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3. MÉTHODOLOGIE

3.2 La recherche-action

La recherche-action est apparue dans les années 40 dans les écrits de Kurt Lewin, mais c'est dans les années 70 aux États-Unis, en Angleterre et en France qu'elle commencera à avoir une certaine influence dans l’urbain. C'est une méthodologie qui permet de se concentrer sur la réalité sociale et urbaine en planifiant et en exécutant des actions de manière participative par ceux qui souffrent des problèmes de cette réalité. La recherche sert la communauté en socialisant son attitude de questionnement qui doit être intégrée par la communauté elle-même comme une condition fondamentale de son traitement (Power & Naysmith, 2005 ; Leal, 2009).

Dans ce cadre, la recherche n'est plus unidirectionnelle (un chercheur analysant un

objet ou un contexte), mais un processus cyclique de réflexion-action-réflexion développé par des acteurs qui partagent, discutent et étendent leurs connaissances personnelles à d'autres tout en les améliorant par des périodes d'évaluation qui ont pour but de rediriger les actions. Méthodologiquement, c’est un processus modeste et simple à la portée de tous, mais simultanément au processus de participation, qui mène à une critique structurelle de la réalité, c’est une réflexion sérieuse et profonde des causes et tendances. C’est une méthodologie qui peut mener à des conclusions scientifiques, des stratégies spécifiques et réalisables, à une planification renouvelée et transformatrice dans laquelle toute la communauté interviendra pour continuer à réfléchir sur la praxis pour la rendre de plus en plus libératrice et transformatrice.

Après six décennies de développement de la recherche-action, de nombreuses méthodes ont permis un meilleur équilibre entre l’importance des actions menées et le processus de recherche en soi qui se base sur une compréhension des actions (Leal, 2009). Cette tension existe entre des motivations liées à l'agenda du chercheur et d’autres vers les participants ; ou entre ceux qui sont motivés principalement par l'atteinte d'objectifs instrumentaux, et ceux qui se concentrent sur les processus de transformation personnelle, organisationnelle ou sociétale.

La recherche-action remet en question les sciences sociales traditionnelles en allant au-delà de la connaissance créée par des experts, pour analyser des variables, théoriser des actions, collecter des données au milieu d'une structure émergente :

« knowledge is always gained through action and for action. From this starting point, to question the validity of social knowledge is to question, not how to develop a reflective science about action, but how to develop genuinely well-informed action — how to conduct an action science » (Sherman et Torbert, 2002).

C’est alors très intéressant d’observer comment il est appliqué dans le champs de la production de la ville, s’inspirant des initiatives des années 60 et 70, tout en continuant à innover pour construire un urbanisme en mouvement, qui planifie par le biais de projets de recherche et d’outils interactifs : l’usage de la cartographie, qui consiste à élaborer collectivement une carte du contexte local afin de mettre en évidence les points forts et les points faibles de l’espace de manière collective et lisible, ainsi que de partager l'analyse entre tous; ou encore le récit, qui met en scène l'histoire de l'endroit (sachez d'où vous venez) est utilisé dans presque tous les projets susmentionnés, et c'est aussi un outil qui permet le développement d'un diagnostic partagé. Le lien est alors très clair avec la recherche impliquée ou participative, dans le sens où il s’agit aussi pour le chercheur d’accepter et d’assumer son implication et donc d’en tirer les conséquences. C’est lié à la distanciation avec les séparations classiques sujet/objet, observateur/observé, objectivité/subjectivité qu’induisent les sciences humaines et qui rend indispensable la notion d'implication.

Dans un souci épistémologique, il apparaît alors impossible de séparer radicalement le produit d'une connaissance des conditions de cette production de connaissance16.

Donc, si la perspective de la recherche-action dépend du projet, on a néanmoins observé des tendances méthodologiques autour des outils utilisés, du rôle des structures organisatrices qui sont tout autant facilitatrices. Ce sont des critères qui mettent en avant des expériences qui visent à la coproduction de l'espace, c'est-à-dire à empower les personnes en leur fournissant les outils du changement urbain, en favorisant l'implication des résidents dans la prise de décision et la construction.

A ce sujet, il est utile de préciser la notion d’empowerment qui fait référence à un processus d’accès au pouvoir :

16 http://www.hypermoderne.com/ecrire_sur_l%27homme/ebauche/recherche_impliquee_terrain.ht m

« [il] articule deux dimensions, celle du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder. Il peut désigner autant un état (êtreempowered) qu’un processus. Cet état et ce processus peuvent être à la fois individuels, collectifs et sociaux ou politiques – même si, selon les usages de la notion, l’accent est mis sur l’une de ces dimensions ou au contraire sur leur articulation » (Bacqué &

Biewener, 2013 : 25).

