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Les Idées comme source de la divinité

Dans le document Les dieux dans l’œuvre de Platon (Page 44-47)

Puisqu’elles ne sont pas vivantes, les formes intelligibles ne peuvent pas être des dieux. Elles sont pourtant qualifiées de divines par Platon. Luc Brisson note que ce qualificatif leur est accordé dans plusieurs dialogues comme le

Phédon, la République, le Politique, le Théétète, le Parménide et le Philèbe1. L’usage du terme divin pour caractériser les Idées est aussi confirmé dans l’ouvrage de René Mugnier. En effet, divin désigne pour Platon ce qui est vrai, c’est-à-dire la science, l’intellect et les intelligibles, ainsi que ce qui possède l’Etre, donc ce qui est véritablement réel et n’est pas qu’une apparence ou une copie. « Tout ce qui est vrai mérite, selon Platon, le titre de divin : le monde

intelligible, les idées ou les essences, l’idéal, la science, voilà le divin. […] C’est aussi, mais plus rarement, le réel, l’immortel et tout ce qui possède des qualités analogues. »2. Les formes intelligibles semblent donc mériter par excellence le nom de divines, d’une part parce qu’elles sont la source et la possibilité de la vérité, sans elles il ne peut y avoir que des opinions car le devenir est en perpétuelle transformation, d’autre part parce qu’étant les seules réalités parfaitement éternelles et immuables, elles sont les seules à être, puisqu’elles ne deviennent rien d’autre que ce qu’elles sont déjà.

Par ailleurs, il semble logique de considérer que les Idées sont divines car elles incarnent la perfection. Les dieux, pour Platon, sont des êtres qui sont dotés de toutes les qualités et dont il est inconcevable de penser qu’ils aient le moindre défaut ou la moindre faiblesse. Ils sont donc parfaits parce qu’ils sont les êtres les plus excellents et ceux dont la nature est menée à la plus haute réalisation. Les Idées, quant à elles, font plus que de posséder les qualités qui permettent à un être de mériter d’être appelé parfait, elles sont elles-mêmes la perfection. Ceci est particulièrement visible dans un dialogue comme le Hippias majeur, où les interlocuteurs s’interrogent sur la nature de la beauté. Lorsqu’il est proposé comme définition du beau, une belle jeune fille, Socrate rétorque que cela répond à la question « qu’est ce qui est beau ? », mais pas à la question « qu’est ce que le beau ? » qui intéresse le philosophe. La réponse à cette seconde question ne peut être, pour Platon et Socrate, que l’Idée même du beau, son essence, à laquelle

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Luc Brisson, « Le corps des dieux » in Les dieux de Platon

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participent tous les beaux objets. Ainsi les Idées semblent être parfaites et vertueuses à un niveau même supérieur aux dieux, car elles ne possèdent pas seulement la vertu, elles sont la vertu, tandis que les dieux ne font qu’y participer, et sans elles il ne peut y avoir de vertu et de perfection. Les formes paraissent aussi plus parfaites que les dieux car elles approchent plus de l’Etre. Le divin est une caractéristique qui convient plus à l’Etre qu’au non-être et, comme il est la réalisation la plus aboutie de tout ce qu’il est, il doit être ce qui s’approche le plus de l’Etre. Or, nous remarquons que si les dieux ne sont pas considérés comme des êtres du devenir car ils sont immortels et inaltérables, ils sont tout de même perçus comme des créatures qui participent des Idées, dont l’être par conséquent n’est pas uniquement en eux. A l’inverse, les Idées ont leur être en elles-mêmes et n’ont besoin de rien d’autre que d’elles-mêmes pour exister. Elles coïncident parfaitement avec l’Etre et, en ce sens, sont plus parfaites que les dieux.

