la possibilité que la justice existe véritablement. En effet le juste dans une cité est censé correspondre avec les lois de cette cité, pourtant nous avons conclu précédemment que les lois ne sont que le fruit de conventions. Si elles étaient les mêmes partout, nous pourrions penser que le juste existe bel et bien et qu’il est ce que l’humanité prend comme règle de comportement. Cependant, l’existence de plusieurs normes, parfois contradictoires, suppose que certaines sont fausses. Mais pour juger de la vérité ou de la fausseté des normes, il faudrait pouvoir les comparer avec un

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modèle objectif. Le problème, c’est que si le monde n’est que le résultat des combinaisons aléatoires des éléments, un tel modèle ne peut exister. Le juste se réduit donc à une convention, qui n’est aucunement fondée en nature « Le juste lui

non plus ne l’est absolument pas par nature ; au contraire, les hommes passent leur vie à en disputer entre eux et ne cessent de le changer. »1.

Ce relativisme produit une conséquence morale désastreuse au sein de la cité en anéantissant tout le respect que les hommes peuvent avoir pour la justice. Dans le livre VII de la République, Platon décrit le cas d’un individu qui découvre que les valeurs qu’il respectait et tenait pour vraies, peuvent être réfutées. Il compare cette situation à celle d’un homme qui apprend que ses parents ne sont pas ses parents et qui, à la suite de cette découverte, perd une part de son respect pour eux et choisit désormais de vivre selon son désir et non selon ce qu’on lui a dit être juste. Cette découverte que la justice n’est qu’une valeur relative, peut l’amener à ne conduire sa vie qu’avec le seul guide dont il sait qu’il existe réellement, le plaisir « Mais alors lorsqu’il en sera venu à penser que ces choses

ne sont plus vénérables ni constitutives de son patrimoine comme auparavant, sans qu’il ait découvert les choses qui sont véritables, est-il vraisemblable qu’il s’orientera vers quelque autre forme de vie que celle qui le flatte ? »2

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D’autre part la découverte que la justice est relative, mène à la conclusion que dans la cité, c’est l’autorité dirigeante qui définit ce qui est juste, en d’autres termes, ce sont les plus forts qui peuvent imposer aux autres ce qui leur est le plus avantageux et le plus plaisant, comme ce qui est juste. Une telle pensée ne peut que conduire les hommes à désirer plus de force et de puissance pour dominer leurs semblables, car si la justice n’est qu’une convention, c’est la seule forme de vie qui semble souhaitable. Ainsi Thrasymaque dans la République, et Caliclès dans le Gorgias, se font les porte-paroles de ceux qui considèrent que la position du plus fort est la plus enviable, et qu’il peut en droit dominer les plus faibles dans son propre intérêt.

Platon ne peut donc accepter l’athéisme car il mène, selon lui, au règne de la force et à la discorde, ainsi qu’à la guerre entre les membres d’une même cité, afin de conquérir le pouvoir.

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Platon, Lois, livre X, 889e

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Dans le document Les dieux dans l’œuvre de Platon (Page 30-34)