Par processus, on entend donc un cheminement et une évolution. C'est pourquoi j’utilise la recherche-action qui exige (Power & Naysmith, 2005) :

- s'impliquer dans le contexte et expliquer les méthodes de recherche

- analyser la situation (diagnostic) puis transmettre l'information recueillie, la socialiser

- établir des actions, c'est-à-dire planifier et exécuter des actions de manière participative par ceux qui souffrent des problèmes mis en évidence par le diagnostic - évaluer à travers l'analyse des changements d'attitudes, de valeurs, etc.

- mettre en œuvre de nouvelles actions sur la base des résultats de l'évaluation.

Mais le principal objectif lié à la méthodologie de la recherche-action reste de pouvoir développer une agilité de recherche qui permette d’utiliser différentes techniques en incluant les habitants :

- La méthode ethnographique. G. Althabe ( 1990) observe d’ailleurs que

« l'enquête est considérée comme un cadre composé d'événements de communication (depuis l'entretien ou la réunion jusqu'à la situation particulière qu'est l'observation, événement dans lequel le chercheur produit les sujets en acteurs d'un spectacle d'où il se croit exclu). Chaque

permet de donner forme à la temporalité constitutive de l'espace de communication étudié » (Althabe, 1990 : 22).

Et comme le souligne Raulet-Crozet :

« par “dispositifs“, on peut entendre (…) la nécessité d’une présence de longue durée, d’un contact en face à face prolongé, la participation directe à des activités du groupe étudié ainsi qu’un travail avec des

“informateurs“ plutôt qu’à partir de données documentaires » (Raulet-Crozet, 2003 : 2).

Il est donc question d’outils (carnet, photographie, prises audio, vidéos) mais aussi de démarches vis-à-vis du rôle du chercheur entre l’observation participante et non participante.

En outre, c’est aussi un enjeu essentiel de l’étude de la citoyenneté. Neveu (2013) le rappelle en précisant que :

« l’approche anthropologique s’appuie sur une posture inductive, qui part de l’enquête empirique afin de construire, critiquer ou renforcer la connaissance théorique (…). Si le retard de l’anthropologie en France est encore notoire en la matière on assiste depuis maintenant plus d’une décennie, notamment dans la littérature de langue anglaise, mais également espagnole, à un renouvellement extrêmement important du champ des études sur la citoyenneté ; renouvellement dans lequel la part des approches anthropologiques est loin d’être négligeable » (Neveu, 2013 : 2).

- L’observation participante. Comme on l’a précisé auparavant dans l’introduction épistémologique de notre démarche, l’observation participante, autrement dit la prise d’activité du chercheur dans son contexte d’observation, est une dynamique très présente ici. Elle demande une rigueur d’observation parfois difficile à assumer, mais qui se matérialise dans des

notes (annexe 1), la rédaction de documents de synthèse ou encore dans des moments de réflexion particulier usant de différents média (vidéos, prises de son, photos).

- Le questionnaire (annexe 2). Le but est de constituer la carte d’identité des habitants, de connaître leurs pratiques spatiales ainsi que leur niveau de participation (implication associative ou politique, notion de bien commun, compétences politiques). Pour cela, le questionnaire propose une trentaine de questions qui ont pour objectif de savoir quand et comment ils fréquentent- l’espace public, ce qu’ils y font, (quotidiennement ou non), quel est leur niveau de participation sociale (activités associatives, vie de voisinage), et celui de participation politique (vote, assistance à des réunions publiques).

- L’entretien dirigé (annexe 3). Axé sur la problématique de la citoyenneté, il sera effectué après le questionnaire aux répondants de celui-ci. Sachant que le temps disposé sera une variable limitée, il s’agira d’ouvrir une discussion autour de la citoyenneté : appréhension de l’action collective, notion de sens commun, aptitudes à la délibération. Le guide d’entretien propose une quinzaine de questions (pensent-ils que leurs actions peuvent avoir une influence sur la qualité de vie du quartier ? croient-ils avoir une plus grande influence collectivement ? comment perçoivent-ils le débat ? pensent-ils que leur opinion est importante lors d’une réunion ou assemblée ? que feraient-ils s’feraient-ils étaient en désaccord avec une future action du projet DSMY14 ? etc.).

Afin de mieux comprendre les réponses, une série de critères est associée à chaque question. Par exemple pour la question "Que ferait-il en cas de désaccord avec le projet ?", les critères mis en avant sont "la possibilité de dire non sans sortir du projet", "la reconnaissance qu'il est possible qu'il y ait

Comme l'a décrit Berenstein, l’objectif est de mettre à disposition des habitants les informations suivantes : savoir qui ils sont, les aider à formuler leurs revendications, puis trouver une solution qui s'adapte à tous. La recherche-action est ici un soutien méthodologique très important car elle offre des outils concrets pour pouvoir être un facilitateur et aider à l'autonomisation. J’ai donc misé sur ces techniques et ai été particulièrement attentif à la prémisse du projet qui été expliqué et négocié avec les résidents avant sa mise en place.