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1. INTRODUCTION

1.2 Participer à la production de la ville

LA VILLE

Ces écrits académiques qui s’intéressent à la participation, proposent également des pistes pour redéfinir la temporalité et les méthodologies des projets urbains en faisant de plus en plus de place aux habitants. Ils partent du constat de l’insuffisance des procédures de participation institutionnelles organisées par la puissance publique. En effet, la participation dans sa forme institutionnelle (l’institution qui va à la rencontre des usagers pour instaurer des projets décidés par les élus) a encore des difficultés à opérer de réels transferts de compétences vers les citoyens, et cristallise les frustrations en ne permettant pas une réelle répartition des pouvoirs.

Elle est souvent qualifiée de participation symbolique (Pusso, 2006), voir de

simulacre (Gourgues, Rui & Topçu, 2013), et présente une omniprésence de l’Etat et un contrôle renforcé des acteurs publics sur les acteurs associatifs (Bresson, 2014 : 41). En outre, cette vision utilitariste de la participation sans réel projet politique a pour conséquence de stériliser les processus et de les orienter vers l’unique but du consensus :

« Un consensus qui limite le conflit et la délibération, qui érige un cahier des charges de l’architecte ou de l’urbaniste sans conscience politique et qui entraîne une fragmentation de la société par le biais d’une passivité collective qui définit le consensus comme une réduction de l’interaction » (Miessen, 2014 : 89).

D’ailleurs, Blondiaux (2008), dans son ouvrage Le nouvel esprit de la démocratie, recense les difficultés de la démocratie participative avant d’en étudier son possible développement. Il distingue ainsi une certaine réticence des élites politiques qui se manifeste dans la persistance de manque de moyens, l’absence d’influence des participants dans les décisions, ou encore le piège de la proximité qui n’offre qu’un contexte micro-local à la mise en place de la participation. En résumé, il dresse un constat qui est un mélange de frustrations :

« Les espérances que le mot soulève sont à la hauteur des frustrations que la chose engendre, et la montagne semble n’avoir jusqu’à présent accouché que de petites souris » (Blondiaux, 2008 : 37).

Si l’action publique commence à se renouveler par le biais d’initiatives d’innovation qui construisent des partenariats avec des organisations tierces, aujourd’hui encore, un des principaux enjeux de ces processus institutionnels pour les habitants est de

« déjouer les règles de la procédure institutionnelle afin de peser dans la décision publique » (Montero, 2014). Pour diverses raisons, ces processus de production de

la politique. Cependant, ces méthodologies sont questionnées par des mouvements sociaux urbains qui combinent l’action collective à la mobilisation des habitants.

Ainsi, après plusieurs années d’études sur la participation qui ont notamment amené à de solides recommandations (Bacqué & Gauthier, 2011 ; Blondiaux, 2008), on observe de récentes avancées académiques qui soulignent un changement dans les formes d’implications politiques des habitants et de collectifs (Dumont et Frechaud, 2015).

De cette manière, la question de la prise en compte des habitants et de leur participation aux processus de délibération et de fabrication de la ville est de plus en plus prégnante dans les réflexions des disciplines historiquement liées à la fabrique de l’urbain. L’urbanisme, l’architecture et les sciences sociales tendent à déplacer le cœur du projet urbain vers la société civile et des notions de design et de co-production - voire de crowdsourcing (Silva, 2013). Des individus urbains qui, comme le détaille très bien Insurgent public space (2010) en faisant état de nombreuses expériences qui utilisent et questionnent l’espace public, sont de plus en plus protagonistes en même temps qu’ils s’organisent. Ainsi, la revue scientifique La Vie des Idées a consacré un dossier sur le Pouvoir aux habitants (2013), et plus près du terrain, la fédération nationale des agences d'urbanisme de France a organisé ses rencontres en 2015 sous le thème de L’individu créateur de Ville ; questionnant de facto les modèles top down et sollicitant un individu-citoyen qui, citant Jean-Michel Mestres dans sa présentation de l’événement (2016), « interroge la relation au pouvoir local ». La ville se redéfinit alors aujourd’hui comme un espace politique, renouant avec les traditions qui lient étroitement ville et démocratie. A travers ses processus d’intégration de l’habitant, la ville est ainsi étroitement liée au développement « de nouvelles formes de citoyenneté dans les territoires » (Rottner, 2016). On trouve par exemple dans Demo:polis - The right to public space (2016), les bases d’une vision urbaine qui trace de nouvelles opportunités d’interaction avec les habitants:

« the public is raising new demands regarding the fundamental principles of democracy and the design of public space. The era of old certainties, of old-satisfaction, is over. Public space, its use, and the shapping of it are the future subjects of negotiations » (Hoidn, 2016).

Ces nouveaux concepts de ville (resilient city, collaborative city, contributive city, participatory city ou encore transparent city) font alors une place centrale aux habitants dans la définition des processus de délibération et de fabrication, puis de fonctionnement même, de la ville et de la démocratie urbaine.

Ces évolutions tracent une porte de sortie à cet individualisme postmoderne qui continue malgré tout à prévaloir dans ces villes néo-libérales. Elles redéfiniraient donc un lien avec le politique en questionnant les relations de pouvoirs et en alimentant les réflexions sur la crise de la démocratie représentative ; l’individu urbain substituant alors sa distance avec les procédures représentatives par une implication concrète sur l’espace. Une implication qui utilise les interstices spatiaux et temporels comme cadre d’opportunités. Les auteurs en analysent les dynamiques d’émergence par l’importance des espaces d’opportunités, comme Harvey qui a mis en avant l’importance lors de sa visite du Tr3bol à Bogota1 ; comme Borja (2003) et Petcou et Petrescu (2007) qui en ont aussi dessiné les grandes caractéristiques vis à vis de la quotidienneté ; ou comme Sassen (2012) qui met en avant l’émancipation et la capacitation des habitants. Ils sont des agents de changement qui agissent pour influer sur le contexte urbain par le biais de processus participatifs qui offrent un nouveau sens à la production de la ville. On peut alors parler de commun et d’espace public au sens classique du terme (c’est à dire d’espace politique).

Dès lors, c’est cette relation dialectique triangulaire habitant-ville-politique, que je me propose d’étudier en m’intéressant aux nouveaux processus collaboratifs dans le phénomène de production des villes. Je m’intéresserai plus particulièrement au

déplacement de la politique des urnes vers la politique de production des places, en portant l’attention sur les rôles des habitants. L’objectif est de pouvoir mettre en avant de nouvelles pratiques politiques qui viendraient surpasser le changement de valeurs des thèses postmodernes en proposant des solutions à la désaffection politique. Un des enjeux est de pouvoir définir un renouveau du concept de citoyenneté qui déplacerait le centre de la démocratie de la représentation et la délégation vers l’action.

1.3 L’ INDIVIDU SE LIE