Cette perfection supérieure des formes intelligibles s’explique par le fait qu’elles sont elles-mêmes le divin et qu’elles sont l’origine et la condition de possibilité des dieux. Tout d’abord nous devons remarquer que les Idées sont la cause des dieux, de même qu’elles sont la cause de tout ce qui est existe dans le monde sensible. En effet les dieux, comme toutes les autres entités, existent car le Démiurge les a façonnés en prenant pour modèles les Idées dont ils sont les copies. Ainsi les dieux sont formés à l’image de l’Idée du dieu « Cette partie du

monde qui lui restait à faire, le dieu s’employa donc à la réaliser en reproduisant la nature du modèle. »1. La partie du monde qu’il reste à accomplir par le

Démiurge, dans ce passage, est la fabrication des quatre espèces de vivants qui peuplent le monde et dont les dieux sont la première.

D’autre part, les formes intelligibles sont à l’origine des dieux car elles permettent l’existence des qualités qui définissent le divin. Le dieu, parce qu’il est excellent, doit être savant, et comme il possède toutes les vertus, il doit être sage, la sagesse étant une des quatre vertus cardinales. Cependant, pour Platon, la sagesse est définie comme la connaissance des Idées. En effet, la seule science qui peut exister, selon Platon, est la science qui se fonde sur ce qui est toujours vrai. Le devenir étant en perpétuel changement, il est impossible par son observation d’en tirer une vérité éternelle. La science doit par conséquent se fonder sur les Idées éternelles qui demeurent toujours les mêmes. Nous comprenons donc que

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sans les Idées, il est impossible d’être sage et sans la sagesse ou la science, nul être ne peut être qualifié de divin et donc ne peut être un dieu.

De la même manière les formes intelligibles constituent l’origine de la divinité par le biais de l’Idée du Bien et de l’Idée du Juste, car elles permettent alors aux dieux d’accéder à de telles qualités. C’est l’existence de ces deux Idées qui rend possible le fait d’être bon et juste, car sinon il n’y a pas de participation possible à ces intelligibles, par conséquent rien ne peut avoir leur qualité. De plus si les Idées de Bien et de Juste n’existent pas, alors ces deux concepts n’ont pas de forme objective et n’existent pas véritablement non plus. Sans intelligibles qui servent de modèles, le Bien et le Juste sont réduits à des conventions arbitraires et relatives. Les dieux ne seraient donc plus bons et justes, ils ne feraient qu’agir selon ce qu’ils croient être tel ou peut-être selon leur intérêt qu’ils nommeraient le bien. Ils ne seraient alors pas supérieurs aux mortels et ne mériteraient plus d’être considérés comme des dieux. En effet, pour Platon, l’excellence des dieux suppose leur justice et leur bonté car elles témoignent de leur sagesse et du fait qu’ils n’ont aucun besoin, parce que ce qui est sans besoin ne connaît pas l’envie, et ne veut que le bien des autres. Ainsi nous voyons que les Idées de Bien et de Juste étant nécessaire à la possibilité de l’existence des dieux, les Idées peuvent être conçues comme l’origine du divin et des dieux.

Enfin la dépendance des dieux à l’égard des formes intelligibles, et donc la thèse qui fait de ces formes l’origine des dieux, est illustrée parfaitement dans le

Phèdre, qui fait de l’intelligible la nourriture des dieux « Il s’ensuit que la pensée d’un dieu qui se nourrit d’intellection et de connaissance sans mélange […] et que, dans cette contemplation de la vérité, elle trouve sa nourriture et son délice… »1. La contemplation des Idées est ce qui renforce et ravive la partie divine de l’âme des êtres humains et aussi l’ensemble de l’âme des dieux « L’intelligible apporte au dieu sa nourriture et sa divinité même. »2. Ainsi, nous pouvons affirmer que les Idées ne sont pas des dieux, mais qu’elles sont la divinité même. C’est par elles que les dieux possèdent et entretiennent leur divinité, de cette façon ils sont conformes à la nature du divin.

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Platon, Phèdre, 247d

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